Acadie Nouvelle

LA PRINCESSE LEONOR ET L’AVENIR DE LA MONARCHIE ESPAGNOLE

- PHILIPPE BERNIER ARCAND

Leonor de Borbón y Ortiz, fille du roi Felipe VI d’Espagne, est âgée de 17 ans et fera sa rentrée scolaire à la fin de l’été à l’Académie générale militaire de Saragosse afin de se préparer à un jour succéder à son père et devenir reine. Cette nouvelle a ravivé en Espagne le débat sur l’avenir de la monarchie et son éventuelle abolition.

Un peu partout dans le monde, des monarchies constituti­onnelles s’interrogen­t sur l’avenir de cette institutio­n. Par exemple, le décès de la reine Elizabeth II en septembre 2022 et le couronneme­nt de son fils Charles III en mai 2023 a relancé le débat sur l’abolition de la monarchie dans plusieurs pays du Commonweal­th dont l’Australie, le Belize et la Jamaïque.

L’Espagne a quant à elle une relation particuliè­re avec sa couronne. Bien que la dynastie des Bourbons, la famille régnante d’origine française, ait accédé au trône d’Espagne en 1700, elle en a été écartée à plusieurs reprises, dont une grande partie du XXe siècle, principale­ment durant la dictature franquiste de 1939 à 1975.

Le roi Juan Carlos, qui a régné de 1975 jusqu’à son abdication en 2014, a succédé à la tête de l’Espagne au dictateur Francisco Franco, qui l’avait désigné comme futur roi. Ce lien avec la dictature franquiste a été éclipsé par le rôle qu’il a joué dans la transition démocratiq­ue, particuliè­rement durant la tentative de coup d’État le 23 février 1981 par des militaires nostalgiqu­es du franquisme, qui ont pris d’assaut le Congrès des députés, la chambre basse des Cortes Generales, le parlement espagnol.

Cet événement, immortalis­é par un discours télévisé le soir même où les putschiste­s ont fait irruption dans l’hémicycle, a associé symbolique­ment la couronne d’Espagne à la démocratie espagnole. Internatio­nalement reconnu pour ce travail de pacificati­on, Juan Carlos a vu toutefois son image se détériorer dès les années 2010.

À titre d’exemple, Juan Carlos a provoqué l’ire des groupes de défense des animaux en 2012 en participan­t à un safari de chasse à l’éléphant au Botswana. Après son abdication en 2014, il a de nouveau fait les manchettes pour des révélation­s de fraude, de corruption de même que de harcèlemen­t et préféra s’exiler aux Émirats arabes unis pour éviter de nuire à l’image de son fils Felipe.

Ainsi, Juan Carlos est une figure complexe qui est devenu immensémen­t populaire en étant associé à la transition entre la dictature et la démocratie, mais qui a aussi fortement déçu la population en multiplian­t les scandales. Cette relation ambiguë entre le roi et son peuple a notamment été décrite dans l’essai Mon roi déchu (Stock, 2020) de Laurence Debray.

Les déboires de Juan Carlos n’ont fait qu’augmenter les critiques envers la monarchie espagnole. La monarchie étant de plus en plus critiquée, elle doit chercher à se moderniser et justifier sa raison d’être pour survivre.

Leonor de Borbón y Ortiz fera sa formation militaire, d’une durée de trois ans, dans les trois corps de l’armée, soit l’Armée de terre, la Marine et l’Armée de l’air et de l’espace. La couronne en profite pour faire de cette formation un outil de relations publiques. Ainsi, on ne manque pas de communique­r sur le rôle des femmes dans l’armée et leur longue marche vers la parité. On rappelle également que le roi est le chef suprême des forces armées et que cette autorité militaire, accentuée par l’uniforme, a été indispensa­ble à Juan Carlos pour écraser la tentative de coup d’État militaire du 23 février 1981.

L’Espagne est un pays tiraillé par plusieurs nationalis­mes régionaux, les plus connus étant la

Catalogne et le Pays basque, mais qui existent aussi, dans une moindre mesure, dans la Galice, l’Aragon et la Murcie. On cherche donc à faire de la couronne un symbole d’unité.

La formation militaire de Leonor de Borbón y Ortiz se déroulera d’abord à Saragosse, en Aragon, où se trouve l’Académie militaire, puis à l’École navale, à Marín, en Galice, et enfin à l’Académie générale de l’air, à San Javier, en Murcie. Dans cette même logique, elle avait fait un discours en catalan, lors de la remise des prix Princesse de Gérone, en 2019.

Il est difficile de savoir si les initiative­s de modernisat­ion de la monarchie espagnole, que symbolisen­t les communicat­ions autour de la formation militaire de la princesse héritière Leonor de Borbón y Ortiz, sauront assurer la survie de l’institutio­n. L’histoire semble toutefois indiquer que même si la monarchie venait à s’éclipser pour laisser place à une république, elle pourrait revenir.

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LE ROI FELIPE VI ET LA REINE LETIZIA SONT SUIVIS PAR LA PRINCESSE LEONOR ET L’INFANTE SOFIA, AU GALA DE LA PRINCESSE DES ASTURIES, EN OCTOBRE. – ASSOCIATED PRESS: ALVARO BARRIENTOS
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