Acadie Nouvelle

LE CIRQUE ARRIVE EN VILLE

- HUGO BOURQUE

«Nan, mais j’ai t’i’ hâte que le Père Lafrance finisse son homélie!»

J’avoue que ce soir-là, je n’avais pas beaucoup écouté son discours. Je saisissais vaguement qu’il avait parlé de l’histoire du gars qui aurait transformé des bouteilles d’eau en bouteilles de vin dans un party, mais c’est tout. Je n’avais même pas remarqué comment tout ça se finissait: ont-ils viré une brosse sacrée ou une sacrée brosse? Aucune idée. Mais ce que je savais, c’est qu’aussitôt que Lise allait jouer les premières notes d’orgue de la dernière chanson de la messe du samedi soir, j’allais être assis dans le char. Ce soir-là, j’avais une activité. Ce soir-là, j’allais m’amuser. Ce soir-là, le Ron Elliott Shows était aux Îles. Quand le cirque de la Nouvelle-Écosse débarquait sur l’archipel, c’était la folie. Dès qu’ils avaient fini de visser leurs ferrailles rouillées, ils faisaient virer la grande roue toute illuminée dans le ciel de Cap-aux-Meules, sur le terrain vague à côté du Madeli Inn. De toutes beautés! Il faut dire qu’à l’époque, on n’avait pas encore les feux de circulatio­n devant la caserne des pompiers et devant le Tim Hortons pour égayer nos noirceurs. Les seules grosses lumières qu’on avait, c’était l’étoile psychédéli­que du Dixie Lee qui flashait en face du quai. That’s it, that’s all.

Chaque fois que le Ron Elliott Shows venait aux Îles, d’un seul coup, le centre d’achat se trouvait vidé de tous les jeunes qui n’avaient rien d’autre à faire que de se traîner de l’arcade à chez Édouard Arseneau en passant par chez Continenta­l.

De mon côté, c’est le samedi que ça se déroulait. Tout de suite après la messe, on se rendait là avec une couple de piastres dans nos poches. Le premier manège qu’il fallait faire n’était peut-être pas le plus excitant, mais c’était le plus important: faire la file pour acheter des billets. C’est clairement là qu’on passait le plus de temps.

Ensuite, quand on avait acheté notre liasse de tickets, on partait au galop dans le parc à la recherche de notre manège préféré... ou celui qui avait le moins de monde devant. Dans mon cas, à l’âge que j’avais, mon préféré c’était… la grande glissoire jaune à bosses. Un escalier qui ne finit plus nous amenait en haut. Arrivé là, on s’assoyait sur un sac à patates et on glissait jusqu’en bas. C’est tout. Je ne faisais que ça.

À un moment donné, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai accepté d’embarquer dans celui que j’appelais l’avion. C’était comme des banquettes aux couleurs brillantes qui tournaient sur elles-mêmes tout en tournant au bout de longs bras mécaniques. Le tout tournait aussi autour d’un poteau central. Pendant ce temps-là, et pendant que ton coeur levait jusque dans ton nez, il y avait un genre de bruit de moteur d’avion. Eh bien justement, le coeur m’a levé. Pas pour être malade, mais pas loin. Le problème, c’est que je n’arrivais pas à savoir si c’était à cause du manège ou à cause des trois barbes à papa que je m’étais claqué juste avant. J’ai dû faire au moins trois glissades à bosse pour m’en remettre.

Il y a un manège que je n’ai jamais essayé: la roue qui tourne à l’horizontal­e et qui, tranquille­ment, se met à la verticale… alors que tout le monde est collé aux parois de celle-ci. Lorsque la roue est debout, celui qui est plaqué contre le mur en haut a quelqu’un directemen­t en face de lui en bas. Et là, ça tourne, ça tourne, ça tourne. Si une personne est malade alors qu’elle est en haut… j’arrête ma phrase ici. Vous aurez compris que personne ne veut être celui du bas à ce moment-là. C’est pourquoi je n’ai jamais accepté de monter dans cette roue-là.

C’est aussi là que j’ai découvert l’existence d’une véritable arme de destructio­n massive pour la bête à sucre que j’ai toujours été: les pommes au caramel. C’était la seule place et donc la seule occasion qu’on avait de manger ça. Je n’ai jamais vu de pomme au caramel au Decker Boy. Bon, je serai honnête ici, j’en achetais une chaque fois, mais finalement, je ne mangeais que le caramel. Je laissais le fruit. Mais j’avais quand même l’impression d’avaler quelque chose d’excellent pour la santé et ça, c’était magique. Quand on était tanné de dépenser pour se faire virer la tête, on allait essayer de gagner des cossins en jouant à des jeux débiles. On lançait des fléchettes sur des cibles en forme d’étoile, on tentait d’entrer un anneau sur un goulot de bouteille de Pepsi en le lançant dessus ou encore on tirait des bouchons de liège sur des ballounes avec une carabine en plastique. Ce n’était pas facile, mais on finissait toujours par mériter quelque chose: des toutous, des pipes en plastique (!) ou de grands cadres carrés de Metallica. Le pire dans ça, c’est qu’à force de jouer pour gagner, disons, un gros toutou… on ne réalisait pas que ledit toutou nous coûtait finalement plus cher que si on avait été s’en acheter un au Continenta­l.

Même si on payait très cher pour revenir chez nous avec un toutou, même si on faisait la file pour embarquer dans notre manège préféré, même si ça me faisait perdre l’essentiel de l’homélie du Père Lafrance, j’avais toujours très hâte de retrouver mon Ron Elliott Shows avec ses lumières en plein Cap-auxMeules, ses pommes sucrées et son bruit de vieux métal rouillé qui frotte ensemble quand il se mettait à se faire tourner le manège.

Ce soir-là, je n’ai pas compris l’histoire du gars qui aurait transformé des bouteilles d’eau en bouteilles de vin. Mais quand Lise a joué les premières notes de la dernière chanson de la messe, j’ai couru dans l’allée centrale, j’ai poussé la porte de l’église et je suis rentré dans le char à papa. Parce que ce soir-là, j’avais une activité. Ce soir-là, j’allais m’amuser. Ce soir-là, le Ron Elliott Shows était aux Îles. Et j’allais en profiter.

On se r’parle!

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QUELQUES ATTRACTION­S DU RON ELLIOTT SHOWS. - PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK
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