Donald Savoie: «Les Acadiens doivent arrêter de se voir comme des victimes»
Le chercheur à l’Université de Moncton, Donald J. Savoie, a écrit un nouveau livre: Le Canada au-delà des rancunes, des doléances et de la discorde. Il exhorte les Acadiens à arrêter de se voir comme des victimes.
Et vous, êtes-vous une victime? D’où que vous veniez au pays, il y a peu de chance que vous niiez, selon le nouveau livre de Donald J. Savoie.
Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en administration publique et gouvernance à l’Université de Moncton en fait le pari: vous pensez que les gouvernements provincial et fédéral ou l’Histoire ont fait du mal à vous, à votre groupe ou à votre région.
«Pendant que j’ai travaillé sur ce livre, j’ai été étonné que personne n’ait dit que lui-même ou elle-même ou son groupe n’était pas une victime, pas même chez les gens d’affaires prospères et les hauts fonctionnaires», note-t-il.
LES GENTILS
En particulier, si vous êtes Acadien, vous pensez peut-être au Grand Dérangement, aux nombreuses années de mépris des gouvernements pour votre peuple, aux expropriations et à l’Alliance for the Preservation of English in Canada.
Ç’a été le cas de M. Savoie, qui a grandi dans le comté de Kent des années 1950. À l’époque, il pensait faire partie des gentils, victimes – forcément – des méchants. Il raconte le cas d’une femme de Saint-Maurice, près de Bouctouche, qui a épousé un anglophone de l’extérieur de la communauté.
«Tous croyaient qu’elle se couvrirait de honte si jamais elle revenait au village. Elle n’est jamais revenue à Saint-Maurice. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle ne serait jamais plus pleinement acceptée dans notre village et, bien pire encore, qu’elle serait torturée en enfer pour l’éternité», se souvient M. Savoie.
LES DÉFAVORISÉS
En tant qu’habitant des provinces maritimes, vous jugez peut-être aussi que les politiques fédérales ont eu beaucoup de conséquences négatives sur votre région, parce qu’elles ont favorisé les intérêts du Québec et de l’Ontario, où se trouve un grand nombre de députés.
«Les transferts fédéraux aux provinces maritimes ont amené la région à dépendre du versement continu de paiements de transfert, ce qui a empêché une croissance économique autonome. De plus, ils ont valu mauvaise presse à la région», constate M. Savoie.
Cependant, vous avez tort de vous considérer comme une victime, selon le chercheur.
UN HÉROS
M. Savoie rappelle que les Acadiens nés après les années 1960 profitent du legs de son ami et héros, l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick, Louis J. Robichaud.
«Nous, Acadiens, on n’est plus victimes grâce à lui, soutient M. Savoie en entrevue avec l’Acadie Nouvelle. Il nous a donné tous les instruments pour nous épanouir: la Loi sur les langues officielles (LLO), un système d’éducation et l’U de M.»
Il souligne que le premier ministre actuel, Blaine Higgs, n’est pas un grand ami des Acadiens.
«Mais grâce à la LLO, il ne peut pas nous faire revenir aux années 1950, affirme M. Savoie. Les Acadiens sont par ailleurs devenus une force politique et économique. Les meilleurs entrepreneurs du Nouveau-Brunswick, comme Normand Caissie de Richibucto, sont Acadiens.»
Le chercheur pense par ailleurs que la situation des provinces maritimes évolue et que certains signes, comme le manque de main-d’oeuvre, indiquent que la région est en voie de s’affranchir de la victimisation. Il évoque les répercussions positives d’accords de libre-échange et de l’adaptation de la politique d’immigration fédérale.
LES AUTOCHTONES
M. Savoie analyse aussi tour à tour les rancunes de Québécois, d’Ontariens et d’habitants de l’Ouest canadien notamment. Il déboulonne celles des deux premiers groupes. Il remarque que les Canadiens de l’Ouest manquent d’influence à Ottawa. Puis, il fait un plaidoyer pour l’amélioration de la condition des Premières Nations et des Noirs.
«Il est un domaine où nous avons mal agi depuis bien avant la Confédération, c’est celui de nos relations avec les peuples autochtones, appuie-t-il en particulier. Nous leur avons causé un tort qu’il est urgent de réparer pour que le Canada soit pleinement en paix avec lui-même.»
L’Acadien souhaite que les Premières Nations trouvent leur Louis J. Robichaud. Il souligne cependant les difficultés qu’ils auront à cause de leur faible poids démographique réparti sur l’immense territoire canadien.
«Le défi à relever est certainement plus grand pour les peuples autochtones qu’il ne l’a été pour les Acadiens», déplore-t-il. ■
Cédric Thévenin
cedric.thevenin@acadienouvelle.com
«Il faut que les Acadiens arrêtent de se voir comme ça, juge-t-il en précisant croire que n’est pas le cas pour la moitié d’entre eux. Nous risquons de prendre une dynamique de dépendance envers les gouvernements. Or, nous avons tous les atouts pour être compétitifs dans le sport, les affaires, la fonction publique et le monde universitaire.»