Le Nouveau-Brunswick, une province «verrouillée» dans l’économie pétrolière
Un nouveau rapport du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) conclut que la transition énergétique dans les provinces de l’Est canadien demeure difficile puisque les économies de la région demeurent très dépendantes aux hydrocarbures.
Le document, publié mardi, dresse un état des lieux de l’infrastructure existant et proposé pour l’exploration, l’extraction, le transport, le raffinage, la distribution et la consommation d’hydrocarbures dans les provinces de l’Atlantique et au Québec.
Jean-Philippe Sapinski, professeur à la maîtrise en études de l’environnement à l’Université de Moncton, explique que l’objectif du rapport était de jeter un oeil critique sur la dépendance aux hydrocarbures dans l’Est canadien, une région souvent oubliée dans les conversations sur l’énergie.
«Quand on parle de transition énergétique et de la question pétrolière, l’accent est toujours mis sur l’Ouest. Évidemment, on y trouve au-dessus de 95% de la production de gaz et de pétrole, mais quand on parle de transition, il faut s’intéresser à tout le pays, la dépendance au pétrole est partout. On a donc voulu répertorier l’infrastructure fossile dans l’est du pays qui est responsable de cette dépendance», analyse M. Sapinski, qui est l’un des auteurs du rapport.
LA PLUS GRANDE RAFFINERIE AU PAYS
Bien que la majorité de l’industrie pétrolière se concentre dans l’Ouest, Jean-Philippe Sapinski rappelle que l’est du Canada y joue aussi un rôle important.
«Environ le tiers de la capacité de raffinage du Canada est concentrée dans l’Est. La raffinerie d’Irving à Saint-Jean, c’est la plus grosse au pays», illustre-t-il.
Intitulée Extractivisme fossile, verrou carbone et mobilisation sociale dans l’Est du Canada, l’analyse du CCPA constate que les décisions politiques et économiques passées ont créé des blocages technologiques et institutionnels qui rendent la transition énergétique plus difficile.
Malgré l’urgence de la transition, les provinces de l’Atlantique «sont encore très dépendantes des hydrocarbures pour la production d’électricité, le chauffage, le transport et la production industrielle».
«Depuis 2010, 19 nouveaux projets d’extraction et de transport d’hydrocarbures ont été proposés dans les cinq provinces de l’Est, dont certains sont encore sur la table aujourd’hui», peut-on lire dans le rapport.
VERROUILLÉE DANS LE PÉTROLE
Au Nouveau-Brunswick, écrivent les auteurs, la province reste fermement «verrouillée» dans l’économie pétrolière.
«Le plus grand émetteur de la province, la raffinerie Irving Oil de Saint-Jean, est aussi le plus grand employeur, tandis que la centrale électrique de Coleson Cove, utilisée pour les pointes hivernales et l’alimentation de secours, est alimentée au pétrole. La domination politique de la famille Irving est un obstacle majeur au changement, et le nouveau plan d’action climatique reflète la volonté politique actuelle de maintenir le statu quo économique et énergétique.»
D’après M. Sapinski, cette réalité se manifeste aussi dans le discours des élus. Le premier ministre Higgs a, à maintes reprises, manifesté sa volonté de développer l’industrie du gaz de schiste, signe que Fredericton accorde peu d’importance à la question climatique.
«Au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve, il n’y a aucune volonté de transition. On cherche plutôt à augmenter la production», se désole-t-il.
En analysant la mobilisation citoyenne en faveur d’une transition énergétique au Québec, les auteurs sont d’avis que le changement passera par les mouvements sociaux.
«On a constaté que ce sont les mouvements sociaux qui s’organisent pour faire pression sur les élus et faire changer les choses, explique M. Sapinski. Au Québec, il n’y aurait jamais eu une volonté de transition aussi sérieuse que celle qui existe maintenant sans le mouvement de contestation.»
Le professeur se dit convaincu que la transition ne se sera pas portée par l’industrie ou le gouvernement, à moins d’être contraint de le faire par les citoyens. «C’est ce que l’on constitue dans la littérature scientifique sur les mouvements sociaux, le changement social vient de la mobilisation citoyenne, c’est le moteur du changement», dit-il. ■