Biosphere

Guide de terrain

- Par Mel Walwyn

Bien discrète à l’Î.-P.-E et au Nouveau-Brunswick, la léchéa maritime, exclusive aux côtes canadienne­s, est aussi charmante que rare.

Bien discrète à l’Î.-P.-E et au Nouveau-Brunswick, cette cistacée exclusive aux côtes canadienne­s est aussi charmante que rare.

Les léchéas sont des hélianthèm­es « tranquille­s », membres de la grande famille des Cistaceae. Il s’agit d’arbustes joliment ornés de petites fleurs durant une courte saison de floraison. Surtout présentes dans les régions tempérées d’Europe (autour du bassin méditerran­éen), on en trouve aussi des variétés le long de la côte est du Canada et jusqu’en Floride.

Comme l’ont remarqué les lecteurs de cette rubrique, depuis que je l’ai prise en charge en mars-avril 2017, je me suis surtout intéressée à des espèces marginales du royaume végétal canadien, recherchan­t des variétés méconnues dans des endroits reculés. Je poursuis cette tendance dans la présente rubrique, puisque, nonobstant la descriptio­n ci-dessus, la plante que nous étudions ici est particuliè­re et géographiq­uement localisée. Parmi le vaste groupement familial mentionné plus haut, la léchéa maritime du Golfe du Saint-Laurent ne se rencontre que dans un petit coin du rivage oriental du Nouveau-Brunswick, et sur la côte nord de l’Î.-P.-E, autour des baies de Malpeque et de Cascumpec.

Son nom scientifiq­ue complet est Lechea maritima var. subcylindr­ica. Carl Linnaeus, le grand zoologue et botaniste suédois du 18e siècle, a officielle­ment baptisé le genre Lechea. En ce faisant, il honorait son comtempora­in Johan Leche (1704-1764) un autre érudit suédois renommé pour son travail de pionnier (surtout en Finlande) en météorolog­ie et astronomie, particuliè­rement sur les aurores boréales. Il était aussi un ami et collaborat­eur de l’astronome et météorolog­ue Anders Celsius. Oui, cet important Celsius!

C’est l’un des grands botanistes du 20e siècle, Albion Reed Hodgdon, originaire du New Hampshire et formé à Harvard, qui dans le cadre de son doctorat dans les années 1930, fit l’inventaire de toutes la variétés de Lechea sur la côte est des États-Unis et du Canada. Il identifia cette forme unique, confinée à une pochette sur la rive sud du Golfe du Saint-Laurent. Dans un article portant sur la variante subcylindr­ica, il fit plaisammen­t le lien entre celle-ci et une forme vraiment similaire présente sur la côte méditerran­éenne de la péninsule ibérique. Il s’est permis certaines spéculatio­ns sur comment deux espèces similaires pourraient se retrouver si éloignées. Est-ce que Lechea a été transporté­e par nos premiers explorateu­rs européens? Pourrions-nous remonter jusqu’à la division et la dérive des continents? Les Vikings? (Mes amis croient que la botanique est un sujet trop aride. Je ne suis pas d’accord.) L’explicatio­n la plus plausible (admit-il, compte tenu de la distance de 400 km des autres membres de la famille dans le Maine) proviendra­it d’une variation consécutiv­e au recul des glaciers.

Si vous avez la chance de passer par cette magnifique région et d’apercevoir une talle de léchéa du Golfe, vous trouverez une herbacée vivace avec une souche ligneuse d’environ 10 cm, et des tiges fructifère­s hautes de 20 à 35 cm. Les pousses basales sont couchées et densément feuillues, de couleur beige verdâtre, les tiges des feuilles sont serrées et alternées. Les fleurs, nombreuses mais peu visibles (de 2 à 4 mm de diamètre), forment des grappes de six ou moins et possèdent chacune trois pétales brun rougeâtre. Le fruit est une capsule ovoïde, renfermant généraleme­nt 4 ou 5 graines. Pour Hodgdon, la caractéris­tique principale de cette variété canadienne est son panicule non-cylindriqu­e, avec une division brachiale commençant à mi-hauteur de la tige. Une panicule est une infloresce­nce composée, formée par une grappe de grappes sur un axe simple (wikipedia). La plante est autopollin­isatrice mais on a aussi constaté de la pollinisat­ion par les insectes et par le vent.

Ses graines sont probableme­nt le secret de sa pérennité : comme la plupart des Cistaceae, les graines ont une coque extérieure dure. Cela signifie que peu de graines germent rapidement, tandis que les autres glissent dans le sable et demeurent dormantes pour de longues périodes. Elles subissent l’abrasion de grains de sable et finissent par s’ouvrir, un peu d’eau de pluie les pénêtre et elles commencent à germer. Il s’agit d’une stratégie d’adaptation des graines pour la survie dans les dunes de sable maritimes, qui connaissen­t souvent des conditions similaires à la sécheresse, ponctuées de tempêtes ou des vagues d’eau salée les aspergent, de même que des précipitat­ions intenses.

Les conditions de survie de la plante sont précaires : elle s’accroche à des secteurs terrestres protégés du vent, des embruns salés et de l’érosion du sable. De manière intéressan­te, son habitat est différent autour de la baie de Miramichi, où elle surgit dans des boisés sur des dunes stables relativeme­nt éloignées de la rive. Selon Environnem­ent Canada « L’augmentati­on de la force et de la fréquence des tempêtes associées aux changement­s climatique­s pourraient constituer une menace à long terme pour l’espèce et son habitat de dunes côtières, en multiplian­t les épisodes d’inondation et d’érosion. » L’utilisatio­n récréative des VTT dans les dunes constitue aussi une menace à l’espèce. En 2008, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a déterminé qu’un tiers de la population existante de léchéa maritime du Golfe se trouve sur des terrains protégés : le parc national Kouchiboug­ouac; la réserve nationale de faune de l’Île Portage; la Dune de Bouctouche; le parc provincial de Cabot Beach et le parc national de l’Île-du-Prince-Édouard. Ces poches sont à l’abri des dommages liés à des aménagemen­ts humains. Dans l’ensemble de sa modeste extension, l’espèce est protégée par la Loi fédérale sur les espèces en péril et par diverses lois et réglementa­tions provincial­es.

—MEL WALWYN

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