Héros local
Après avoir dirigé la restauration d’un jardin de plantes indigènes à l’est de la vallée du Fraser en C.-B., Carrielynn Victor y invite les jeunes de la région pour les initier à la nature. Textes et photos de Isabelle Groc
Après avoir dirigé la restauration d’un jardin de plantes indigènes à l’est de la vallée du Fraser, Carrielynn Victor, peintre et musicienne, défend l’environnement en s’y rendant avec les jeunes de la région pour les initier à la nature.
Texte et photo par Isabelle Groc
LE POTAGER ET JARDIN DE PLANTES
médicinales des marais de Cheam revit au printemps. Les pygargues à tête blanche planent dans le ciel, les grenouilles à pattes rouges et les salamandres du Nord-Ouest pondent dans les étangs, les abeilles bourdonnent dans les champs et les fleurs s’épanouissent.
C’est la saison préférée de Carrielynn Victor pour emmener les écoliers de la région au jardin, afin d’éveiller leurs sens au milieu naturel et pour stimuler leur connexion avec les espèces locales en péril. « Je demande aux enfants d’utiliser leurs cinq sens, de ralentir, de comprendre où ils sont, d’observer. Je leur offre des plantes à goûter, je leur dis d’être braves et d’essayer, de toucher doucement et de marcher légèrement parce que ces lieux sont vivants. »
Carrielynn Victor, de la nation Salish du littoral, est peintre, musicienne et elle pratique l’alimentation et la médecine traditionnelles; elle travaille aussi pour un groupe autochtone de consultation sur l’environnement. Elle vit à Cheam, le village ancestral de son père au coeur du territoire d’origine du peuple Sto:lo, à l’ombre du mont Cheam, sur la rive du fleuve Fraser près de Chilliwack. Elle a un rapport particulier avec les espèces en péril depuis qu’elle est toute jeune, inspirée par sa grand-mère, voix influente pour la protection de la nature dans la région.
Elle se souvient qu’enfant elle attrapait des grenouilles en jouant : « Nous avions la chance de pouvoir courir partout, de rechercher ce qui nous intéressait et de l’observer. » Ces souvenirs sont une partie intégrante de son travail actuel d’éducation sur l’environnement. « Quand je suis sur le terrain et que j’aperçois une grenouille, toutes ces mémoires sont réveillées. »
La priorité de Carrielynn Victor est d’éduquer la prochaine génération de protecteurs de l’environnement, et le jardin de Cheam est au coeur de sa démarche. « Nous avons de bonnes conversations avec les enfants dans le jardin à propos de notre responsabilité en tant que gardiens de l’environnement : un jour ce seront eux qui prendront des décisions et je veux qu’ils soient informés dès leur jeune âge pour que la protection de l’environnement fasse partie de leurs valeurs. L’éducation et la relation avec le territoire sont des éléments-clés de la protection de la nature. »
Carrielynn Victor a passé trois ans à diriger la restauration de l’habitat aux jardins de Cheam, un effort soutenu par le Fonds autochtone pour les espèces en péril.
Avec l’aide de bénévoles et d’écoliers, elle a éliminé les ronces envahissantes et elle a planté 1 400 plantes indigènes. Maintenant le jardin restauré abrite 16 espèces en péril.
Cet environnement foisonnant donne l’occasion à Carrielynn Victor de rappeler aux enfants la relation ancestrale entre les gens et les créatures sauvages. « Toutes les espèces, qu’elles soient végétales ou animales, ont leur façon à elles de nous enseigner la façon d’être en relation avec la terre. » Par exemple, les enfants apprennent à observer les mouvements des libellules et les mondes différents que ces mouvements leur ouvrent. Ils apprennent que les rainettes annoncent les changements de saison. « Les cycles du sommeil et de l’éveil des rainettes nous enseignent à lâcher prise. Elles nous apprennent aussi à vivre les saisons comme elles se présentent. »
Mais les véritables vedettes du jardin sont les plantes potagères indigènes et les plantes médicinales qu’elle y a plantées. Ces plantes se font souvent oublier à cause de leur apparence plus discrète, et Carrielynn Victor espère changer cette indifférence. « Les enfants comprennent qu’ils peuvent fréquenter n’importe quel milieu pour le plaisir sans penser aux plantes qu’ils piétinent. Mais quand ils viennent dans le jardin, je les initie à l’histoire des plantes, à leur valeur et aux possibilités de relations avec elles. Les plantes sont vivantes et peuvent faire partie de nous. »
La valeur des plantes du jardin n’est pas réservée qu’aux enfants : le jardin sert aussi à la communauté. « Les communautés autochtones constatent que leurs espaces sauvages sont accaparés par le développement et le concept du jardin est reconnu comme une solution potentielle aux problèmes d’accès aux plantes indigènes nécessaires à l’alimentation et à la médecine traditionnelles. »
« J’aime profondément le jardin. J’aime ce qui s’y produit. Certaines des plantes que nous désirions sont simplement apparues et se sont adaptées. Nous y voyons des traces d’ours et de chevreuils, des indices de présence de castors et de toutes les petites créatures qui vivent ici. C’est peut-être que notre jardin leur convient. Si nous réussissons ça, j’en suis heureuse.