Faune urbaine
Le martèlement constant du bruit urbain nuit à beaucoup d’espèces, y compris les humains.
Le martèlement constant de la vie urbaine nuit à beaucoup d’espèces urbanisées, y compris les humains. Les villes sont bruyantes. Au niveau maximum, l’expérience de la rue peut être assourdissante avec les sirènes, les marteaux-piqueurs et les automobilistes et motocyclistes m’as-tu-vu qui font hurler leurs pneus ou leurs systèmes d’échappement à la limite de la légalité. Certaines villes, comme celle où je vis, tolèrent même des fourgonnettes publicitaires qui sillonnent les rues avec des affichages rotatifs et des haut-parleurs tonitruants — pollution atmosphérique, visuelle et sonore gratuite et envahissante.
Même quand elles sont particulièrement calmes — par un dimanche matin d’été ou un froid mardi soir du milieu de l’hiver —, les villes émettent un bourdonnement sourd. Comme les autres formes de pollution urbaine, le bruit dégrade les environnements urbains et affecte négativement nos vies. Systématiquement, les études révèlent ce que la plupart d’entre nous savent par intuition : l’exposition involontaire à un bruit puissant et persistant cause une augmentation de la tension artérielle, des problèmes de sommeil, une accélération du rythme cardiaque et d’autres effets cardiovasculaires, de même que des modifications de la chimie du cerveau. Il y a un prix à payer pour ces impacts. Selon l’Organisation mondiale de la santé, ces effets physiologiques sont associés « à des handicaps sociaux, à des pertes de productivité, à des performances appauvries sur le plan de l’apprentissage, à de l’absentéisme au travail ou à l’école et à une augmentation des toxicomanies et des accidents ».
Évidemment, la nature aussi peut être bruyante. Et c’est pourquoi la plupart des espèces ont évolué et se sont adaptées pour percevoir, décoder et interagir avec leur paysage sonore dans la nature.
Les animaux traitent l’information sonore selon des manières qui parfois surprennent les humains : les sourds coassements des grenouilles communiquent leur situation, leurs affinités et leur apparence à leurs amis aussi bien qu’à leurs ennemis; les écureuils sont à l’écoute des appels des geais bleus opportunistes, évaluant tout risque d’invasion de leur cache pendant qu’ils vaquent à leur quête. De tels comportements contribuent à leur survie, qu’ils soient prédateurs ou proies.
Pour la faune urbaine, la surcharge sonore a aussi de terribles impacts. Après tout, le bruit persistant des villes interfère avec les capacités d’un animal non seulement de communiquer, mais aussi de se protéger, de procréer et d’élever ses petits et même de se déplacer. Une étude récente a identifié des dommages permanents à l’ADN de souris résultant de surcharges acoustiques, de même que des taux de mortalité élevés chez diverses espèces allant des rats aux hippocampes.
Si les impacts peuvent être subtils, ils peuvent être profonds et durables. Des poissons nageant dans un port urbain encombré sont exposés à des bruits qui endommageront, avec le temps, leur vessie natatoire, qui leur sert d’organe de l’audition; cet organe contrôle aussi la flottaison et ces dommages peuvent être dévastateurs. Les embryons de canard, de poulet et de caille, entre autres, ont une capacité à faciliter la synchronicité de l’éclosion entre plusieurs oeufs d’une même couvée, grâce à la détection de certaines vibrations. C’est un facteur utile qui allège la tâche des adultes qui couvent les oeufs, et qui augmente les chances de survie pour tous. Mais avec trop de bruit ambiant anthropique, les messages ne sont pas entendus, et certains oisillons naissent avec des déficits nutritionnels et des problèmes de développement, incapables de survivre à la compétition. C’est tout le troupeau qui risque de souffrir.
La récolte de nourriture aussi est affectée. Pour plusieurs espèces, la capacité d’identifier leur prochain repas repose sur une acuité auditive hautement développée, qui est rendue inutilisable par le tumulte urbain. Les hiboux et les chauves-souris sont deux chasseurs nocturnes très efficaces, qui comptent sur la localisation de sons de basse fréquence pour identifier, situer et capturer leurs proies. Les fréquences particulières de la circulation automobile interfèrent avec l’efficacité de leur chasse en masquant les sons des déplacements des proies. Il en résulte une diminution des populations, dont les effets se répercutent dans toute la biosphère quand divers équilibres écologiques sont rompus. Mais toutes les espèces de chauves-souris ne sont pas capables de recourir plutôt à une écholocation en mode sonar, de sorte que leur chasse devient moins performante.
Si l’on parle de communication dans la nature, on peut en identifier deux types : l’intentionnelle et l’accidentelle. Dans le cas de la première, quand l’animal essaie de communiquer, plusieurs espèces s’adaptent aux paysages sonores urbains en modifiant le moment de leurs appels, en ajoutant des répétitions, en modulant les tonalités et en augmentant le volume pour passer par-dessus la rumeur ambiante. Vous pouvez entendre la différence dans les piaillements affamés des oisillons, les jacassements d’alarme des écureuils, les stridulations d’écholocation des chauves-souris et les appels à l’accouplement des oiseaux. Ce qu’on n’entend pas, ce sont les signaux accidentels : le vrombissement d’un scarabée sur une feuille, le saut d’un poisson ou les glapissements des geais bleus qui tournent autour d’une cache sans surveillance. Sans ces indices sonores, les adaptations physiques et comportementales précises qui sont essentielles à la survie sont rendues inutiles. La survie elle-même devient plus difficile.
Pour de nombreux urbains canadiens, les bruits de la ville sont une constante, au point qu’ils constituent une forme de confort, même quand ils nous rendent malades. Pour la faune urbaine aussi, le paysage sonore s’accompagne de défis susceptibles de menacer la vie. Pour ceux qui peuvent s’y adapter, les récompenses peuvent être considérables. Mais pour ceux dont les fonctions quotidiennes essentielles sont entravées, voire anéanties par la cacophonie urbaine, la vie dans la ville est difficile et devient de plus en plus dure.