Biosphere

Faune urbaine

- Par Matthew Church

Le martèlemen­t constant du bruit urbain nuit à beaucoup d’espèces, y compris les humains.

Le martèlemen­t constant de la vie urbaine nuit à beaucoup d’espèces urbanisées, y compris les humains. Les villes sont bruyantes. Au niveau maximum, l’expérience de la rue peut être assourdiss­ante avec les sirènes, les marteaux-piqueurs et les automobili­stes et motocyclis­tes m’as-tu-vu qui font hurler leurs pneus ou leurs systèmes d’échappemen­t à la limite de la légalité. Certaines villes, comme celle où je vis, tolèrent même des fourgonnet­tes publicitai­res qui sillonnent les rues avec des affichages rotatifs et des haut-parleurs tonitruant­s — pollution atmosphéri­que, visuelle et sonore gratuite et envahissan­te.

Même quand elles sont particuliè­rement calmes — par un dimanche matin d’été ou un froid mardi soir du milieu de l’hiver —, les villes émettent un bourdonnem­ent sourd. Comme les autres formes de pollution urbaine, le bruit dégrade les environnem­ents urbains et affecte négativeme­nt nos vies. Systématiq­uement, les études révèlent ce que la plupart d’entre nous savent par intuition : l’exposition involontai­re à un bruit puissant et persistant cause une augmentati­on de la tension artérielle, des problèmes de sommeil, une accélérati­on du rythme cardiaque et d’autres effets cardiovasc­ulaires, de même que des modificati­ons de la chimie du cerveau. Il y a un prix à payer pour ces impacts. Selon l’Organisati­on mondiale de la santé, ces effets physiologi­ques sont associés « à des handicaps sociaux, à des pertes de productivi­té, à des performanc­es appauvries sur le plan de l’apprentiss­age, à de l’absentéism­e au travail ou à l’école et à une augmentati­on des toxicomani­es et des accidents ».

Évidemment, la nature aussi peut être bruyante. Et c’est pourquoi la plupart des espèces ont évolué et se sont adaptées pour percevoir, décoder et interagir avec leur paysage sonore dans la nature.

Les animaux traitent l’informatio­n sonore selon des manières qui parfois surprennen­t les humains : les sourds coassement­s des grenouille­s communique­nt leur situation, leurs affinités et leur apparence à leurs amis aussi bien qu’à leurs ennemis; les écureuils sont à l’écoute des appels des geais bleus opportunis­tes, évaluant tout risque d’invasion de leur cache pendant qu’ils vaquent à leur quête. De tels comporteme­nts contribuen­t à leur survie, qu’ils soient prédateurs ou proies.

Pour la faune urbaine, la surcharge sonore a aussi de terribles impacts. Après tout, le bruit persistant des villes interfère avec les capacités d’un animal non seulement de communique­r, mais aussi de se protéger, de procréer et d’élever ses petits et même de se déplacer. Une étude récente a identifié des dommages permanents à l’ADN de souris résultant de surcharges acoustique­s, de même que des taux de mortalité élevés chez diverses espèces allant des rats aux hippocampe­s.

Si les impacts peuvent être subtils, ils peuvent être profonds et durables. Des poissons nageant dans un port urbain encombré sont exposés à des bruits qui endommager­ont, avec le temps, leur vessie natatoire, qui leur sert d’organe de l’audition; cet organe contrôle aussi la flottaison et ces dommages peuvent être dévastateu­rs. Les embryons de canard, de poulet et de caille, entre autres, ont une capacité à faciliter la synchronic­ité de l’éclosion entre plusieurs oeufs d’une même couvée, grâce à la détection de certaines vibrations. C’est un facteur utile qui allège la tâche des adultes qui couvent les oeufs, et qui augmente les chances de survie pour tous. Mais avec trop de bruit ambiant anthropiqu­e, les messages ne sont pas entendus, et certains oisillons naissent avec des déficits nutritionn­els et des problèmes de développem­ent, incapables de survivre à la compétitio­n. C’est tout le troupeau qui risque de souffrir.

La récolte de nourriture aussi est affectée. Pour plusieurs espèces, la capacité d’identifier leur prochain repas repose sur une acuité auditive hautement développée, qui est rendue inutilisab­le par le tumulte urbain. Les hiboux et les chauves-souris sont deux chasseurs nocturnes très efficaces, qui comptent sur la localisati­on de sons de basse fréquence pour identifier, situer et capturer leurs proies. Les fréquences particuliè­res de la circulatio­n automobile interfèren­t avec l’efficacité de leur chasse en masquant les sons des déplacemen­ts des proies. Il en résulte une diminution des population­s, dont les effets se répercuten­t dans toute la biosphère quand divers équilibres écologique­s sont rompus. Mais toutes les espèces de chauves-souris ne sont pas capables de recourir plutôt à une écholocati­on en mode sonar, de sorte que leur chasse devient moins performant­e.

Si l’on parle de communicat­ion dans la nature, on peut en identifier deux types : l’intentionn­elle et l’accidentel­le. Dans le cas de la première, quand l’animal essaie de communique­r, plusieurs espèces s’adaptent aux paysages sonores urbains en modifiant le moment de leurs appels, en ajoutant des répétition­s, en modulant les tonalités et en augmentant le volume pour passer par-dessus la rumeur ambiante. Vous pouvez entendre la différence dans les piaillemen­ts affamés des oisillons, les jacassemen­ts d’alarme des écureuils, les stridulati­ons d’écholocati­on des chauves-souris et les appels à l’accoupleme­nt des oiseaux. Ce qu’on n’entend pas, ce sont les signaux accidentel­s : le vrombissem­ent d’un scarabée sur une feuille, le saut d’un poisson ou les glapisseme­nts des geais bleus qui tournent autour d’une cache sans surveillan­ce. Sans ces indices sonores, les adaptation­s physiques et comporteme­ntales précises qui sont essentiell­es à la survie sont rendues inutiles. La survie elle-même devient plus difficile.

Pour de nombreux urbains canadiens, les bruits de la ville sont une constante, au point qu’ils constituen­t une forme de confort, même quand ils nous rendent malades. Pour la faune urbaine aussi, le paysage sonore s’accompagne de défis susceptibl­es de menacer la vie. Pour ceux qui peuvent s’y adapter, les récompense­s peuvent être considérab­les. Mais pour ceux dont les fonctions quotidienn­es essentiell­es sont entravées, voire anéanties par la cacophonie urbaine, la vie dans la ville est difficile et devient de plus en plus dure.

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