Guide de terrain
Près de 70 % des plantes individuelles de placanthère blanchâtre restant au monde se trouvent dans seulement 48 km2 au Manitoba.
Le Manitoba est le seul endroit au Canada où l’on trouve cette rare et inhabituelle orchidée. Et si la tendance se poursuit, une petite parcelle de territoire près du village de Vita, au Manitoba, pourrait devenir le dernier endroit où survivra Platanthera praeclara.
Découverte au Canada seulement en 1984, la platanthère blanchâtre a été classée comme en voie de disparition en 1993. Vers 2016, près de 70 % des plantes individuelles restant au monde se trouvaient dans seulement 48 km2 au Manitoba, juste au nord de la frontière du Minnesota. Les autres 30 % disparaissent rapidement de quelques États américains de la prairie. On peut se consoler en se disant que les deux tiers de la population canadienne se trouvent inclus dans les 5 000 hectares et plus qui constituent la Réserve des prairies à herbes hautes du Manitoba. Toutefois, il y a peu de raisons d’être optimiste quant à l’avenir de cette annuelle exceptionnelle.
L’apparence de cette orchidée est frappante : les tiges feuillues de 90 cm de hauteur portent entre3 et 33 grandes fleurs brillantes (l’adjectif latin praeclara signifie très brillante). Au Canada, les premières tiges apparaissent à la fin mai et, vers la fin juin, les faisceaux de fleurs apparaissent. À la mi-juillet, la plupart des plantes à maturité sont en pleine floraison, puis, au début septembre, elles commencent à faner. Les étés sont courts dans la prairie canadienne.
Comme ses cousines cultivées à l’intérieur, cette orchidée sauvage peut montrer ses caprices. D’une année à l’autre, la proportion des plants qui fleurissent effectivement varie énormément : avec un comptage annuel moyen pour le Manitoba de 8 301 tiges fleuries, les chercheurs n’en ont trouvé que 763 en 2012, alors que leur nombre avait atteint 23 530 en 2003. Ces fleurs sont particulières : elles recherchent un sol sablonneux humide, dans des secteurs favorables aux incendies de forêt, et sont particulièrement heureuses au milieu de graminées hautes, de prairies à carex et de fossés en bord de route — types de paysages qui disparaissent progressivement du territoire nord-américain, à mesure que les fermes s’agrandissent, se regroupent et s’industrialisent. Le broutage excessif, l’amélioration du drainage et les espèces envahissantes constituent d’autres menaces. Un facteur dans la fluctuation du nombre des tiges qui fleurissent est le fait qu’elles ne fleurissent pas avant la maturité, ce qui peut demander jusqu’à 12 ans. De
plus, elles peuvent demeurer dormantes sous terre pour un an ou plus à la fois.
Les conditions qui favorisent leur croissance sont peu répandues. Plus elles poussent au nord, moins nombreuses sont leurs graines. Et de la graine à la maturité, elles dépendent des nutriments apportés par des champignons mycorhiziens, dans une association symbiotique typique des orchidées, cultivées ou sauvages.
Mais voici la caractéristique vraiment remarquable de la platanthère blanchâtre de l’Ouest : son système de pollinisation. En dépit de sa beauté physique — qui d’un point de vue évolutionnaire est généralement un moyen pour captiver les pollinisateurs —, elle ne les attire pas durant le jour. Elle émet plutôt un parfum invitant après le coucher du soleil, quand les papillons de nuit sont actifs. Mais n’importe quel papillon ne fera pas l’affaire. D’abord, il faudra qu’il soit capable de vol stationnaire parce qu’il n’a pas d’endroit pour se poser. En second lieu, cette orchidée possède un éperon à nectar tellement profond (le plus long de toutes ses variétés nord-américaines) que seulement les sphingidés à la trompe de la longueur appropriée sont capables d’aspirer le liquide sucré — si le proboscis est trop long ou trop court, le transfert du pollen ne pourra avoir lieu. Troisièmement, le papillon doit être d’une certaine taille parce qu’en se positionnant pour insérer sa trompe, le sphinx s’aligne et s’approche pour que les viscidia (ou rétinacles) de l’orchidée transfèrent des amas de pollen sur ses yeux. En quatrième lieu, avec un peu de chance, le pollen sera livré par les yeux dans la fleur d’une plante voisine, assurant ainsi la diversité génétique. Puisque chaque tige porte de nombreuses floraisons, le risque d’autopollinisation ou de compromis génétique est élevé. À mesure que le nombre des plantes diminue et que les aires d’habitats disponibles rétrécissent, leur capacité d’attirer et de soutenir des populations de papillons sphinx décline : la pollinisation croisée décroît, la population de plantes diminue et le cycle du déclin s’accélère.
D’autre part, malgré son caractère distinct, il est facile de confondre la platanthère blanchâtre de l’Ouest avec sa cousine de l’Est (Platanthera leucophaea), encore que, si vous savez quoi rechercher, les différences sont évidentes (mais subtiles) : la dimension de la fleur, la couleur et la forme du pétale et le parfum. Mais la différence la plus notable tient dans le mécanisme de partage du pollen. Au lieu d’être espacés en fonction de l’écartement des yeux du papillon, les viscidia de l’orchidée de l’Est se déchargent sur la langue du pollinisateur, ce qui signifie que son mécanisme de pollinisation est différent. Des cousines, donc, mais passablement éloignées.
La beauté de cette plante remarquable n’a donc d’égale que son étrangeté : elle s’insère bien dans la réputation de toute la famille des orchidées en tant que plante « exotique », même quand elle est indigène. Et pour le moment, à Vita au Manitoba, à la lisière est de notre prairie, la platanthère de l’Ouest vit sur sa terre natale.