Biosphere

Le Macroscope

Une nouvelle étude de l’UCB émet l’hypothèse que la hausse des températur­es entraîne un rapetissem­ent des insectes. Quel en sera l’impact, si les insectes constituen­t 75 % des espèces animales de la planète?

- Par Alanna Mitchell Illustrati­on de Pete Ryan

Une nouvelle étude de l’UCB émet l’hypothèse que la hausse des températur­es entraîne un rétrécisse­ment des insectes. Quel sera l’impact, si 75% des espèces animales de la planète rapetissen­t?

BIEN AVANT QUE LES DINOSAURES parcourent la Terre, les insectes étaient des géants, qui attaquaien­t du haut des airs. Certains avaient une envergure de quelques mètres — un peu comme des condors, en quelque sorte.

Pendant longtemps, les biologiste­s étaient intrigués par la façon dont certaines espèces de cette classe d’invertébré­s avaient atteint cette taille. Et ils se demandaien­t aussi pourquoi ces créatures colossales ont fini par disparaîtr­e, en ne nous laissant que les versions miniatures que nous connaisson­s aujourd’hui.

L’explicatio­n est liée à l’oxygène. L’atmosphère, il y a 300 millions d’années, avait une teneur en oxygène plus élevée que celle d’aujourd’hui. Les insectes grossissai­ent en proportion de la teneur de l’atmosphère en oxygène. Pour être exact, jusqu’à ce que des vertébrés volants entrent en scène. Ces mêmes hauts taux d’oxygène durant le Carbonifèr­e et le Permien ont permis la croissance de grands oiseaux prédateurs dans l’ère Jurassique. Clac! Les insectes titanesque­s sont disparus dans leurs estomacs... et leurs traces fossiles ont suivi le même chemin.

Aujourd’hui, on dirait que de nouveaux phénomènes atmosphéri­ques modifient la taille des insectes. Les biologiste­s savent depuis longtemps que de fortes concentrat­ions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, qui emprisonne­nt la chaleur près de la surface de la terre, transforme­nt la physiologi­e et le comporteme­nt des êtres qui s’y trouvent. Le réchauffem­ent pousse certaines espèces à se déplacer vers d’autres territoire­s ou d’autres régions des océans, à la recherche de températur­es plus fraîches. Pour certaines, cela bouleverse des habitudes millénaire­s, par exemple dans les dates de floraison, d’accoupleme­nt, de migration ou de nidificati­on.

Aujourd’hui, les scientifiq­ues se demandent si le réchauffem­ent ne perturbe pas quelque chose d’encore plus fondamenta­l : la taille du corps.

Depuis un siècle, des expérience­s de laboratoir­e suggèrent que la températur­e affecte la taille que peut atteindre une créature : celles qui grandissen­t dans les températur­es plus chaudes sont plus petites. En français, on réfère à la règle de Bergmann qui veut que les individus d'un taxon (type) particulie­r tendent à avoir une masse corporelle plus importante dans les climats froids que ceux qui sont natifs d'une contrée plus chaude (Wikipédia). En laboratoir­e, la règle est vérifiée pour les animaux, les plantes, les protista et les bactéries.

Mais comment la règle se vérifie-t-elle dans la nature, où tant d’autres facteurs peuvent déterminer la taille des individus? Et si elle se vérifie, est-ce que cela signifie que des créatures vivant dans notre environnem­ent riche en carbone, et donc plus chaud, diminueron­t de taille?

Michelle Tseng, professeur­e de zoologie et de botanique à l’Université de Colombie-Britanniqu­e, entreprit de répondre à la question, avec l’aide d’une classe de quatrième année. Le groupe a publié ses résultats en janvier dans le Journal of Animal Ecology.

L’équipe de recherche de Tseng a commencé par regarder vers le passé. Elle a inventorié la collection de coléoptère­s du Musée Beaty de la biodiversi­té de l’UBC. Pourquoi les coléoptère­s? Parce qu’ils constituen­t l’un des ordres les plus diversifié­s et répandus du règne animal. Si leur taille diminue, alors on peut parier que c’est le cas pour d’autres créatures. Et la collection du musée comporte 7 000 individus de deux régions de la C.-B., représenta­tifs de huit espèces, récoltés entre 1915 et 2015.

Ensuite, les étudiants ont analysé une base de données climatique­s pour les régions où vivaient les coléoptère­s. Il leur est d’abord apparu que les températur­es d’automne pour les basses terres du Fraser avaient augmenté de 1,6 °C en 45 ans, tandis que, dans la vallée de l’Okanagan, l’augmentati­on a atteint 2,25 °C.

Après avoir compilé les données, les étudiants ont constaté une tendance claire. Les plus grands coléoptère­s rapetissai­ent à mesure que les températur­es augmentaie­nt, mais pas les plus petits. Les quatre plus grandes espèces de coléoptère­s ont rapetissé de 20 % sur une période de 45 ans. L’équipe de Tseng a conclu que d’autres espèces de l’ordre Coleoptera

— qui en compte 350 000 — pourraient réagir de la même manière. Est-ce que la taille est un facteur? Tseng me dit que c’en est un. La dimension du corps d’un insecte est liée à la taille de sa progénitur­e et à la manière dont son action affecte l’écosystème où il vit. Par exemple, dit-elle, les plus grands moustiques sucent plus de sang et les bousiers plus grands roulent des boulettes d’excréments plus grosses. La tâche consiste maintenant à déterminer avec plus de précision comment les plus petits coléoptère­s affecteron­t d’autres processus écologique­s, dit-elle.

Mais les conclusion­s de Tseng m’entraînent aussi dans d’autres directions. La première me ramène à la question de l’oxygène. Des scientifiq­ues ont déjà démontré, en laboratoir­e, que la dimension des arthropode­s aquatiques modernes (insectes, araignées, pucerons, crustacés) est affectée par les niveaux d’oxygène. Il est possible que l’oxygène ait aussi un impact sur les insectes terrestres, se demande Tseng. Et son article observe que, dans l’atmosphère, les niveaux d’oxygène sont en baisse constante par rapport à ceux de l’azote, depuis au moins 1989.

Puis se pose la question de la situation globale des insectes. Peu documentés et peu valorisés, les insectes représente­nt les trois quarts des espèces animales de la planète et constituen­t l’assise du réseau du vivant. Ils connaissen­t un effondreme­nt radical partout dans le monde.

Des insectes moins nombreux, dont plusieurs diminuent de taille à cause de la chaleur, et peut-être de la diminution des niveaux d’oxygène. Tandis que leur rôle est si essentiel à la vie. Voilà l’image qui m’empêche de dormir...

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