Jardinage
Partout dans l’Arctique, des communautés de jardiniers cultivent des fruits et légumes abordables pour les tables du Grand Nord.
Des communautés de jardiniers cultivent des fruits et légumes abordables pour les tables du Nord.
Si on vous demandait 10 dollars pour trois tomates, ou plus de 7 dollars pour une poignée d’oignons, vous penseriez sérieusement à faire pousser les vôtres. Mais si vous habitez au nord du 60e parallèle, ça n’est pas si simple. Depuis quelques années, le désir de cultiver sa propre nourriture mobilise de plus en plus de Nordiques. Un collège d’agriculture en fait la promotion et diffuse les compétences nécessaires alors que de plus en plus de serres communautaires font leur apparition. Ces nouveaux facteurs constituent des solutions en termes de sécurité alimentaire, de nutrition saine et de coûts abordables pour les habitants du Grand Nord.
Pendant des millénaires, les êtres humains ont beaucoup tiré de la terre au nord du 60e, non seulement par la chasse et la pêche, mais aussi en cueillant des baies, des pousses, des racines et des écorces. Il semble aussi que le régime préhistorique comprenait des algues et des herbes lacustres. Comme ils étaient nomades, les peuples de l’époque n’avaient ni l’envie ni les moyens de pratiquer l’agriculture. Quand les Européens se sont installés, les jardins ont commencé à apparaître. En 1787, l’explorateur Alexander Mackenzie rapporte avoir vu « un jardin qui n’a rien à envier à tous les jardins que j’ai vus au Canada », au poste de traite de Peter Pond, autre grand explorateur et cartographe, bien que moins connu. Ce poste se trouvait au lac Athabasca, juste au sud du 60e parallèle dans ce qui fait aujourd’hui partie du nord-est de l’Alberta, mais qui à l’époque se trouvait dans les Territoires du Nord-Ouest.
Pendant les cent ans qui ont suivi, l’objectif de la population était l’autosuffisance avec un petit apport de fourrage. Les données du recensement de 1828 compilent (pour tout le territoire) une production de « 18 tonnelets d’orge, 42 de pommes de terre, navets, carottes, choux et oignons, et quelques pintes de pois ». Dans le district du Mackenzie, autour de 1930, le gouvernement fédéral notait des récoltes locales d’avoine, d’orge, de ray-grass, de fléole (ou mil), de maïs fourrager, de carottes, navets, pommes de terre, choux, bettes à carde, panais, chouxfleurs, betteraves, haricots, céleris, laitues et radis. Le sol était aride, la saison courte et les produits de petite taille, mais quelques jardiniers obstinés réussissaient à produire une récolte.
Les transports par terre, air et mer ont facilité l’accès au Nord et la situation a commencé à se modifier : plus de nourriture préparée et emballée a pu être livrée depuis le Sud, et la population a augmenté. La capacité de culture ne suffisait pas à répondre à la demande. En 1970, la fermeture de la station agricole expérimentale fédérale Dominion de Fort Simpson a mis fin aux espoirs de l’agriculture boréale.
Plus de 40 ans après, en 2013, le Northern Farm Training Institute a ouvert ses portes à Hay River, dans les T. N.-O. Fondé par un groupe de Métis, l’institut est dirigé par Jackie Milne, légende de l’agriculture boréale, et offre des programmes en agriculture et en élevage à son campus de 100 hectares. Le cheptel comprend des chèvres, du bétail, des moutons, des yaks et des poules, et la production agricole des betteraves, du chou vert et du chou, de la moutarde, de la roquette, du persil ainsi que des fruits comme des framboises, des amélanches et des camerises. Après cinq ans, plus de cent diplômés provenant de 30 communautés sont retournés dans leur région avec « la passion de la culture »
Pour beaucoup de régions du Nord, il n’y a pas de possibilité de cultiver ailleurs qu’à l’intérieur. Les serres sont devenues un choix de nécessité. À Inuvik, ville de 3 300 habitants dans le delta du Mackenzie, à 100 km de l’océan Arctique, un programme de serres coopératives communautaires est en place depuis 20 ans. Ce programme comprend un marché fermier en saison et, depuis tout récemment, un panier de légumes livré chaque semaine. Une partie des récoltes alimente la banque alimentaire locale.
À environ 3 000 kilomètres à l’est, depuis 17 ans, la Société des serres communautaires d’Iqaluit fournit à la collectivité des fruits et légumes frais à une fraction du coût des produits importés. Au nord de la limite forestière, dans la partie sud de l’île de Baffin, la population de la capitale du Nunavut est d’environ 7 800 habitants. L’an dernier, la société a implanté un programme de culture hydroponique dans les écoles, combinant l’apprentissage pratique et l’approvisionnement en légumes frais toute l’année. On a célébré l’Action de grâce avec une récolte locale.
Ce mouvement n’est pas limité aux plus grandes villes : en 2013, sur les rives nord-ouest de la baie d’Hudson, à Naujaat au Nunavut (population : 1 082), « Growing North », organisme à but non lucratif, construisait une serre avec des éléments préfabriqués conçus pour résister au dur climat. L’an dernier, il a récolté 250 laitues, 350 plants de chou vert et les tomates de 16 plants. Il n’a utilisé que la moitié de l’espace; il y a donc possibilité d’expansion. Il a tenu son premier marché fermier, avec des produits à la moitié du coût de ceux de l’épicerie locale.— LE PERSONNEL DE LA FCF