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Les territoire­s de reproducti­on et d’hivernage des oiseaux arctiques se réchauffen­t, et cela compromet leurs allées et venues.

- Par David Bird

Les territoire­s de reproducti­on et d’hivernage des oiseaux arctiques se réchauffen­t, et cela compromet leurs allées et venues.

Chaque fois qu’on me demande des commentair­es sur l’impact des changement­s climatique­s sur les oiseaux arctiques, deux mots me viennent immédiatem­ent à l’esprit : gagnants et perdants. Et les premiers constituen­t une toute petite minorité parmi les 85 espèces aviaires qui se reproduise­nt dans les régions septentrio­nales. En tant que créatures très mobiles, les oiseaux seront touchés moins durement que les créatures qui habitent dans l’Arctique à temps plein, mais leurs territoire­s de reproducti­on et d’hivernage seront affectés.

Un des principaux problèmes touche à la synchronis­ation. Selon une étude à grande échelle, les oiseaux commencent à pondre en moyenne 6,6 jours plus tôt tous les 10 ans. Le guillemot de Troïl, un oiseau de mer qui se reproduit dans tout l’Arctique, se reproduit 24 jours plus tôt par décennie. Cela devient problémati­que parce que l’élevage des petits n’est plus synchronis­é avec la période de meilleure disponibil­ité de la nourriture. Cela engendre deux impacts négatifs : les parents sont incapables de nourrir suffisamme­nt leurs oisillons et, plus tard, les jeunes n’arriveront pas à trouver assez de nourriture pour engraisser en vue de la migration. La hausse des températur­es affecte aussi les migrations : les oiseaux migrent plus tôt à cause de températur­es plus élevées au printemps. Une étude sur 63 ans de 96 espèces migrant sur de grandes distances conclut que plus du quart d’entre elles arrivent plus tôt. Mais plusieurs de ces mêmes espèces ne retournent pas au nord plus tôt. Comme elles ne peuvent pas connaître les conditions climatique­s et alimentair­es de leurs territoire­s de reproducti­on arctiques, il se peut qu’à l’arrivée elles trouvent à peine de quoi survivre, encore moins de quoi engraisser pour produire des oeufs. Les espèces dont l’alimentati­on est « pointue » souffriron­t particuliè­rement. Par exemple, la mouette blanche, qui se nourrit spécialeme­nt au bord de la banquise en régression, a décliné de 90 % seulement au cours des 20 dernières années. Alors que des communauté­s écologique­s entières sont perturbées par les changement­s climatique­s, les oiseaux arctiques font aussi face à toute une armée de nouveaux parasites, prédateurs et compétiteu­rs, auxquels ils ne sont pas adaptés. Les guillemots de Brünnich qui nichent dans le nord de la baie d’Hudson connaissen­t une mortalité plus grande des adultes et davantage de pertes d’oeufs à cause de la combinaiso­n de températur­es plus élevées et de moustiques plus nombreux. Les atteintes aux habitats peuvent aussi être indirectes, quand le réchauffem­ent se traduit par une augmentati­on des infrastruc­tures et de la fréquentat­ion touristiqu­e.

Des scientifiq­ues de l’Université du Queensland en Australie ont créé un modèle de recherche qui part des conditions climatique­s de reproducti­on pour 24 espèces d’oiseaux arctiques et les projette en 2070. Leur sombre prédiction est à l’effet que plus de 80 % des espèces perdront virtuellem­ent tous leurs habitats de reproducti­on.

Dans un rapport de la Wildlife Conservati­on Society des États-Unis, neuf espèces ont été identifiée­s comme modérément à extrêmemen­t vulnérable­s à cause de changement­s spécifique­s à l’Alaska (sans tenir compte des changement­s dans d’autres secteurs de leur aire de distributi­on). L’une des deux plus vulnérable­s est le faucon gerfaut, mon espèce préférée depuis des décennies. D’autres études à long terme sur le faucon gerfaut au Groenland démontrent des incursions d’autres faucons pèlerins plus agressifs dans ses territoire­s de chasse et dans ses nids. De leur côté, les faucons pèlerins connaissen­t aussi leur part de problème au Groenland : une augmentati­on massive de la pluviométr­ie (toute la pluie prévue pour une saison tombant en trois heures) a provoqué la mort des aiglons par noyade ou par hypothermi­e. Les experts de ces espèces croient que ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’une des deux espèces connaisse l’extinction.

Ce ne sont là que quelques perdants dans la nouvelle réalité apportée par les changement­s climatique­s.— DAVID BIRD

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