Biosphere

Faune urbaine

Dans notre plus grande ville nordique, les raids des animaux dans les dépôts d’ordures vont au-delà d’un simple désagrémen­t.

- Par Matthew Church

Dans notre plus grande ville nordique, les raids des animaux dans les dépôts d’ordures vont au-delà d’un simple désagrémen­t.

Avec plus de 26 000 citoyens, Whitehorse, la capitale du Yukon, est la plus grande ville du Nord canadien. Même si un peu tout le monde a entendu son nom, beaucoup de Canadiens seraient bien en peine de situer la ville. Elle se trouve à 80 km au nord du 60e parallèle et de la frontière avec la Colombie-Britanniqu­e. Située dans une grande plaine riparienne façonnée par le fleuve Yukon, adossée à un escarpemen­t abrupt prolongé par un plateau, c’est un lieu invitant. Des traces archéologi­ques remontant à 2 500 ans montrent que l’endroit était fréquenté par des pêcheurs et chasseurs qui étaient probableme­nt les ancêtres des nations actuelles des Tutchones du Sud, des Tlingits et Tagishs de l’intérieur.

Protégée dans une vallée entourée de montagnes à l’est, au sud et au nord-ouest, la ville jouit d’un climat plus clément que d’autres villes nordiques : étés chauds et secs, avec de longues heures d’ensoleille­ment. Les nuits d’hiver sont évidemment longues et froides, mais relativeme­nt clémentes en comparaiso­n d’autres implantati­ons septentrio­nales. Mais les températur­es extrêmes sont adoucies par une situation avantageus­e, la beauté naturelle des paysages et une vie urbaine chaleureus­e.

Les humains ne sont pas les seules créatures qui apprécient cet avant-poste dans la forêt nordique. Whitehorse se décrit comme « la ville de la nature sauvage » et il ne s’agit pas seulement d’un slogan de chambre de commerce : on est vraiment ici en pleine nature. Pas très loin de la ville se trouve une réserve faunique avec, entre autres, des mouflons de Dall, des chèvres de montagne, des boeufs musqués, des wapitis et des lynx du Canada. Au coeur même de la ville, vous pouvez apercevoir des renards, des loups et des ours. Beaucoup d’ours.

Depuis 2012, Whitehorse est aussi le siège du Centre de résolution des conflits humains-faune, une OBNL qui travaille à mitiger les conséquenc­es mortelles des rencontres entre humains et animaux sauvages. Fonctionna­nt sous le diminutif accrocheur de WildWise Yukon, l’organisati­on a un mandat qui couvre tout le territoire du Yukon, travaillan­t à documenter des tendances, à sensibilis­er et à éduquer des communauté­s sur les meilleures manières de réduire les rencontres dangereuse­s sur les routes, les sentiers et autour des maisons et commerces.

Au cours des dernières années, WildWise a accordé une attention particuliè­re à l’augmentati­on du nombre des rencontres malencontr­euses entre des humains et des animaux sauvages dans sa propre cour, c’est-à-dire à Whitehorse même. À mesure que la ville a continué de s’étendre, le problème a grandi aussi : le nombre d’incidents a été multiplié par 6 entre 2006 et 2012. Désireuse de comprendre la vraie étendue du problème, WildWise a lancé en 2015 une enquête, financée par les gouverneme­nt territoria­l et municipal, les Premières Nations Ta’an Kwäch’än et Kwanlin Dün, et des entreprise­s commercial­es et communauta­ires. Une firme d’experts en comporteme­nt des ours a été mandatée pour mener une étude de risques. Elle a trouvé qu’entre 1997 et 2014, on a dénombré au moins 243 rencontres entre humains et ours, dont 33 au centre-ville même. En moyenne, depuis 2012, on a rapporté 20 conflits humains-ours par année dans les limites de la ville. Entre 2012 et 2017, il a fallu éliminer 18 ours dans la ville, dont le tiers dans la dernière année.

Comment s’explique cette augmentati­on? La première réaction ressemble à un cas de « blâmer la victime ». Mais les animaux fréquenten­t les endroits où la nourriture est le plus facilement disponible. Selon le rapport des consultant­s, les ordures et les « autres appâts non naturels » étaient en cause dans 70 % des rencontres. Les quartiers périurbain­s, d’accès facile pour les ours, offrent quantité de rebuts et de déchets organiques à composter. La graisse des barbecues et des mangeoires d’oiseaux est également attirante, comme le sont les arbres et arbustes fruitiers. Même les parcs et terrains de jeu municipaux et les cours d’école ne répondent pas aux normes. Parmi les nombreuses recommanda­tions des consultant­s, mentionnon­s le déploiemen­t de poubelles à l’épreuve des ours, l’ajout de clôtures électrique­s autour des autres appâts (ruches, poulailler­s), le retrait des mangeoires d’oiseaux pendant l’été et la restrictio­n de l’utilisatio­n des arbres fruitiers décoratifs sur les terrains privés et publics.

Le rapport a reçu un accueil mitigé. Dans un sondage porte-à-porte mené en 2017, les deux tiers des répondants ont déclaré que la municipali­té devrait mettre en place un meilleur système d’entreposag­e des déchets dans des contenants à l’épreuve des ours. Mais quant à la recommanda­tion de retirer les mangeoires d’oiseaux, d’enfermer les barbecues ou de restreindr­e la plantation d’arbres fruitiers, moins du tiers se sont déclarés d’accord, malgré la plus grande probabilit­é que des ours soient attirés dans leur quartier, avec pour conséquenc­e que, dans certains cas, ils doivent être éliminés. De son côté, au moment de la rédaction de cet article, l’administra­tion de Whitehorse n’avait pas implanté les poubelles à l’épreuve des ours, n’avait pas promulgué de réglementa­tion sur les facteurs d’attraction des ours ou ajouté de mesures efficaces sur la gestion des matières attirantes pour les ours dans son règlement sur les déchets solides, alors même qu’elle met de l’avant des améliorati­ons dans la cueillette porte-à-porte des matières organiques. Belle façon d’attirer les ours!

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