Biosphere

Ces eaux foisonnent de vie et ont assuré la surviedes Inuits depuis des temps immémoriau­x

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La région

Les paysages arctiques ont l’air déserts, mais ils fourmillen­t de vie. On désigne parfois cette région comme le Serengeti de l’Arctique à cause de tous les animaux et de toutes les plantes qui y vivent. Sa biodiversi­té, qui inclut des espèces que les Inuits chassent pour se nourrir comme le béluga et le phoque du Groenland, a mené les politicien­s inuits à réclamer, dès les années 1970, la création d’un statut de protection pour la région. Les scientifiq­ues sont d’accord : même si l’utilité des zones de protection marine ne fait pas l’unanimité, compte tenu de l’importance de la région, lui reconnaîtr­e un statut de protection particulie­r comporte une valeur certaine.

Tallurutiu­p Imanga abrite des espèces emblématiq­ues présentées ailleurs dans ce dossier de Biosphère, comme l’ours polaire, mais elle joue un rôle important pour d’autres espèces. Elle est cruciale pour des espèces marines comme le narval et la baleine franche, qui profitent des polynies saisonnièr­es, c’est-à-dire de grandes surfaces océaniques libres de glace. L’aire de protection proposée inclut des territoire­s de reproducti­on pour des oiseaux marins comme la mouette tridactyle et le guillemot de Brünnich : au total, près du tiers des oiseaux marins de la côte est du Canada nichent ici.

Le statut de zone protégée de la région empêchera l’exploitati­on gazière ou pétrolière et aidera à mitiger les impacts potentiels de l’ouverture à la navigation du Passage du Nord-Ouest. Dans le cadre de l’accord, on a décrété un moratoire — plutôt qu’une interdicti­on — sur l’exploitati­on pétrolière et gazière, de même que sur la prospectio­n minière. Quand une convention sera signée, ce moratoire deviendra permanent. Même si la pêche commercial­e sera interdite et que d’autres activités seront réglementé­es, les résidents de Resolute Bay, Arctic Bay et Pond Inlet pourront perpétuer leurs activités de pêche et de chasse traditionn­elle dans l’aire protégée.

« Cette région est le coeur culturel de la région; ces eaux regorgeant de vie marine ont soutenu le mode de vie des Inuits depuis des temps immémoriau­x », dit P.J. Akeeagok, président de l’Associatio­n inuite Qikiqtani à Canadian Geographic en août 2017, quand on a annoncé les limites de l’aire protégée.

Les groupes intéressés

Trois corps de gouverneme­nt travaillen­t sur les accords qui façonneron­t la zone protégée : le fédéral, le gouverneme­nt du Nunavut et l’Associatio­n inuite Qikiqtani. Même si leur annonce d’août dernier constituai­t un énoncé de principe, il reste à élaborer puis à signer un document prépondéra­nt avant la création formelle de l’aire protégée : une convention sur les répercussi­ons et les avantages pour les Inuits.

Les cinq communauté­s qui composent l’associatio­n Qikiqtani sont parties prenantes aux consultati­ons en vue de cette convention, dont la signature est nécessaire pour la création de la zone de protection. Cela constitue un test pour les relations entre les trois niveaux de gouverneme­nt au Nunavut, où s’appliquent des lois différente­s du reste du pays relativeme­nt aux consultati­ons. Et comme l’échéance pour la signature de l’accord est dans moins d’un an, il reste beaucoup de travail à accomplir.

Lors de l’annonce du projet, le communiqué gouverneme­ntal citait la ministre fédérale de l’Environnem­ent Catherine McKenna en ces termes : « Nous mettons en oeuvre un plan raisonné et intégré qui soutiendra la biodiversi­té aussi bien que les modes de vie traditionn­els. » Mais la tension entre les trois paliers de gouverneme­nt est évidente. Le fédéral soutient qu’il veut travailler sur l’accord avec les gouverneme­nts locaux et du Nunavut, qui « participer­ont » à son administra­tion. Mais les représenta­nts de l’Associatio­n déclarent qu’ils veulent aller au-delà de la participat­ion. En décembre, lors d’une conférence à Toronto, la chef négociatri­ce de l’AIQ, Sandra Inutiq, déclarait : « Ce que nous envisageon­s pour les Inuits, c’est que nous gérions et contrôlion­s complèteme­nt la zone de conservati­on. » Les communauté­s totalisent une population de 3 600 personnes, qui vivent autour de l’aire marine et en dépendent pour leur alimentati­on et d’autres

produits, de sorte qu’elles sont les plus intéressée­s dans sa bonne gestion, qu’elles connaissen­t mieux que tout autre.

Le gouverneme­nt fédéral, de son côté, a d’autres préoccupat­ions. Alors que l’annonce de l’aire de protection a rapporté son lot de bénéfices politiques au gouverneme­nt en place, il est aussi vrai que son déploiemen­t a d’importante­s conséquenc­es sur le plan de notre souveraine­té dans l’Arctique. Comme la quête pour les navires de l’expédition Franklin au cours des années précédente­s, une partie de l’action gouverneme­ntale répond à des revendicat­ions de résidents de la région de l’île de Baffin depuis les années 1970 et se trouve étroitemen­t liée au maintien du contrôle canadien dans l’Arctique.

Le gouverneme­nt fédéral a démontré son désir de négocier : quand l’accord a été annoncé en août dernier, le bureau du premier ministre a aussi signé un engagement pangouvern­emental, qui signifie que, pendant les négociatio­ns, tous les membres du cabinet y participer­ont. Avec un peu de chance, cela entraîne que tout le monde, depuis McKenna jusqu’au ministre des Pêches et Océans, peut parvenir à un accord, ce qui épargnerai­t beaucoup de lourdeur bureaucrat­ique.

L’Arctique

Même si l’aire marine protégée sera la plus grande au Canada, elle ne constitue qu’une fraction de l’Arctique canadien, vulnérable de bout en bout. Du point de vue de la conservati­on, cela constitue une étape positive, mais de nombreuses questions demeurent.

Parmi celles-ci se pose celle du financemen­t, qui devra faire l’objet d’une annonce une fois que la convention sur les répercussi­ons et les avantages pour les Inuits aura été signée. Inutiq a déclaré plus tôt cette année que la gestion de l’aire protégée pourrait apporter de la prospérité économique aux communauté­s qui en dépendent, qui souffrent de problèmes d’infrastruc­tures comme ceux liés à l’accès à l’Internet et qui connaissen­t des taux de chômage élevés. La convention sur les répercussi­ons et les avantages pour les Inuits pourrait se traduire par des occasions pour la région et motiver les responsabl­es à faire des gestes favorables à la conservati­on.

La science de la conservati­on évolue en phase avec les changement­s de l’Arctique : de nouvelles recherches relatives à la pollution, aux mouvements de navires et aux espèces arctiques s’ajoutent aux savoirs traditionn­els, démontrant que les temps sont critiques pour la préservati­on des biomes arctiques. Faire de la création de cette zone de conservati­on une réussite — autant pour la nature que pour les Inuits — est plus important que jamais.1

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LA VIE AU-DESSUS ET AU-DESSOUS Un chasseur parcourt le rivage; une baleine boréale (Balaena mysticetus) sous la glace
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