Notre Nord
L’Arctique canadien est immense, un défi à notre imagination. Pendant des siècles, l’importance de l’Arctique a été minimisée à nos yeux de sudistes. On le percevait comme un désert implacable et hostile, une étendue marquée par la neige et la glace,
vide de vie. La réalité est pourtant complètement différente.
L’Arctique canadien est immense. Il couvre plusieurs millions de km2 même si sa dimension varie selon votre définition de l’Arctique. Sa forme et sa taille sont le plus souvent mal représentées sur les cartes parce que la projection de Mercator, qui nous est la plus familière, exagère les dimensions à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur et des régions tempérées. Ainsi, les régions polaires sont plus petites que ce qu’on voit sur les cartes, mais plus grandes que ce que nous pouvons imaginer.
Pendant des siècles, l’importance de l’Arctique a été minimisée à nos yeux de sudistes. On le percevait comme un désert implacable et hostile, une étendue marquée par la neige et la glace, vide de vie. Jusqu’à récemment, on le décrivait comme « le plus grand territoire non civilisé sur terre ». Pour les premiers explorateurs européens, l’Arctique n’était pas un lieu, c’était un obstacle, bloquant le passage vers la conquête, la gloire et la richesse d’un commerce lucratif avec les opulentes cultures d’Asie. Cette perception a perduré jusqu’au 20e siècle. La majorité des Canadiens percevaient « le désert glacé », le tiers supérieur du pays, comme à peine plus qu’un environnement hostile à pénétrer et à traverser, à exploiter et à coloniser avec des avant-postes miniers et des stations de radar de la Guerre froide. Notre Arctique était aussi étranger et inhospitalier pour les Canadiens que le Sahara.
Aujourd’hui, par contre, les sudistes commencent à connaître et à apprécier le Nord. Il est certain qu’une nouvelle génération de météorologues comprend le rôle fondamental que joue le Nord canadien dans la régulation du climat mondial, rafraîchissant la planète et dirigeant les courants et circulations d’eau chaude ou froide entre les océans du nord et du sud, alors que l’Arctique produit 50 % de l’oxygène que nous respirons. Les biologistes d’aujourd’hui reconnaissent l’unique biodiversité de l’Arctique et l’environnement sauvage qui fournit des habitats à des espèces aussi distinctives que le narval, l’ours polaire, le boeuf musqué et le caribou de Peary, et des territoires de reproduction à des millions d’oies, de canards et d’oiseaux marins migrateurs. Les climatologues commencent à comprendre le rôle essentiel que jouent nos régions arctiques en tant que meilleurs « puits de carbone » de la planète, absorbant et retenant le CO2, facteur central du réchauffement. Et enfin, notre société commence à reconnaître les peuples qui y ont vécu pendant des centaines d’années, une culture riche et audacieuse qui a permis de prospérer là, en synergie plutôt qu’en opposition avec un environnement astreignant. Pour eux, le réchauffement n’est pas un problème abstrait, c’est une menace existentielle : un danger pour leur gagne-pain, leur culture et leur vie.
Les menaces sont nombreuses. Le réchauffement se manifeste dans le nord deux fois plus rapidement que dans les climats plus tempérés et force la faune et la flore à s’adapter ou à disparaître. Pour les plantes, l’allongement de la saison végétative a invité des arbres et arbustes du sud à se propager vers le nord, tandis que les lacs se vident et que les berges s’érodent, menaçant la survie des plantes indigènes. Un dégel printanier plus précoce permet à des animaux normalement présents plus au sud, y compris des espèces migratrices comme des oiseaux de mer, des renards et des ours, de se déplacer vers le nord et d’entrer en concurrence ou de croiser leurs gènes avec leurs homologues arctiques. Et l’espèce la plus destructrice de toutes envahit elle aussi le nord : les humains. Le climat plus chaud favorise l’exploration et l’exploitation des ressources, alors même que la fonte du pergélisol compromet des infrastructures existantes. L’ouverture du Passage du Nord-Ouest à la navigation commerciale et touristique apportera des espèces envahissantes, de la pollution et la destruction d’écosystèmes marins fragiles.
Il y a pourtant des raisons d’être optimiste. Les Canadiens comprennent de mieux en mieux l’importance incontournable de ce territoire riche et diversifié. Nous la découvrons dans les programmes avancés de recherche et de mesures en cours, dans la création de sanctuaires naturels et dans la collaboration avec les peuples nordiques. Dans le Sud, nous nous familiarisons avec l’idée que des actions sont nécessaires pour protéger la nature et la culture du Nord.
Dans l’extraordinaire — et quasiment musical — documentaire radio qu’a produit le pianiste Glenn Gould pour la CBC à l’occasion du centenaire de la Confédération (il y a
Jusqu’à tout récemment, l’Arctique semblait aussi éloigné et inaccessible pour les Canadiens que le Sahara. Peut-être qu’enfin, les sudistes commencent à apprécier le Nord.
plus de 50 ans — disponible sur Internet et toujours intéressant à écouter), celui-ci parle de « l’idée du Nord » comme centrale dans l’identité canadienne — notre sens de la nature, notre histoire et notre imagination. Aujourd’hui, au-delà du cercle polaire, cette ligne virtuelle placée à la latitude de 66° 30', les défis et les problèmes sont réels. Également réelles sont les occasions de définir notre nation diversifiée comme un intendant bienveillant, inclusif et tourné vers l’avenir à l’égard de cet espace d’importance planétaire. Il faudra de l’engagement, de la collaboration et, bien sûr, de l’imagination. Par-dessus tout, il faudra agir avec prudence, que nous vivions au sud ou au nord, au Canada comme partout ailleurs. Maintenant.1