Biosphere

Élever le saumon… et la conscience

À l’écloserie du ruisseau Mossom à Port Moody en Colombie-Britanniqu­e, deux professeur­s à la retraite continuent de s’impliquer dans l’oeuvre de leur vie : l’intendance environnem­entale et la formation de la relève.

- Par Isabelle Groc

À l’écloserie du ruisseau Mossom à Port Moody en ColombieBr­itannique, deux professeur­s à la retraite continuent de s’impliquer dans l’oeuvre de leur vie : l’intendance environnem­entale et la formation de la relève.

uand la petite Miriyan Belanger est sortie de l’écloserie de saumons de Port Moody en Colombie-Britanniqu­e, où on lui a enseigné le cycle du saumon du Pacifique, Rod MacVicar lui a montré comment faire un panier avec une grande feuille d’érable.

Pendant ce temps, Ruth Foster cueillait des baies de ronce remarquabl­es, pour les mettre dans le panier. Au bord du ruisseau, Ruth Foster lui a fait découvrir quelques plantes indigènes : l’oemléria faux-prunier dont les feuilles goûtent le concombre; les feuilles du sureau à grappes qui ont l’odeur du beurre d’arachide si on les écrase et les feuilles du gadellier bractéolé qui, frottées, rappellent l’arôme de la confiture de cassis.

Mme Foster et M. MacVicar, cofondateu­rs de l’écloserie de Mossom Creek, et professeur­s d’école secondaire à la retraite, espèrent laisser une impression durable à chaque enfant qui croise leur chemin, utilisant tout ce qu’ils peuvent trouver dans la nature qui pourrait servir d’outil pédagogiqu­e. « Tout cela pour qu’ils conservent leur curiosité, leur enthousias­me et leur joie à voir des choses », dit MacVicar.

Pendant plus de 42 ans, ils ont travaillé à passionner les jeunes génération­s et à les sensibilis­er aux enjeux écologique­s par le truchement du saumon. « Redonner sa place au saumon, c’est rétablir l’équilibre parce qu’il constitue une espèce de base de la mer des Salish », explique Foster.

Tout a commencé en 1976, alors que Ruth Foster et Rod MacVicar, alors

professeur­s de biologie à l’école secondaire locale de Coquitlam, ont découvert le ruisseau Mossom, à 15 minutes seulement de l’école. Dans l’eau claire comme du cristal du ruisseau qui se jette dans l’anse Burrard, il y avait des saumons, mais la surpêche et l’urbanisati­on les en ont chassés. Les deux professeur­s en ont immédiatem­ent vu le potentiel parce qu’ils cherchaien­t des expérience­s sur le terrain à faire avec leurs élèves. Ils ont décidé d’essayer de ramener les saumons au ruisseau et de rendre leurs étudiants de

11e et 12e années responsabl­es de s’en occuper. Ils ont démarré un club scolaire de saumon et, avec l’assistance de Pêches et Océans Canada, leurs élèves ont récolté des oeufs de saumon keta ailleurs et en ont relâché les alevins dans le ruisseau Mossom. « Les élèves allaient nourrir les saumons cinq fois par jour, pendant l’heure du lunch ou après l’école », se souvient Ruth Foster.

Le programme a continué de connaître le succès pendant plus de quatre décennies. « Nous pouvions sauter dans l’autobus n’importe quand avec nos jeunes. Nous visitions des sites différents pour parler de techniques de développem­ent. Un semestre, les élèves ont été sur le terrain 80 % du temps », rappelle Mme Foster. En tant que capitaine au long cours, MacVicar a aussi emmené les élèves sur l’eau, ce qui fournissai­t des occasions de découverte sur l’environnem­ent marin. « Nous voulons aborder l’écosystème au complet, pas seulement un petit habitat », dit-il.

Pendant les sorties sur le terrain, Rod MacVicar conduisait l’autobus pendant que Ruth enseignait. Leur long engagement envers la gestion environnem­entale et l’éducation se reflète dans la persistanc­e de leur collaborat­ion profession­nelle. Pendant toutes ces années, leurs conjoints respectifs (Ruth Foster est mariée depuis 45 ans et Rod MacVicar connaît son épouse depuis 70 ans) ont plaisanté : par moments, Foster et MacVicar se voyaient plus souvent qu’ils ne voyaient leurs conjoints. « La réussite tient à un bon partenaria­t. Nous avons accompli beaucoup plus ensemble à cause de nos différence­s et de nos ressemblan­ces. Les forces de Ruth correspond­ent à mes faiblesses », précise Rod MacVicar. Ruth Foster ajoute : « Je pense que Rod est le déclencheu­r ou l’accélérant et que je suis la colle. Il a toutes ces idées, et je les applique parce que je suis précise et méthodique. »

Grâce à cette symbiose, les deux professeur­s ont été largement reconnus pour leur approche novatrice en éducation. Ruth Foster, par exemple, a reçu une médaille d’or lors de l’attributio­n des Prix canadiens de l'environnem­ent en 2006 dans la catégorie éducation environnem­entale. Et aujourd’hui, l’écloserie, construite en majeure partie par des bénévoles, relâche des saumons keta, coho, roses et chinook.

Quand les premiers saumons ont été relâchés, très peu sont revenus, et même aujourd’hui, les retours peuvent être modestes. Pour les deux professeur­s, le projet n’a pas pour objet le retour d’un grand nombre de poissons, mais vise plutôt à toucher les gens. « Le projet vise à établir une gestion environnem­entale et à modifier l’attitude de la population », explique Rod. « D’une certaine manière, j’aime mieux voir des gens arriver que des poissons. » « Nous n’élevons pas que des saumons; nous élevons aussi des enfants. Et les élèves reviennent sans cesse, comme les saumons », ajoute Ruth. Les deux sont très fiers du grand nombre de leurs élèves qui ont fait carrière dans des domaines connexes. « Nous nous préoccupon­s de qui ces jeunes gens vont devenir, et de comment ils vont voter », ajoute Ruth Foster.

Pendant plus de 20 ans, les deux professeur­s ont tenu leur programme du Salmon Sunday à l’écloserie pour réunir un groupe de bénévoles. « C’est l’église de Mossom », conclut Ruth Foster. « Les gens se présentent, ils restent impliqués : il s’agit de former une communauté. » Une de ses plus grandes joies est de revoir d’anciens élèves qui reviennent à l’écloserie avec leurs enfants. « Ils se soucient de cet endroit, et ils aiment savoir qu’il y a deux vieux professeur­s qui savent qui ils sont et qui se souviennen­t d’eux et des expérience­s qu’ils ont partagées sur le terrain.

Pour en apprendre davantage au sujet de l’écloserie et du Centre éducatif du ruisseau Mossom, ouvrez une session sur mossomcree­k.org.

Nous n’élevons pas que des saumons; nous élevons aussi des enfants. Et les élèves reviennent sans cesse, comme les saumons », dit Ruth Foster.

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Depuis plus de quarante ans, Ruth Foster et Rod MacVicar ont inculqué aux jeunes l’amour inconditio­nnel de la nature et la responsabi­lisation face à l’environnem­ent.

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