Biosphere

Guide de terrain

En Nouvelle-Écosse, une plante rare affronte le défi de survivre.

- Par Mel Walwyn

La benoîte de Peck : en Nouvelle-Écosse, une plante rare affronte le défi de survivre près de la baie de Fundy.

La baie de Fundy est une des sept merveilles de la nature en Amérique du Nord. Ainsi désignée en 2014 par un panel d’experts, elle se retrouve aux côtés des chutes du Niagara et du Grand Canyon. La baie de Fundy est incontesta­blement une merveille : on y observe les plus hautes marées du monde, c’est une zone de transit pour les baleines rares et on y trouve régulièrem­ent des fossiles de dinosaures et des minéraux semi-précieux. De plus, située entre l’équateur et le pôle Nord, la baie de Fundy est d’une très grande beauté.

J’ai récemment découvert une autre raison de chérir cette région extraordin­aire : elle est la seule au Canada (et une des deux au monde) à héberger la délicieuse benoîte de Peck (Geum peckii). En fait, cette fleur ne se trouve que sur l’île Brier et dans la région de East Ferry, située près d’une ancienne formation volcanique à l’extrémité sud de la péninsule de Digby, au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. L’artiste handicapée Maud Lewis vient de cette région, ainsi que Samuel Langford (1883-1956), le « Boston bonecrushe­r » (le broyeur d’os de Boston) décrit par ESPN comme le « plus grand boxeur que personne ne connaît », certaineme­nt à cause du racisme de son époque.

Geum peckii est une bagarreuse aussi. Cette vivace qui fait partie de la famille des roses est pourvue de feuilles dures et coriaces (souvent une grande feuille et quelques petites). Au-dessus, de une à cinq fleurs jaunes voyantes à cinq pétales présentent un guide nectarifèr­e orangé au centre, au-dessus d’une tige sinueuse et longue de 20 à 40 cm. La benoîte de Peck fleurit de juin à septembre et elle suit le soleil dans sa course. Une fois pollinisée, elle produit jusqu’à 60 graines qui, contrairem­ent à celles des autres membres de sa famille, n’ont pas de moyen de diffusion à distance. À l’automne, ses feuilles deviennent rouge sang.

Pour une population si peu nombreuse, la benoîte de Peck présente une résilience remarquabl­e : en NouvelleÉc­osse, elle se retrouve dans les marécages et les tourbières, le long des rives des lacs et des ruisseaux, ainsi que dans les bois et dans les pâturages abandonnés, dans des sols riches, frais et humides (mais pas mouilleux).

Étrangemen­t, par une bifurcatio­n unique chez les plantes vasculaire­s, le seul autre endroit où on rencontre Geum peckii se trouve 400 km à l’ouest sous des climats plus arides, assez haut dans la zone alpine du mont Washington au New Hampshire, le long de torrents et dans les prés.

C’est près du mont Washington que le grand botaniste William Peck a découvert Geum peckii

(d’où son nom). La benoîte a été cataloguée et nommée par un étrange individu : Frederick Pursh, un botaniste né en Allemagne qui changeait constammen­t d’emploi en Amérique, travaillan­t parfois comme jardinier itinérant, malgré une compétence certaine en botanique. Il fut engagé pour cataloguer et publier les résultats de l’expédition de Lewis et Clark à l’époque, sous la direction de Thomas Jefferson lui-même. Cependant, avant la fin de ce prestigieu­x projet, dans de mystérieus­es circonstan­ces, Frederick Pursh quittait l’Amérique pour l’Angleterre et plus tard la Russie, emportant avec lui des parties importante­s du « trésor national » de spécimens de plantes de Meriwether Lewis. Il a publié un seul livre : Flora Americae Septentrio­nalis, assez bien accueilli, bien qu’ignoré à cause de ses manières rugueuses et de la manière mesquine dont il reconnaiss­ait les contributi­ons des autres botanistes. À sa mort en 1820, à l’âge de 46 ans, Frederick Pursh était un alcoolique sans ressources, coincé à Montréal après l’annulation d’un contrat comme botaniste à la rivière Rouge, avec Robert Semple, gouverneur de la Terre de Rupert. Robert Semple fut défait et tué lors des « guerre du pemmican » opposant la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest qui convoitaie­nt les richesses situées à l’ouest de l’Ontario.

Malgré sa constituti­on robuste, la benoîte de Peck est menacée par plusieurs dangers, en particulie­r par les fossés de drainage creusés dans les années 1950 alors qu’on espérait convertir la région à l’agricultur­e. Cet assèchemen­t encouragea la formation de colonies de goélands. Pendant trente ans, le sol s’est transformé grâce à l’azote provenant de grandes quantités de guano. Bientôt, la benoîte de Peck, qui adore le soleil, s’est retrouvée à l’ombre à la suite d’une croissance significat­ive des végétaux. De plus, à cause des utilisatio­ns humaines (plus de routes et plus de véhicules tout-terrain hors routes, les déversemen­ts d’ordures, le pâturage de moutons, l’extraction de la tourbe et même l’écotourism­e et la cueillette de fleurs), la plante est terribleme­nt menacée. Désignée comme espèce menacée et protégée comme espèce en péril, il se peut que la benoîte de Peck survive au Canada, mais ses chances sont précaires. Si elle s’éteint, une histoire fascinante disparaîtr­a avec elle.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada