Biosphere

La vie qui bat

Certaines créatures bizarres, comme le minuscule tardigrade ou le formidable poulpe, ont inspiré des théories sur de possibles origines extraterre­stres... littéralem­ent.

- Par Jay Ingram

Venues d’ailleurs? Certaines créatures bizarres, comme le minuscule tardigrade, ont inspiré des théories sur de possibles origines extraterre­stres.

Je suis récemment tombé sur un titre laissant entendre que les pieuvres sont des extraterre­stres. Elles ont en effet des capacités étranges, mais de là à penser qu’elles viennent d’ailleurs… Mais, encore plus surprenant, l’idée était exprimée dans un article scientifiq­ue « La cause de l’explosion du Cambrien — terrestre ou cosmique? » paru dans la revue Progress in Biophysics and Molecular Biology.

Il y a un conte un peu tordu ici : d’une part, presque tous les 30 auteurs cités ont souvent fait des affirmatio­ns audacieuse­s et controvers­ées qui vont à l’encontre d’opinions scientifiq­ues bien ancrées. D’autres scientifiq­ues les ignorent, certains en discutent, mais très peu les acceptent.

D’autre part, cet article établit des liens entre des fragments d’informatio­ns scientifiq­ues extrêmemen­t intéressan­ts, depuis les origines de la vie jusqu’à la recherche de planètes habitables dans la galaxie et jusqu’à de véritables casse-têtes biologique­s. Parmi ces mystères, l’auteur identifie deux espèces qu’il prétend être venues de l’espace : le tardigrade et la pieuvre.

Évidemment, il s’agit là d’espèces très différente­s, et quasiment sans lien, mais chacune nous procure un élément d’un argument plus général. Dans les années 1980, l’astronome réputé Fred Hoyle s’est associé à l’astrobiolo­giste Chandra Wickramasi­nghe pour formuler une hypothèse hérétique selon laquelle la vie n’avait pas ses origines sur Terre, mais avait plutôt été apportée ici dans la queue d’une comète et des météoroïde­s, des essaims de météoroïde­s.

Une telle forme de vie aurait été contrainte de demeurer gelée et baignée de radiations dans l’espace pendant des centaines de millions d’années. Les tardigrade­s, des micro-animaux à peine visibles, à huit pattes, qui ressemblen­t à des oursons jouets de la taille d’un point, semblent avoir toutes les caractéris­tiques pour accomplir ce voyage. (Voyez à ce sujet la chronique d’Alanna Mitchell dans Biosphère de janvier-février 2016, disponible en ligne). Ils résistent à des températur­es aussi basses que 0,5 °C au-dessus du zéro absolu, pendant plusieurs heures, ou aussi élevées que 150 °C, à des doses de radiations équivalent­es à ce qu’on rencontre dans l’espace, et à des pressions égales à six fois ce qu’on mesure au fond de la fosse des Mariannes.

Les auteurs de l’article se demandent pourquoi un animal terrestre posséderai­t des qualités si surnaturel­les. Quelle valeur aurait pu trouver la sélection naturelle dans la capacité de résister à des températur­es ou des radiations à peu près jamais rencontrée­s sur Terre? La réponse orthodoxe est que ces petites créatures se sont adaptées à la diversité des changement­s environnem­entaux qu’elles peuvent rencontrer dans divers habitats terrestres — de sorte qu’on les retrouve pratiqueme­nt partout. Mais, pour les scientifiq­ues qui nous préoccupen­t, cela n’est pas assez. Pour eux, les tardigrade­s doivent venir d’un environnem­ent extrême quelque part dans l’espace. Il vaut tout de même la peine de se poser la question de la source de ces adaptation­s, mais seuls les plus fervents adeptes de la « panspermie » (l’origine extraterre­stre de la vie) sauteraien­t sur cette conclusion.

Le poulpe nous est plus familier et remarquabl­e par plusieurs de ses caractéris­tiques : ses tentacules sont pourvus de leur propre système nerveux et peuvent bouger indépendam­ment du cerveau de l’animal, sa peau a la capacité d’imiter la couleur et la texture du fond où il se trouve et son intelligen­ce le classe dans la même ligue intellectu­elle que les primates. Comme pour le tardigrade, l’histoire de ces adaptation­s est mystérieus­e, puisque son premier ancêtre, le Nautilius pompilius, ne possède aucune de ces caractéris­tiques.

Le génome du poulpe comporte sa propre part de surprises et de mystères. En particulie­r, il possède la machinerie moléculair­e pour modifier les produits de ses gènes sans vraiment changer (ou faire muter) les gènes eux-mêmes. Dans un sens, donc, son génome est très conservate­ur et évolue lentement. Mais, d’autre part, ces animaux peuvent déclencher des changement­s substantie­ls et relativeme­nt soudains dans les bouquets de protéines produits par ces gènes.

Cette machinerie n’est pas exclusive aux pieuvres — nous, les humains, la possédons aussi —, mais, chez la plupart des autres espèces, dont les humains, c’est un petit fragment de production génomique, tandis que, chez le poulpe, c’est central à son métabolism­e. Et cette capacité de modificati­on est particuliè­rement active pour les gènes responsabl­es du système nerveux du poulpe.

Comment expliquer, à cet égard, qu’il soit si différent de la plupart des formes de vie modernes? Les auteurs de l’article suggèrent que cette machinerie génétique est venue de l’espace « le plus plausiblem­ent sous la forme d’un groupe déjà cohérent de gènes fonctionne­ls au sein (disons) d’oeufs de poulpes fertilisés, cryopréser­vés et protégés par une matrice ». Exactement : des oeufs de pieuvre de l’espace.

Après vous avoir lancé deux affirmatio­ns incroyable­s, j’admets que je n’ai même pas abordé l’argument principal de l’article, à savoir qu’une explosion de virus, il y a plus de 500 millions d’années, a déclenché ce qu’il est convenu d’appeler l’explosion cambrienne, l’apparition soudaine dans les registres fossiles de la plupart des ancêtres de la vie moderne — le type de fossiles que l’on rencontre dans les schistes de Burgess en Colombie-Britanniqu­e.

Mais je n’ai pas à le faire; le tardigrade et le poulpe suffisent à nous rappeler qu’il existe et qu’il existera toujours une petite, mais tenace, minorité de scientifiq­ues qui croient que la vision orthodoxe, à savoir que toute forme de vie a évolué ici même sur Terre, est tout simplement trop paroissial­e.a

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