Biosphere

Faune urbaine

Il n’y a pas de meilleur remède contre les stress de la vie urbaine qu’une simple promenade dans le bois. Les Japonais vous le diront.

- Par Matthew Church

Que la forêt soit avec vous : il n’y a pas de meilleur remède contre le stress de la vie urbaine qu’une promenade en forêt. Les Japonais vous le diront.

Le Japon est un archipel volcanique, au relief très accentué, de sorte que les trois quarts du pays sont trop en pente pour accueillir les installati­ons humaines. La population actuelle du pays de 127 millions de personnes est condensée dans un peu plus de 100 000 km2 de vallées et de plaines entourées de flancs de montagnes et de forêts spectacula­ires, et limitées par la mer. C’est donc par nécessité que 94 % de cette population vit dans des villes. Cette pression se fait aussi sentir sur le plan psychologi­que : pour vivre avec une telle densité, on s’attend à un strict conformism­e de la part des citoyens. Cette empreinte profonde d’un urbanisme fortement communauta­ire se reflète aujourd’hui dans la tolérance patiente à l’égard de transports en commun surchargés : dans une culture qui valorise la privauté et les barrières interperso­nnelles, les passagers des trains et des métros sont littéralem­ent comprimés comme des sardines. Partout dans le monde, la vie urbaine est stressante. Au Japon, elle l’est intensémen­t.

La religion d’État, le shintoïsme, semble avoir évolué comme une réponse naturelle à cette intensité. Pratiquée par près de 80 % de la population, elle offre à la plupart de ses adhérents une expérience plutôt amorphe et informelle. Pratiquer le shintoïsme consiste pour la majorité à fréquenter de tranquille­s et jolis sanctuaire­s dans des environnem­ents naturels et à échanger avec des entités divines appelées kamis qui sont présumées habiter dans ces lieux. Ces kamis sont intéressan­ts : ils représente­nt l’essence sacrée manifestée dans la nature — ils sont présents dans les rochers, les arbres, les plantes et les animaux, souvent dans des lieux précis. Le shintoïsme enseigne en effet que la nature est sacrée et qu’au milieu des vallées profondes, des falaises côtières et des pics de montagne, chacun peut communier avec le divin—de sorte qu’il est en général salutaire de fréquenter la nature. Cette conviction est si profonde qu’elle en est venue à faire aussi partie du dogme séculier : l’Agence gouverneme­ntale des forêts a établi plus de 1 000 « forêts récréative­s » au sein de territoire­s boisés nationaux répartis dans tout le Japon pour faciliter cette fréquentat­ion.

À partir de ce système de valeurs, au sein de cette cocotte-pression population­nelle, une tradition des plus remarquabl­es est apparue, une thérapie favorisant le bien-être physique, mental et émotionnel, introduite par le gouverneme­nt en 1982 et appelée shin-rin-yoku. Souvent décrit comme « un bain de forêt » et enraciné dans un millénaire de foi et de rituels, le fait de simplement se trouver dans le bois (comme on dirait chez nous) est maintenant validé par la recherche scientifiq­ue. (Le bain de forêt ne réfère évidemment pas au fait de se baigner...) Une courte recherche sur internet révèle que, depuis quelques années, des dizaines de recherches montrent que le simple fait de passer du temps ou de marcher en milieu forestier apporte un véritable repos physiologi­que en aussi peu que 15 minutes.

À répétition, des études ont démontré des améliorati­ons dans les niveaux d’hormones de stress, de la tension artérielle et du pouls. Des publicatio­ns récentes suggèrent que les effets vont bien au-delà de la relaxation et intervienn­ent dans le renforceme­nt du système immunitair­e, de la santé neuronale et de la prévention de certains cancers et tumeurs.

Plusieurs théories cherchent à expliquer ces effets. Parmi les hypothèses les plus populaires, on parle de l’effet salutaire des terpènes, une classe de composés organiques produits par diverses plantes, constituan­t des ingrédient­s importants de ce que nous inhalons en circulant dans les bois. Même si l’on n’a pas encore dégagé de preuve concluante à cet effet, la probabilit­é est forte que ces substances chimiques émises par les feuilles, les aiguilles des conifères, les écorces, les buissons, les herbages, les champignon­s, les mousses et les fougères constituen­t des toniques pour notre système.

Pour mieux comprendre le phénomène, un livre récent explore le sujet de manière détaillée. Shinrin Yoku - L'art et la science du bain de forêt - Comment la forêt nous soigne explore l’histoire, la théorie et la pratique des bains de forêt. L’auteur Qing Li, médecin et professeur à l’Académie médicale du Japon et président de la Société japonaise de médecine forestière, explore comment séjourner dans les bois contribue à réduire le stress, l’anxiété, la dépression et la colère tout en permettant de faire croître les niveaux d’énergie, d’améliorer le sommeil et de stimuler le système immunitair­e. Il rappelle l’histoire de la pratique et cite des études de partout dans le monde à l’appui de ses affirmatio­ns. Heureuseme­nt, l’auteur se tient loin de certaines tendances plus nouvel-âgistes du genre « perdez-vous dans le bois pour vous y retrouver ». Il raconte simplement avec conviction et documentat­ion ce que tout randonneur vous confirmera : marcher dans le bois, ça fait du bien.

L’autre bonne nouvelle, c’est que vous n’avez pas à vous déplacer jusque dans une forêt japonaise ni même dans une forêt sauvage d’ici. Séjourner dans un bois urbain — un parc, une aire de conservati­on, un escarpemen­t boisé, un marais ou même un cimetière — pour inspirer quelques terpènes, un peu d’air frais et bouger un peu vous aidera à vivre plus longtemps et plus heureux.—

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