DANS LES FERMES PISCICOLES
Parmi les Premières Nations et les conservationnistes, plusieurs groupes craignent que des agents pathogènes et des poux du poisson provenant des piscicultures à enclos ouvert infectent les populations de saumons sauvages. Et cela en particulier autour de l’archipel de Broughton à la pointe nord-est de l’île de Vancouver, où les saumons passent par un étranglement lorsqu’ils se rendent à l’océan. On craint aussi que le saumon atlantique s’échappe et entre en compétition avec les espèces indigènes. Une de ces évasions s’est produite en 2017, dans une ferme piscicole de l’État de Washington près de la frontière canadienne, alors que les grandes marées et les courants ont fait imploser des enclos, permettant à 300 000 poissons de s’échapper.
D’après les données du MPO, on a retrouvé du saumon atlantique dans 81 rivières et ruisseaux de Colombie-Britannique. Cependant, le biologiste principal de la gestion environnementale des exploitations d’aquaculture du même ministère, Byron Andres, prétend qu’il n’y a aucune preuve de reproduction croisée entre le saumon d’élevage et le saumon du Pacifique, ou que le saumon d’élevage s’implante dans le réseau hydrographique de la province.
On n’a pas encore résolu la question de l’impact négatif de la présence de fermes piscicoles sur les populations de saumons sauvages, mais l’impact économique ne peut être nié. Il y a maintenant 120 fermes qui élèvent 1,3 million de poissons, dont
90 % de saumon atlantique. Pratiquement toutes ces entreprises appartiennent à des intérêts norvégiens et la plus grande partie de la récolte est exportée outre-mer. En fait, le saumon atlantique d’élevage est le produit d’exportation de fruits de mer le plus important de Colombie-Britannique, et sa production génère 525 M$ par année.
La situation est complètement à l’inverse de ce qui se passait il y a 30 ans. En 1990, en Colombie-Britannique, on produisait 18 000 tonnes de saumons d’élevage contre 100 000 tonnes de saumons sauvages. Aujourd’hui, on produit 80 000 tonnes de saumons d’élevage alors que la récolte de saumons sauvages est réduite à 20 000 tonnes.
En juin 2018, le gouvernement de la Colombie-Britannique votait des nouveaux règlements qui pourraient changer la façon dont le saumon atlantique est élevé dans la province. Pour que leur permis soit renouvelé, les compagnies qui élèvent le poisson doivent obtenir le consentement des Premières Nations locales, et le MPO doit certifier que l’exploitation piscicole ne risque pas de nuire aux populations de saumons sauvages. Cependant, ces changements n’entreront en vigueur qu’en 2022, lorsque les permis de la plupart des fermes piscicoles devront être renouvelés. Adam Olsen du Parti vert de Colombie-Britannique a fortement critiqué le délai de mise en application des règlements : « C’est comme si les chirurgiens annonçaient qu’ils commenceront en 2022 à se laver les mains avant une opération alors que ça devrait être une pratique normale depuis toujours. »
Bien sûr, la perte de stocks de saumons sauvages est bien plus qu’une question économique. Le saumon est une espèce fondamentale, essentielle à la santé de l’écosystème. Après leur mort, leurs corps pourrissants rapportent des nutriments précieux aux réseaux hydrographiques et fournissent de la nourriture aux autres animaux et de l’azote à la terre. Dans son livre King of Fish, David Montgomery écrit : « Jusqu’au tiers de l’azote des forêts des vallées a déjà nagé dans les rivières sous forme de poisson. Les arbres poussent trois fois plus vite sur les rives des rivières à saumons que dans les lieux où il n’y a pas de saumons. »
Dans ce climat de spirale tragique, on cherche des signes d’optimisme. L’espoir vient du poisson lui-même : c’est une espèce résiliente au taux de reproduction élevé, qui s’adapte rapidement, et qui diversifie ses populations. Le saumon peut rebondir avec un soutien adéquat comme cela se produit lors de la revitalisation d’anciennes rivières à saumons. Dans le ruisseau Still de Vancouver, rivière très polluée, revitalisée par la ville, on a vu en 2012 le saumon revenir pour la première fois en 80 ans et chaque année depuis.
L’histoire du saumon rouge de l’Okanagan peut aussi nous inspirer. Au milieu des années 1990, cette souche de saumon qui doit contourner des barrages pour atteindre son lieu de frai dans le centre de la C.-B. était pratiquement éteinte.
Mais grâce aux efforts d’une coalition, le saumon est de retour avec éclat! En fait, il y a tant de saumons rouges dans le lac Okanagan que le MPO a pu ouvrir la pêche récréative qui n’avait jamais eu cours dans cette région.
D’un point de vue stratégique, Michael Price aimerait qu’il y ait une transition de la pêche commerciale de stocks mélangés qui capture les saumons près de l’embouchure des fleuves vers la pêche « terminale » qui prend les poissons plus près de leur lieu de frai. Il explique : « Fait à noter, c’est que les Premières Nations ont utilisé ce système pendant des milliers d’années sur les côtes de C.B. Nous devons apprendre du passé si nous désirons un futur durable. » Price ajoute : « Cette approche nous permet de cibler les populations considérées comme abondantes tandis que les espèces en régression sont capables d’échapper aux pêcheries et de frayer dans leurs cours d’eau natals. »
Aaron Hill est convaincu que tout est en place pour un rétablissement du saumon. « Nous avons une politique du saumon sauvage solide; une excellente loi pour des ressources en eaux durables et une nouvelle loi sur les pêches améliorée. Nous devons obtenir des politiciens qu’ils fassent respecter les lois et règlements qui existent et qu’ils remettent en vigueur ceux qui protègent l’environnement ».
Si l’espoir de rétablissement commence avec le saumon, son avenir est entre les mains de la population. En étudiant des sondages réalisés par son organisme (le Watershed Watch Salmon Society), Aaron Hill est convaincu qu’il y a un fort soutien populaire à l’idée d’une meilleure gestion du saumon. « Les gens veulent des populations de saumons en santé parce que c’est une partie intégrante de notre identité culturelle. Quand on veut, on peut.