Biosphere

Le macroscope

Les changement­s climatique­s engendrent des modificati­ons subtiles dans la coloration des animaux. Cela pourrait avoir un impact significat­if sur leur survie.

- Par Alanna Mitchell Illustrati­on de Pete Ryan

Les changement­s climatique­s induisent de subtiles évolutions dans la coloration des animaux. Comment cela influencer­a-t-il leur survie future?

EST-CE QUE L’ACCUMULATI­ON DES EFFETS ANTHROPOGÉ­NIQUES SUR LA PLANÈTE ALTÈRE LA COLORATION

des plumes de la queue d’un verdier, la teinte du ventre d’un lézard, la nuance d’une nageoire de truite?

Est-ce à dire, en d’autres termes, que nous ne modifions pas seulement les aspects « macros » de notre environnem­ent — par exemple les glaciers et le pergélisol, le niveau des océans, les sécheresse­s, les inondation­s ou les canicules —, mais aussi les dimensions « micros »?

C’est la question surprenant­e soulevée dans un nouvel article paru au Royaume-Uni dans les Proceeding­s of the Royal Society B, sous l a plume (entre autres) de Andrew Hendry, biologiste à l’Université McGill de Montréal. Mais pourquoi, de prime abord, les animaux ont-ils des couleurs différente­s — ou des couleurs tout court?

Pour des raisons multiples. Le camouflage en est une évidente : votre livrée peut vous permettre de disparaîtr­e dans le paysage, de vous cacher de vos prédateurs ou de vous rendre visible comme le nez au milieu du visage. Pensez au lièvre arctique, dont l’épaisse fourrure devient blanche comme neige en hiver et gris-bleuâtre — la couleur des rochers de la toundra — au printemps.

La coloration peut déterminer si vous vous accouplere­z ou pas avez le partenaire que vous convoitez. Par exemple, les femelles des poissons cichlidés du lac Victoria sont capricieus­es quant aux teintes de bleu métallique des nageoires dorsales de leurs géniteurs.

Mais les couleurs ont des significat­ions bien plus vastes. Certaines sont déterminée­s par une pigmentati­on héréditair­e, comme celle de la mélanine, et ont d’importants effets sur le fonctionne­ment du corps. Par exemple, ces pigments peuvent réfracter les rayons ultraviole­ts ou les laisser passer. La couleur peut absorber la chaleur ou la repousser. Les créatures plus sombres sont en général plus actives et brûlent davantage de calories. Les animaux plus pâles peuvent survivre avec moins de nourriture. Les couleurs plus foncées ont la capacité inexpliqué­e de déjouer la pollution par les métaux lourds toxiques. Les plumes foncées ne se dégradent pas sous l’assaut des bactéries aussi rapidement que les plumes pâles. La coloration contribue à déterminer l’efficacité de votre système immunitair­e, y compris votre production d’anticorps.

Mais en plus d’agir sur la physiologi­e des animaux, les couleurs peuvent aussi déterminer leurs comporteme­nts. Plus sombre est la couleur de votre fourrure, de votre plumage, de votre peau ou de vos écailles, plus vous serez dominant. Les animaux plus foncés sont plus agressifs, plus audacieux, plus actifs sexuelleme­nt et plus susceptibl­es de vivre en groupe, pour des raisons qui ne sont pas entièremen­t comprises.

Ces caractéris­tiques influencen­t comment une créature contracte des maladies ou des parasites et comment elle s’en défend.

Mais à mesure que le monde se réchauffe et se transforme de multiples façons, les vertébrés font face à des nouveaux stress sans précédent, qui les rendent plus vulnérable­s aux maladies. Autant ces canicules, ces vagues de froid, ces ouragans et ces pluies de mousson affectent les humains, autant ils perturbent aussi les espèces sauvages. Les végétaux envahissan­ts attirent de nouveaux insectes. La pollution affaiblit les systèmes immunitair­es. Comment travailler­ont les couleurs dans ce nouveau monde où abondent les pathogènes?

Prenez les verdiers (petits passereaux européens) comme exemple des défis à l’horizon. En 2005, une nouvelle maladie parasitair­e, Trichomona­s gallinae, commença à tuer de nombreux verdiers au Royaume-Uni et dans le nord de l’Europe. L’émergence de nouvelles maladies infectieus­es est liée au réchauffem­ent mondial. Une petite étude émanant d’Estonie, publiée en 2014, a montré que les plumes de la queue des verdiers qui n’avaient pas succombé à la maladie étaient de 22 % plus foncées que celles de ceux qui en étaient morts. Les plumes plus foncées protégeaie­nt en quelque sorte les oiseaux des parasites. Peut-être est-ce parce que les oiseaux plus pâles avaient un moindre accès à la nourriture et s’en trouvaient affaiblis? Peut-être la raison était-elle autre.

Au travers de la lorgnette de l’évolution, ces trouvaille­s signifient que les verdiers avec les queues foncées ont plus de probabilit­é de survivre, de se reproduire, de transmettr­e leurs gènes et leur coloration. Il est donc probable qu’à l’avenir, les verdiers aient des queues plus foncées.

Pourquoi est-ce important? Les conséquenc­es pourraient avoir une grande portée, mais on ne les connaît pas encore. Est-ce que d’autres espèces seront touchées? Probableme­nt.

Le réchauffem­ent mondial favorise la diffusion des maladies. Il peut aussi modifier la coloration des animaux et leur capacité à résister aux infections. Comment interagiss­ent ces facteurs? Les biologiste­s pourraient-ils commencer à utiliser la coloration pour prédire les réactions de diverses espèces à cet univers étrange que nous sommes en train de créer?

Cette question me fascine. Elle met en lumière la dimension épique des changement­s que les humains sont en train de déchaîner. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les fléaux bibliques que nous observons et documenton­s. Nous nous penchons sur la couleur des poils de la queue d’un écureuil.

Nous pataugeons dans l’évolution dans des dimensions que nous comprenons à peine.

Il y a des dangers, évidemment. Mais il y a aussi une insulte à notre âme. Si nous sommes en train de perdre les couleurs que la nature a si patiemment créées, quelle sorte d’espèce pourrons-nous être?

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