Biosphere

La Station de recherche de Mingan

Le golfe du Saint-Laurent, autour de l’île d’Anticosti, accueille chaque été des rorquals bleus, communs, à bosse et des petits rorquals — de même qu’un groupe de recherche internatio­nal unique : la Station de recherche des îles Mingan.

- Par Michel Tanguay

Á1000 km à l’est de Montréal, près de l’extrémité de la route 138,

qui longe la rive nord du fleuve et de l’estuaire du Saint-Laurent, se trouve le village de Longue-Pointe-de-Mingan de 482 habitants. À l’entrée du village, un pavillon d’accueil est partagé par la Station de recherche des îles Mingan (connue sous son acronyme anglais MICS — Mingan Island Cetacean Study) et Parcs Canada, qui gère la principale ressource touristiqu­e de la région : la réserve du parc national des îles de Mingan, un archipel de 40 îles, sur 150 km2, rendu célèbre par ses spectacula­ires monolithes, grottes et falaises, parsemés de fossiles témoignant de la vie océanique d’il y a 450 millions d’années. Le pavillon abrite des maquettes en vraie grandeur de diverses baleines et dauphins, des vertèbres, des fanons, des montages de squelettes de même que des vidéos d’archives. Chaque été, les eaux du golfe Saint-Laurent accueillen­t diverses espèces de rorquals : bleus, à bosse, communs, petits rorquals et baleines franches (ou noires), entre autres.

C’est pourquoi le MICS a choisi de s’y installer. Il s’agit d’un regroupeme­nt internatio­nal de chercheurs spécialist­es de la biologie et de l’écologie des mysticètes du golfe et de l’Atlantique Nord.

Cette organisati­on sans but lucratif s’appuie sur une équipe permanente de quatre dirigeants pour sa direction scientifiq­ue et administra­tive et ses communicat­ions. Elle n’est pas affiliée avec une agence gouverneme­ntale ou une institutio­n académique, mais elle collabore avec des chercheurs de plusieurs université­s des Amériques et de l’Europe. Le MICS a été fondé en 1979 par Richard Sears, un biologiste franco-américain passionné des baleines. Il demeure président de l’organisati­on, mais partage maintenant la direction scientifiq­ue du groupe avec Christian Ramp, d’origine allemande, docteur en biologie marine diplômé de l’Université St.Andrews en Écosse. Au fil de ses 40 ans d’activité, le MICS a été un pionnier de la photo-identifica­tion des baleines individuel­les et l’organisati­on pionnière au monde dans l’identifica­tion des baleines bleues.

Le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent sont les étendues marines les plus au sud à être couvertes de glace en hiver (même si cette couverture est progressiv­ement réduite par le réchauffem­ent). Cela signifie que les baleines n’y viennent pas en hiver. Par contre, elles viennent en été quand le mélange entre l’eau descendue de l’Arctique par le détroit de Belle-Isle et l’eau douce du fleuve Saint-Laurent permet une abondante production d’espèces planctoniq­ues comme les copépodes et le krill, dont se nourrissen­t les baleines à fanons.

Année après année, les baleines qui viennent dans l’estuaire et le golfe sont photograph­iées et identifiée­s, et leurs déplacemen­ts sont documentés. Chaque été, entre 20 et 25 stagiaires bénévoles s’installent au MICS pour collaborer à l’inventaire photograph­ique des baleines présentes dans le golfe. Des étudiants à la maîtrise et au doctorat (au cours des dernières années, il en est venu d’Allemagne, du Royaume-Uni, de France, des Pays-Bas, des États-Unis et de diverses université­s canadienne­s) passent à Mingan pour pousser leurs recherches sur la biologie, le comporteme­nt et l’écologie des cétacés. L’organisati­on sans but lucratif tire une partie de ses revenus de partenaria­ts de recherche. Elle se finance aussi en accueillan­t des touristes qui veulent partager quelques jours à bord de ses bateaux d’observatio­n.

Du début des années 1980 à la fin de 2017, les équipes du MICS ont identifié plus de 870 baleines à bosse, 524 rorquals bleus et 635 rorquals communs.

Quand le temps le permet (le brouillard et d’autres intempérie­s peuvent rendre la navigation périlleuse), deux canots pneumatiqu­es pourvus de puissants hors-bord sillonnent le bras de mer de 40 km qui sépare la côte nord de l’île d’Anticosti, au sud. Quand on aperçoit le jet de vapeur d’une baleine, le capitaine fonce dans sa direction pour positionne­r les chercheurs, équipés de puissants téléobject­ifs, pour capturer des photos d’identifica­tion et parfois recueillir un échantillo­n de graisse sous-cutanée.

Le MICS est responsabl­e du recensemen­t et du catalogue des rorquals bleus de l’Atlantique Nord-Est. Le principe qui

sous-tend la méthodolog­ie de « capture-marquage-recapture » (une adaptation d’une méthode utilisée dans les recensemen­ts d’oiseaux) est qu’une campagne annuelle d’identifica­tion, réalisée de manière systématiq­ue, permet d’estimer assez bien la taille d’une population donnée. Si de nouveaux individus sont identifiés chaque année, c’est un signe que la population est plus nombreuse que l’échantillo­n recensé.

En parallèle avec le travail de photo-identifica­tion, les équipes réalisent de l’échantillo­nnage d’ADN, récolté en tirant un trait d’arbalète à bout évidé qui pénètre d’environ 2 cm dans la peau et l’épaisse couche de graisse, puis tombe et remonte à la surface pour faciliter sa récupérati­on. Le groupe utilise l’ADN d’un individu pour le comparer avec celui d’autres baleines du golfe et d’ailleurs afin de tirer des conclusion­s sur les liens familiaux au sein et entre des population­s diverses. Ces prélèvemen­ts, appelés biopsies, permettent de cartograph­ier l’ADN de chaque individu de sorte que les arbres généalogiq­ues des population­s nord-atlantique­s des baleines bleues, à bosse et noires peuvent être tracés ou inférés. Le travail de biopsie permet aussi aux chercheurs d’identifier d’autres biomarqueu­rs comme les hormones de stress, les hormones de grossesse et la présence de toxines et de contaminan­ts.

Quand les intempérie­s empêchent les sorties en mer (à l’été 2018, les sorties ont été possibles seulement 49 jours), les chercheurs ont beaucoup de travail à accomplir à l’intérieur, à comparer et classer des photos sur ordinateur, à préparer les échantillo­ns de biopsie pour les analyses et à cataloguer les résultats. Un projet de recherche à long terme vise à comparer l’ADN des petits rorquals dans l’ensemble de l’Atlantique Nord.

Comme le petit rorqual est de plus petite taille, de couleur uniforme, et que ses caractéris­tiques physiques sont plus subtiles, la photo-identifica­tion est rendue plus difficile. La recherche génétique a longtemps tenu pour acquis que les petits rorquals appartienn­ent à une seule grande population panatlanti­que, et l’on considérai­t que les individus ne faisaient pas preuve d’un comporteme­nt de fidélité à un site donné. Toutefois, les données récentes tirées de la photo-identifica­tion montrent qu’ils reviennent régulièrem­ent aux mêmes endroits, alors que certains individus ont été identifiés dans le golfe à plusieurs reprises.

Récemment, le groupe a entrepris d’expériment­er des tournages avec des drones pour élaborer une méthode pour identifier les individus et faire un relevé photograph­ique des blessures et des cicatrices causées par les emmêlement­s dans les agrès de pêche et les collisions avec les navires. La nouvelle technique a permis de documenter des comporteme­nts encore jamais observés dans le golfe, comme des baleines à bosse émettant des filets de bulles pour piéger des poissons dans un cercle de plus en plus étroit, avant de les engouffrer. Ces images, disponible­s sur le site du groupe, sont magnifique­s et grandioses.

Pour en apprendre davantage sur le MICS et sur la possibilit­é de participer à ses efforts de recherche en août et septembre, visitez rorqual.com.a

DEPUIS 2005, MICHEL TANGUAY EST RESPONSABL­E DE LA TRADUCTION FRANÇAISE DE BIOSPHÈRE.

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Rorqual à bosse (Megaptera novaeangli­ae)

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