Biosphere

Le macroscope

À des kilomètres sous nos pieds, dans la profondeur de failles sous-jacentes à nos continents, vit un vaste monde de micro-organismes.

- Par Alanna Mitchell

À des kilomètres sous nos pieds, dans la profondeur de failles sous-jacentes à nos continents, vit un vaste monde de micro-organismes

DE TEMPS À AUTRE, LA SCIENCE nous apporte une découverte tellement révolution­naire qu’elle secoue la façon dont nous percevons la planète. Ces moments ne sont pas fréquents. Je ne peux en identifier qu’une poignée dans ma vie, dont la fois où un physicien très patient de l’Institut de technologi­e de Californie m’a expliqué la théorie quantique des champs. (Merci, Sean Carroll!) Ma compréhens­ion du monde en est transformé­e pour toujours.

Il ne s’agit pas des découverte­s progressiv­es — néanmoins importante­s — qui aiguisent ce que nous savons déjà, comme la nouvelle que le pergélisol arctique dégage de plus en plus de méthane, par exemple. Ou que les étoiles de mer fondent comme du papier mâché, victimes d’une virulente maladie dégénérati­ve.

Ce n’est pas non plus comme la découverte d’une nouvelle espèce ou un communiqué annonçant qu’un taxon au bord de l’extinction a été ramené à la vie, ou encore le fait qu’un survivant s’adapte au changement planétaire.

Je pense à des informatio­ns qui vous jettent par terre, comme celle qui m’a renversée à la fin de l’année dernière.

Il appert qu’à des kilomètres sous nos pieds, dans la profondeur de failles sous-jacentes à nos continents, et loin sous les océans, vit un vaste monde de micro-organismes.

La plupart sont inconnus de la science. Mais, grâce à de nouvelles techniques de forage et au séquençage de l’ADN, les scientifiq­ues commencent à les identifier. Cela se passe dans le cadre du Deep Carbon Observator­y (l’Observatoi­re du carbone des profondeur­s), un projet en cours depuis une dizaine d’années et qui mobilise des centaines de chercheurs dans quelques dizaines de pays.

Ils ont formulé plusieurs manières de décrire cette portion nouvelleme­nt découverte de la planète : la matière sombre microbienn­e. Les Galapagos des profondeur­s. La vie de la sphère stygienne (c’est-à-dire au-delà du fleuve Styx, qui marquait l’entrée des enfers dans la mythologie grecque).

Les créatures elles-mêmes sont principale­ment des bactéries et des archées (ou archéobact­éries) unicellula­ires (des microbes sans noyau). Et elles sont étranges, beaucoup plus étranges que leurs parentes de la surface.

Ces créatures survivent dans un monde souterrain équivalent aux feux de l’enfer. Elles vivent dans des conditions de pression et de chaleur inimaginab­les qu’on a longtemps crues incompatib­les avec la vie. Elles sont privées de lumière et de quasiment toute nourriture, sinon de quelque énergie suintant des pierres.

Certains individus semblent avoir existé depuis des millions, voire des dizaines de millions d’années, captifs dans un état d’animation suspendue. Cela ressemble à de la science-fiction. Ils ne grandissen­t pas ni ne se divisent. Ils sont à peine vivants. Comment font-ils? Sont-ils des zombies, incapables de revivre un jour? Ou se trouvent-ils au purgatoire, attendant le moment où revenir à la vie? Les scientifiq­ues n’en ont pas la moindre idée.

Ce qu’ils savent, du moins, c’est que les microbes sont en grand nombre dans le monde des enfers. Les scientifiq­ues calculent que 70 pour cent des bactéries et archées de la planète vivent dans ces tanières profondes. Cela signifie qu’il y en a davantage à l’intérieur de la croûte terrestre qu’à sa surface.

Cet espace, aussi nommé « la biosphère profonde », est deux fois plus volumineux que le vaste océan global, ce qui en fait le plus grand écosystème de la planète.

Ce volume est aussi un gigantesqu­e entrepôt de carbone. Il y a tellement de vie enfouie dans les profondeur­s de la croûte qu’elle contient entre 245 et 385 fois plus de carbone que ce qui entre dans la compositio­n de tous les humains vivant aujourd’hui.

Autre surprise, ces créatures improbable­s sont similaires entre elles, quelles que soient les anfractuos­ités profondes où elles nichent. En dessous de Seattle, elles sont les mêmes qu’en dessous de l’Afrique du Sud.

Que doit-on en comprendre? D’abord, il est probable que cela va redessiner l’arbre de la vie, c’est-à-dire le diagramme qui montre quelle forme de vie descend de quelle autre. Est-ce que la vie sur notre planète est apparue dans ces profondeur­s obscures? Ou est-ce que la vie s’est infiltrée au travers de l’écorce terrestre à partir de la surface pour évoluer dans des formes complèteme­nt nouvelles?

Est-ce que ces communauté­s de microbes souterrain­s peuvent se déplacer? Sont-elles influencée­s par des séismes ou par les mouvements des plaques tectonique­s, d’une façon ou d’une autre? Sont-elles affectées par les déchets que les humains enfouissen­t?

Plus intrigant encore, comment ces nouveaux microbes sont-ils reliés à leurs cousins de la surface, si du moins ils le sont? Sont-ils une composante des cycles biologique­s de la planète? Des cycles géologique­s? Des cycles chimiques?

Les réponses à ces questions, nous ne les connaisson­s pas encore. Mais n’est-ce pas enivrant de penser à toute cette vie sous nos pieds, poursuivan­t sa destinée depuis des millions d’années, influençan­t peut-être le déroulemen­t de nos propres vies? Quoi d’autre ignorons-nous?a

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