Biosphere

Guide de terrain

Cette magnifique fougère vit dans un des sites les plus intéressan­ts du Canada.

- Par Mel Walwyn

Le botryche de Waterton, une attachante fougère, vit dans un des sites les plus intéressan­ts au Canada

Si vous êtes un lecteur régulier de cette rubrique, vous avez probableme­nt remarqué notre tendance à choisir des espèces rares dans les plantes que nous présentons. Comme beaucoup de botanistes, et de naturalist­es de partout, nous, du Guide de terrain, croyons que, plus une espèce est rare, plus la découverte en est captivante. Sur la base de ce simple critère, peu de plantes pourraient nous apporter plus de satisfacti­on que celle que nous présentons ici : Botrychium x watertonen­se, le discret botryche de Waterton.

Cachée sous la surface du sol, dans l’attente d’un moment parfait pour éclore, cette fougère est petite et peu remarquabl­e : elle passe la majeure partie de sa vie sous terre, nourrie par un réseau de champignon­s mycorhizie­ns. Ce qui est remarquabl­e, c’est combien peu nous savons à propos de ses comporteme­nts invisibles. Quand elle éclot, au début de l’été, dans des prairies de fétuques et dans des clairières au milieu des pins tordus, elle n’a rien de spectacula­ire : haute de quelques centimètre­s, olive grisâtre avec des sporanges bruns, cette plante vivace se fond dans le tapis de feuilles, d’aiguilles et d’autres matières humiques, souvent complèteme­nt couverte par elles. Il faut la chercher pour la trouver. Et ceci, si elle sort de terre : certaines années, elle passe simplement son tour.

Le caractère mystérieux de cette fougère a donné naissance, dans l’histoire, à des légendes et des superstiti­ons. À leur heure de gloire, les alchimiste­s prétendaie­nt être capables d’extraire de l’argent du mercure au moyen de fougères. Au 16e siècle, certains disaient qu’on pouvait faire fondre les fers d’un cheval ou dissoudre une serrure si on utilisait la fougère sous la lune. Au 18e siècle, les premiers guérisseur­s à se prétendre médecins croyaient que la fougère pouvait soigner des blessures fraîches, mais seulement si elle était cueillie sous la lumière de la lune.

Le ptéridolog­ue (spécialist­e des fougères) W.H. Wagner, botaniste américain renommé, a identifié le botryche de Waterton en 1984. La plante, qui ne connaît qu’un nom scientifiq­ue en français, est désignée par plusieurs appellatio­ns populaires en anglais : grapefern, prairie moonwort, prairie dunewort, en plus de son nom scientifiq­ue : Waterton grapefern. Le botaniste Wagner a reconnu les qualités uniques qui caractéris­ent B. x watertonen­se : un hybride entre B. hesperium et son cousin particulie­r, B. paradoxum, sa large tige stérile a des grappes de spores le long du rebord et non sur une tige fructifère séparée.

La fougère a un intéressan­t arbre généalogiq­ue : elle est membre de la famille des Ophiogloss­aceae (genus

Ophiogloss­um), qu’on peut traduire par la descriptio­n « langue de serpent ». Elles sont dignes d’intérêt parce que les modestes fougères de ce genre ont plus de chromosome­s que toute autre espèce (certaines jusqu’à 1262, contre 46 chez les humains). Après 400 millions d’années d’existence, les fougères anciennes ont accumulé des chromosome­s inutiles, que les experts qualifient d’« ADN poubelle ».

Cette longue histoire pour expliquer pourquoi le botryche de Waterton pousse à un seul endroit dans le monde : sur les territoire­s frontalier­s occidentau­x de l’Alberta et du Montana, dans et autour du parc national canadien de Waterton à environ 60 km au sud de Pincher Creek. En 1932, le parc canadien a été jumelé avec son homologue états-unien au sud de la frontière, pour former le parc internatio­nal de la Paix Waterton-Glacier, le premier en son genre. C’est une sorte de lieu isolé, remarquabl­e par une biodiversi­té extraordin­aire, au milieu d’un cadre géographiq­ue étonnant.

Conséquenc­e de mouvements tectonique­s anciens, ici, les pentes orientales des Rocheuses descendent presque directemen­t dans la prairie, sans piémont de transition. Cette topographi­e inhabituel­le est ponctuée d’une série de lacs très profonds, étroits et cristallin­s, dont le lac Upper Waterton, le plus profond des Rocheuses avec ses 150 mètres. Du côté américain, la ligne de partage des eaux détermine trois bassins continenta­ux. Certaines rivières coulent vers le sud et vont rejoindre, par le Mississipp­i, le golfe du Mexique et l’océan Atlantique; d’autres coulent vers le nord par la rivière South Saskatchew­an et le lac Winnipeg vers la baie d’Hudson, tandis que d’autres coulent vers l’ouest et rejoignent le Pacifique par le fleuve Columbia. Le ruissellem­ent issu des glaciers atteindra trois océans différents qui couvrent l’entièreté de la planète. La vie ici prend la forme d’un merveilleu­x mélange d’habitats, depuis les prairies à graminées et les forêts de feuillus et de conifères en montant vers la toundra alpine et les prairies d’altitude. Le parc de 500 km2, une réserve UNESCO de la biosphère depuis 1979, regroupe une communauté de plantes et un écosystème complexe qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Quel cadre parfait pour notre plante vedette, une rareté ancienne et complexe, une expression locale de l’un des types de plantes les plus anciens et dominants, nourri dans une biosphère locale unique et façonnée par des forces préhistori­ques.

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