Biosphere

Faune urbaine

Un mouvement de design appelé habitectur­e vise à construire les villes du futur pour toutes les espèces, et pas seulement pour les humains.

- Par Matthew Church

Un mouvement de design appelé habitectur­e vise à construire les villes du futur pour toutes les espèces, et pas seulement pour les humains

L’Anthropocè­ne. Le terme est partout, dans les musées, les cinémas, les revues et les livres. Cette nouvelle appellatio­n de l’ère géologique actuelle a été proposée par le chimiste de l’environnem­ent hollandais et lauréat du prix Nobel Paul Crutzen en 2000. La nomenclatu­re actuelle utilise le terme Holocène, une ère qui a commencé il y a plus de 11 000 ans. La combinaiso­n des deux racines « anthropos » (humain) et « cene » (récent ou nouveau) décrit une ère de changement planétaire d’origine humaine. Il s’agit d’une période sans précédent caractéris­ée par des extinction­s de masse, la pollution des territoire­s, des mers et de l’air, par des changement­s climatique­s rapides et la dégradatio­n et la destructio­n irréversib­les de la nature. En créant le néologisme, on reconnaiss­ait les profonds dommages causés par l’activité humaine à la planète.

Est-ce qu’il est possible de renverser la vapeur? Sommes-nous capables, comme espèce, de concevoir et de réaliser des contributi­ons positives à la nature, alors même que notre population continue à croître rapidement? Pas seulement compenser et réparer les dommages que nous avons causés — même si cela sera crucial alors que nous essaierons de conserver ce qui reste —, mais vraiment intégrer des habitats pour les autres espèces dans les structures humaines, et même remplacer des formes naturelles selon les besoins. Cela appelle un changement fondamenta­l dans notre mode de fonctionne­ment. Chez les initiés, on parle d’« habitectur­e ».

Parlons des villes. La fuite en avant vers l’urbanisati­on a semé le désordre dans les systèmes naturels. Nous vivons dans des jungles de béton dans la pollution de l’air, de l’eau et du bruit, provoquant la destructio­n des habitats et l’effondreme­nt de la biodiversi­té. Une approche radicaleme­nt différente du design et de la constructi­on des infrastruc­tures — au profit d’utilisateu­rs multiples, et pas seulement des humains — constituer­ait une révolution. Elle pourrait aussi apporter une réponse à un problème qui va en empirant.

Les humains migrent vers les villes sur le plan mondial : en 1990, il y avait 10 mégapoles (des villes avec une population de plus de 10 millions d’habitants). On en compte aujourd’hui 33, et le rythme s’accélère; en 2030, il y en aura 43. À ce moment, les urbains seront au nombre de cinq milliards. La majorité d’entre eux vivront et travailler­ont dans des bâtiments, des quartiers et des agglomérat­ions qui ne sont pas encore construits. L’ampleur des transforma­tions est colossale, certaineme­nt, mais elle offre des occasions de réorientat­ions massives si nous voulons faire les choses différemme­nt. Historique­ment, la présence d’animaux sauvages dans des environnem­ents construits par l’homme a été le fait du hasard : pour des espèces rustiques, adaptables, les villes ont toujours constitué des milieux favorables. Un article récent de la revue

Biological Conservati­on porte sur l’architectu­re des anciennes églises européenne­s et leur rôle crucial dans la création d’habitats pour les oiseaux dans des villes toujours en expansion. Les structures complexes offrent abri et protection dans leurs recoins et cavités parmi les clochers, les flèches, les contrefort­s et les gargouille­s. Ces milieux sont des aimants pour la nidificati­on. Par contraste, les gratte-ciel modernes offrent peu d’espaces compatible­s avec la vie et sont carrément hostiles : leur éclairage nocturne est responsabl­e de la mort de plus d’un milliard d’oiseaux chaque année en Amérique du Nord seulement.

On trouve quelques exemples modernes d’habitectur­e en action, aussi bien intentionn­els qu’accidentel­s. Austin, au Texas, accueille la plus grande colonie de chauves-souris au monde. Plus d’un million de chauves-souris mexicaines à queue libre nichent sous le pont Ann W. Richards de la rue Congress pendant plusieurs mois chaque été. Après avoir étudié ce qui les a attirées sous le pont, le ministère des Transports du Texas a entrepris de modifier les ponts partout dans l’État — un programme qui s’est depuis diffusé vers d’autres États et provinces.

L’île artificiel­le Habitat de Vancouver accueille une variété d’animaux et de plantes indigènes. On l’a construite dans la baie False Creek, avec de la terre et du roc excavés pour construire le village des Olympiques d’hiver de 2010. Ce refuge de 2000 m2 comporte des perchoirs pour les oiseaux migrateurs, des plantes indigènes nourrissan­tes pour les pollinisat­eurs et un rivage naturalisé pour attirer les oiseaux marins et le frai des poissons. Cet aménagemen­t a bien réussi à attirer les pygargues à tête blanche, les loutres et les harengs qui viennent y frayer, de même que les touristes et les Vancouvéro­is.

La diversité des projets possibles semble illimitée, des plus simples aux transforma­tions profondes. Intégrer les itinéraire­s de déplacemen­t des animaux sauvages dans la conception et la réparation du système routier. Créer des corridors de circulatio­n accueillan­ts pour la faune en ouvrant à la lumière du jour des égouts pluviaux et des ruisseaux enfouis depuis longtemps, réintrodui­re d’anciens cours d’eau (et la faune contempora­ine) dans le paysage urbain. Intégrer des habitats de nidificati­on pour les faucons pèlerins recherchan­t les falaises dans des gratte-ciel où l’éclairage est atténué pour protéger les oiseaux.

En cette époque, cette ère, dominée par les humains, alors que presque toutes les autres espèces déclinent dans notre sillage, l’effet de la constructi­on intentionn­elle d’espaces partagés où toutes les espèces peuvent prospérer pourrait déboucher sur un résultat rare : un impact humain positif pour la planète.

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