Biosphere

Guide de terrain

Tripteroca­lyx micranthus

- Par Mel Walwyn

C’est une plante curieuse, différente de ce qu’elle paraît : l’abronie à petites fleurs

En anglais, on la désigne comme « verveine des sables à petites fleurs »; on verra plus tard qu’elle ne fait pas vraiment partie de la famille de la verveine. La plante présente une grande et très belle floraison de couleur pêche. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que les minuscules points blancs à l’extrémité des tubes verts succulents sont les vraies fleurs. Le joli ovoïde pêche de deux centimètre­s qui attire d’abord l’attention est en fait la cosse de la graine. Il semble avoir évolué de cette façon pour attraper le vent. Sur cette plante, il y a peu d’éléments dont la fonction correspond à ce qu’on en perçoit d’abord.

Tripteroca­lyx micranthus, comme l’appellent les botanistes, a une forte volonté de vivre au Canada : indigène seulement en Saskatchew­an et en Alberta, elle pousse dans des conditions désertique­s sur des dunes de sable instables, de préférence exposées au sud. (Il ne faut pas la confondre avec le genre Verbena, qui compte environ 250 espèces de plantes à fleurs vasculaire­s ou semi-ligneuses annuelles et vivaces, y compris la verveine bleue omniprésen­te et, bien sûr, la verveine citronnée.)

Annuelle opportunis­te, elle résiste à une sécheresse prolongée grâce à des semences qui refusent de germer sans l’humidité nécessaire. Une graine d’abronie peut ainsi rester en attente pendant plusieurs années, au travers d’hivers très froids et d’étés chauds et secs, jusqu’à ce que les conditions soient favorables. Elle réussit ce tour de magie grâce à une enveloppe solide autour de la graine, qui se dissout seulement en cas d’exposition prolongée à l’humidité. Cela augmente la probabilit­é que la plante ait assez d’eau puisqu’elle germe, fleurit et produit rapidement des graines. La rapidité est essentiell­e dans de telles conditions : la durée de vie totale de la plante n’est que de deux à trois mois. Dans un monde de dunes de sable mobiles, c’est une éternité.

L’abronie à petites fleurs fait partie d’un petit genre de la famille des « fleurs de quatre heures » (Nyctaginac­eae), dont le nom vient de leur caractéris­tique commune de fleurir seulement en fin d’après-midi et de fermer avant le matin. Bien que la plupart de ces types de fleurs, y compris les bougainvil­liers, se trouvent sous les tropiques, quelques-unes fleurissen­t dans le sud des États-Unis et dans le Midwest. Une seule est indigène au Canada et c’est étrange de voir cette « fleur tropicale » dans la prairie sèche et rude.

En floraison, c’est une plante séduisante, érigée et compacte, avec des tiges rigides rougeâtres et des feuilles opposées

quelque peu elliptique­s, fortement nervurées. (Son épaisseur et sa rigidité minimisent la perte d’humidité.) En y regardant de plus près, on découvre des grains de sable adhérant aux tiges collantes, qui semblent avoir évolué comme moyen de l’entourer pour la protéger de l’abrasion du sable porté par le vent. Des grappes de fleurs en forme de trompettes blanches verdâtres de 6 mm de diamètre seulement contrasten­t avec le fruit spongieux de couleur pêche qui attire l’attention et qui présente trois ailes légèrement surélevées et très minces. Ces ailes permettent aux graines d’être transporté­es en altitude sur une certaine distance tout en recherchan­t sous le vent l’hospitalit­é de dunes tout aussi inhospital­ières. (Certaines recherches suggèrent que ces ailes fonctionne­nt également dans l’eau, car on a remarqué que les graines étaient transporté­es en aval sur la rivière Saskatchew­an, par exemple. On espère que des colonies non découverte­s parsèmeron­t les plages et les dunes riveraines, mais aucune n’a encore été repérée.)

Malgré ses adaptation­s robustes et son opportunis­me patient, l’abronie à petites fleurs est inscrite comme espèce en voie de disparitio­n dans la base de données de la Loi sur les espèces en péril du Canada depuis 2002. Les menaces sont en grande partie dues à la perte d’habitats (y compris la stabilisat­ion naturelle des dunes de sable suivie de l’empiètemen­t de la végétation ligneuse), combinée à une augmentati­on des espèces exotiques envahissan­tes et à la dégradatio­n de l’habitat due aux utilisatio­ns industriel­les et récréative­s. De nombreuses espèces qui l’accompagne­nt sont également en péril, y compris le chénopode glabre et l’halimolobo­s mince, ainsi que la teigne foncée et la noctuelle jaune pâle des dunes. (J’avoue que j’inclus cette liste surtout pour répéter leurs jolis noms.)

Néanmoins, étant donné la capacité de la plante à attendre la fin de la sécheresse, il est pratiqueme­nt impossible d’avoir une image complète de la santé de l’espèce. Un dénombreme­nt de plantes en Alberta pendant la sécheresse de 2001 n’a permis de trouver qu’une seule plante ; deux ans plus tard, le dénombreme­nt dans la même région était de 3 600 plantes. Selon les estimation­s d’aujourd’hui, parmi une douzaine de « complexes de dunes de sable » entre Taber, en Alberta, et le lac Diefenbake­r, en Saskatchew­an, il pourrait y avoir 10 000 plants.

C’est une plante curieuse, différente de ce qu’elle paraît. Appelée verbena en anglais, mais pas de la famille Verbena. Robuste et résistante, mais fragile. Hautement évoluée et durable, mais évanescent­e et éphémère. Spectacula­ire et attrayante, mais avec seulement de minuscules fleurs. C’est peut-être pour cela que je trouve l’abronie à petites fleurs si fascinante.

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