Biosphere

Le macroscope

Les gigantesqu­es récoltes humaines de poissons privent les oiseaux marins de leur nourriture. Notre voracité entraîne la disparitio­n d’espèces clés d’oiseaux de mer.

- Par Alanna Mitchell

Les énormes quantités de poissons récoltées industriel­lement par les humains privent les oiseaux marins de leurs aliments. Notre voracité amène plusieurs espèces clés d’oiseaux de mer au bord de l’extinction.

TOUT AUTOUR DE NOUS SE TROUVENT DES indices de la façon dont les espèces terrestres ont évolué pour se compléter. Prenons un exemple simple tiré du milieu des prairies nord-américaine­s, où j’ai grandi. Les microorgan­ismes du sol aident les graminées et les carex à croître, qui hébergent aussi des insectes. Les végétaux, à leur tour, nourrissen­t des cerfs, des antilocapr­es et d’autres ongulés, tandis que les insectes sont la proie des oiseaux chanteurs. Les carnivores entrent dans l’équation, chassant furtivemen­t les herbivores et les oiseaux. Quand leur mort survient, les microorgan­ismes reviennent en scène et décomposen­t les restes de leurs corps en éléments de base qui relanceron­t le processus.

C’est le cercle de la vie, comme le chantent les animaux dans la scène inaugurale du Roi Lion. Il se définit par sa résilience, son invention, qui sont au coeur des mécanismes de l’adaptation. Certains joueurs sont éjectés du carrousel tandis que de nouveaux venus viennent faire tourner la roue, même s’il faut parfois des millions d’années pour que le cercle se répare. Ce système s’est perpétué depuis

3,5 milliards d’années. Il est passé au travers de cinq ou six effondreme­nts spectacula­ires, y compris celui qui a emporté les dinosaures non aviaires il y a 65 millions d’années.

Mais de temps en temps, une nouvelle étude nous fait voir le degré d’interrelat­ion qui unit les danseurs de ce cercle. Un bon exemple : un article du biologiste marin Daniel Pauly de l’Université de Colombie-Britanniqu­e et de ses collègues, paru en décembre 2018 dans la revue Current Biology.

Pauly, chercheur principal du projet The Sea Around Us, qui a longtemps reçu du financemen­t du trust philanthro­pique Pew basé à Philadelph­ie, s’est fait connaître en nous rappelant que, lorsque nous comptons de combien et à quelle vitesse les population­s de poissons se sont effondrées, nous devons nous rappeler l’envergure historique de ces population­s il y a tout juste quelques décennies. Il parle d’un problème de « déplacemen­t de la valeur de référence ». En remplaçant la référence historique par une valeur plus moderne, on peut se trouver à sous-estimer gravement les difficulté­s que rencontre une espèce — et donc le monde marin — en minimisant délibéréme­nt l’ampleur du déclin.

Ensuite, avec une équipe internatio­nale d’écologiste­s, dont David Grémillet de l’Université de Montpellie­r en France, il a appliqué les méthodes analytique­s utilisées dans The Sea Around Us à d’autres facettes de la santé des océans. Quand les humains prennent tellement de poissons et d’autres espèces marines pour leurs seuls besoins, qu’arrive-t-il aux oiseaux de mer qui dépendent de ces poissons pour leur alimentati­on?

La question ne se pose pas seulement dans certains endroits de la planète, mais bien à l’échelle mondiale.

Les résultats sont angoissant­s.

Entre 1970 et 1989, les pêcheries commercial­es qui ciblaient certaines espèces recherchée­s par les oiseaux marins ont capturé une moyenne de 59 millions de tonnes par année, selon Pauly. Pour la période 1990 à 2010, ces prises ont augmenté à 65 millions de tonnes.

Pour les mêmes deux périodes, la part des oiseaux de mer est tombée de 70 à 57 millions de tonnes, en proportion inverse de la récolte humaine. Essentiell­ement, la recherche a montré que les humains et les oiseaux sont en compétitio­n pour les mêmes poissons.

Les oiseaux les plus affectés vivent dans les océans les plus méridionau­x (connus comme l’océan Antarctiqu­e) et l’Atlantique Nord. Les pélécanoïd­idés, ou pétrels plongeurs, ces robustes petits oiseaux gris des mers du sud, qui se nourrissen­t de krill, de calmars et de petits poissons, ont été les plus durement touchés, leurs prises diminuant des deux tiers. Quant aux frégates, ces planeurs noirs de grande envergure, qui capturent des poissons et des céphalopod­es en rasant la surface de l’eau, elles ont perdu la moitié de leurs proies.

Alors qu’il est diabolique­ment difficile de compter des oiseaux de mer (ou d’obtenir des statistiqu­es historique­s à leur sujet), les études de Pauly ont trouvé que, de

1950 à 2010, les population­s d’oiseaux de mer qu’il est possible de dénombrer ont chuté de 70 %. Les diminution­s les plus importante­s sont mesurées chez les oiseaux qui volent sur les plus grandes distances, obligées de parcourir de vastes étendues d’océan pour trouver leur nourriture. L’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature classe les oiseaux marins comme le groupe de volatiles le plus en péril, alors que, sur le plan mondial, quatre espèces sur dix sont considérée­s comme menacées ou quasi menacées.

Avec de telles quantités de poissons extraites de la mer, les oiseaux meurent de faim. Ils n’ont pas la possibilit­é de les remplacer par des insectes des prairies. Nous jouons les apprentis sorciers avec notre biosphère à un niveau que nous commençons seulement à mesurer.

Depuis que j’ai lu l’article de Pauly, je ne suis plus capable de regarder les poissons sauvages sur le lit de glace concassée du poissonnie­r sans penser aussi à l’oiseau qui aurait pu les manger à ma place... Ce n’est qu’en mesurant l’effet domino de nos actions que nous pourrons décider de manière responsabl­e si nous voulons persister dans nos comporteme­nts des dernières décennies.1

QUAND LES HUMAINS RÉCOLTENT TELLEMENT DE POISSONS ET D’AUTRES ESPÈCES MARINES POUR LEURS PROPRE CONSOMMATI­ON, QU’ARRIVE-T-IL AUX OISEAUX MARINS QUI DÉPENDENT DES MÊMES ESPÈCES POUR LEUR ALIMENTATI­ON? ILS MEURENT DE FAIM.

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