Le macroscope
Plus d’oiseaux que jamais risquent de disparaître. En même temps, certaines des espèces les plus menacées sortent de l’oubli. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer?
Un plus grand nombre d’oiseaux que jamais est à risque d’extinction. En même temps, certaines espèces parmi les plus menacées reviennent en grand nombre. Que se passe-t-il?
COMMENT MESURER LA SANTÉ DE la planète? Est-ce la concentration des gaz carboniques dans l’atmosphère? Le pourcentage de territoires laissés à l’état sauvage? Les terres protégées contre la mise en exploitation? La proportion de couvert forestier intact? La diversité des espèces dans une région?
C’est tout cela, bien sûr, et plus encore. Mais pour moi, la statistique qui m’émeut davantage est le nombre d’espèces menacées d’extinction. Et c’est une variable difficile à mesurer. Vous pourriez ne compter que celles qui sont réduites à une poignée d’individus. Ou peut-être regardez-vous les populations qui sont encore nombreuses mais qui déclinent rapidement. Peut-être considérez-vous la diminution de leur habitat préféré, quel que soit le nombre d’individus. Ou bien comparez-vous les chiffres actuels avec ce que vous croyez représenter ces valeurs par le passé? Si oui, à quelle échelle s’applique la comparaison — sur des décennies ou sur des millénaires?
Une étude de l’écologiste et biologiste évolutionniste canadienne Melanie Monroe et d’autres, publiée dans Biology Letters à la fin de l’année dernière, adopte une tout autre approche. Ils ont examiné comment plus de 11 000 espèces d’oiseaux ont été classées dans les catégories de risque d’extinction de la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature sur près de trois décennies, de 1988 à 2016. La Liste rouge est la bible de l’extinction des espèces. Elle comporte sept niveaux de risque, allant des espèces les moins préoccupantes à celles qui sont en danger critique d’extinction, disparues dans la nature, et, enfin, complètement éteintes. La dernière Liste rouge indique qu’environ une espèce d’oiseau sur huit est menacée d’extinction totale.
Pour l’ensemble du règne animal, la tendance est à l’augmentation du nombre de créatures en danger au fil du temps, en progression constante dans les catégories de la Liste rouge. Ainsi, plutôt que de supposer que les espèces qui ne sont pas dans les catégories les plus menacées resteront en sécurité, l’équipe de Monroe a calculé la probabilité qu’une espèce s’éteigne en se basant sur les tendances passées, quelle que soit sa place actuelle sur la liste. BirdLife International, dont le scientifique en chef Stuart Butchart est l’un des auteurs de l’étude, appelle cela l’accumulation d’une « dette d’extinction ». L’étude l’appelle le « taux d’extinction effectif » et il est en augmentation.
« Nos analyses suggèrent que le risque d’extinction chez les oiseaux s’accumule beaucoup plus qu’on ne l’avait prévu jusqu’à maintenant », conclut l’étude, ajoutant que c’est probablement le cas pour d’autres types de créatures.
Mais voici le résultat le plus étonnant. Les efforts de conservation déployés à l’échelle mondiale ont permis de réduire le taux d’extinction effectif d’au moins 40 %.
Cela signifie que les sprints frénétiques, souvent très médiatisés et coûteux pour sauver les quelques derniers individus d’une espèce — comme le grèbe mitré d’Argentine, qui ne se reproduit que dans des nids fantastiques construits à partir de plantes aquatiques dans les lagunes des plateaux de Patagonie, et les efforts mondiaux pour réintroduire l’ara bleu de Spix dans la nature au Brésil — réussissent à tirer certaines espèces du bord du gouffre.
Le problème, selon l’étude, est que, plus la crise est grave, plus la réponse est importante. Les efforts de conservation se concentrent sur les espèces d’oiseaux qui sont les plus menacées et donc les plus difficiles à sauver. Une stratégie plus sûre et moins onéreuse consisterait à empêcher les espèces de faire cette effroyable ascension parmi les catégories de la Liste rouge. Il faut donc s’assurer que les espèces communes restent communes, comme l’exprimerait BirdLife.
Par exemple, l’étude publiée dans Biology Letters a révélé qu’environ un cinquième des oiseaux dont elle a calculé qu’ils allaient disparaître au cours des 500 prochaines années se trouvent à l’heure actuelle dans la catégorie de la Liste rouge la moins préoccupante. L’étude ne dit pas quelles seront ces beautés appelées à disparaître; elle ne le peut pas parce que tout cela est basé sur une modélisation mathématique, et non sur le criblage des caractéristiques de chaque oiseau. Mais cette incidence donne à réfléchir. Elle revient à réaliser que chaque espèce mérite d’être protégée, qu’elle semble être en danger en ce moment ou non.
Il serait facile de se réjouir de l’étude. C’est merveilleux de penser que l’effort humain peut empêcher une espèce, avec toute son histoire évolutive, de disparaître du livre de la vie. À une époque où il est trop facile de voir les effets terribles de la main humaine sur la planète, quelques échantillons de succès peuvent faire chanter l’esprit. Je suis preneuse pour ça.
Mais je dois noter que l’étude a également utilisé la trajectoire des trois dernières décennies comme base de calcul de la dette d’extinction future. Ce qui est inquiétant pour moi, c’est que, à cause des concentrations de carbone toujours plus élevées dans l’atmosphère et d’une couverture forestière toujours plus réduite en Amazonie (entre autres), les conditions sur la planète se détériorent rapidement. Cela signifie que les conditions d’extinction s’aggravent. Le risque augmente. Notre responsabilité consiste donc, tendrement et inexorablement, à l’amener à baisser à nouveau.1