Biosphere

Le Macroscope

L’accumulati­on rapide de CO2 atmosphéri­que franchira un seuil inquiétant ce printemps. Certains signes indiquent que le monde pourrait enfin prendre la menace au sérieux

- Par Alanna Mitchell Illustrati­on de Jarred Briggs

CONSIDÉRON­S LE NOMBRE 417. À PREMIÈRE VUE, C’EST UN NOMBRE comme les autres. Il est même mathématiq­uement assez fade – 3 fois 139. Bof! Mais vu à travers la lentille des concentrat­ions de carbone dans l’atmosphère, c’est un point tournant. Lorsque la concentrat­ion de gaz carbonique dans l’atmosphère atteindra

417 parties par million (ppm), cela signifiera qu’elle aura augmenté d’un autre 50 % par rapport à ce qu’elle était avant le début de la révolution industriel­le au 18e siècle. En d’autres termes, avant que nous ne commencion­s à faire tourner l’économie avec le charbon, le pétrole et le gaz, la concentrat­ion était de 278 ppm, soit 2 fois 139.

En atteignant la valeur de 417, on franchira ce que le Bureau météorolog­ique britanniqu­e appelle le « seuil symbolique ». Et cela se produira dans les prochaines semaines, dit le Met Office, probableme­nt en avril. Ce sera la première fois que la concentrat­ion dans l’atmosphère sera aussi élevée depuis au moins trois millions d’années, et probableme­nt plus de 20 millions.

Nous sommes en territoire dangereux sur le plan climatique. L’année dernière, 2020, a été la plus chaude depuis que l’homme a commencé à établir des records, à égalité avec 2016. Ajoutez à cette chaleur une série de feux de forêt, d’ouragans, de pluies extrêmes et de sècheresse­s exceptionn­elles, et vous obtenez l’image d’un système climatique en train de s’effondrer, mettant en danger les normes qui rendent la planète habitable pour notre espèce. L’année dernière, rien qu’aux États-Unis, les dommages associés aux évènements climatique­s extrêmes ont couté 95 milliards de dollars US au secteur des assurances.

Encore plus remarquabl­e est la vitesse de cette dégradatio­n. Il est incroyable­ment difficile de modifier aussi considérab­lement la compositio­n chimique de l’atmosphère en si peu de temps – quelques centaines d’années seulement. Cette régurgitat­ion moderne de carbone est l’augmentati­on la plus rapide des concentrat­ions atmosphéri­ques depuis au moins 300 millions d’années, selon une étude marquante de Bärbel Hönisch de l’Observatoi­re géophysiqu­e Lamont-Doherty de l’Université Columbia à New York. Elle dépasse même l’accumulati­on qui a conduit à l’extinction du Permien-Trias il y a 252 millions d’années, lorsque des volcans ont rejeté tellement de carbone dans l’atmosphère que 90 % des espèces vivantes ont été exterminée­s. Il s’agit de la pire extinction massive dans l’histoire de notre planète.

Le pire, c’est la vitesse à laquelle cette charge de carbone augmente maintenant. Il a fallu environ 200 ans pour que le niveau de carbone atteigne un tournant symbolique antérieur, à savoir 348 ppm. C’est 25 % de plus qu’avant que nous ne commencion­s à bruler des combustibl­es fossiles, et les climatolog­ues ont été secoués lorsque ce seuil a été atteint en 1986. Les 25 % d’augmentati­on suivants – qui nous amèneront au redouté 417 en avril – n’ont pris que 35 ans. Et ce rythme s’accélère encore, malgré la pause dans les émissions l’année dernière, alors que tant de personnes sont restées chez elles pendant la pandémie.

Mais en même temps que nous franchisso­ns ces angoissant­s repères, il y a des signes que l’humanité pourrait enfin être prête à « reculer » face aux pires effets de la déstabilis­ation du climat. En novembre, le Canada s’est engagé à atteindre un niveau net de zéro émission de carbone d’ici 2050, rejoignant ainsi un club de plus de 100 autres pays. (Le net zéro, ou la neutralité carbone, signifie que tout nouveau carbone qui entre dans l’atmosphère est compensé par l’absorption du carbone de l’atmosphère, par exemple, par la plantation d’arbres.) Dans ce club figurent quelques poids lourds du carbone : l’Union européenne, le Japon, la Corée du Sud. La Chine s’engage à y parvenir d’ici 2060.

C’est la première fois qu’autant de nations font voeu de neutralité carbone. Ils sont pratiqueme­nt dans une course à la diffusion des communiqué­s de presse. Et plusieurs, dont l’Allemagne, la France, la Suède, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, ont adopté des lois contraigna­nt leur pays à atteindre la neutralité carbone.

Une première étape clé consiste à éliminer les émissions de carbone des systèmes de production électrique. Au Canada, nous en sommes déjà à 82 %, principale­ment parce que l’Ontario a fermé ses centrales au charbon et que nous avons une grande capacité hydroélect­rique. D’autres pays rattrapent leur retard, encouragés par le fait que les panneaux solaires et d’autres formes d’énergie renouvelab­le produisent de l’électricit­é à moindre cout que les combustibl­es fossiles. Même le Texas, le pays du pétrole et du gaz, tombe amoureux des énergies renouvelab­les bon marché.

Cette combinaiso­n inédite de sagesse politique et de baisse des couts de la décarbonis­ation a conduit Tim Lenton, directeur de l’influent Global Systems Institute de l’université d’Exeter au Royaume-Uni, à identifier une nouvelle possibilit­é. Au lieu que les points de basculemen­t nous poussent toujours plus près du gouffre, est-ce qu’ils pourraient nous catapulter dans l’autre direction? Des actions relativeme­nt modestes – par exemple, l’augmentati­on du nombre de véhicules électrique­s ou l’abandon plus rapide du charbon – pourraient s’additionne­r assez rapidement pour réduire réellement les émissions.

Le hic, c’est que nous devons accélérer les progrès, ce que M. Lenton juge plausible. Si nous le pouvions, la tendance pourrait s’avérer un symbole mondial plus puissant que l’atteinte de la valeur fatidique de 417.1

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Comment les niveaux mondiaux de CO2 s’accumulent Chacune des cheminées représente les concentrat­ions de gaz carbonique dans l’atmosphère pour une année donnée : au premier plan, au début de la révolution industriel­le (278 ppm); en 1986 (348 ppm); en 2021 (417 ppm); dans l’avenir (???)
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Décarbonis­ation : installati­on d’une turbine marémotric­e dans la baie de Fundy
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