LE PLUS PETIT
Le petit colibri à gorge rubis (Archilochus colubris), qui pèse normalement moins d’une pièce de cinq cents, double son poids alors qu’il se prépare à parcourir les 3 500 kilomètres qui séparent les zones d’hivernage en Amérique centrale des zones de reproduction au centre du Canada. Pour beaucoup, le voyage comprend une périlleuse étape de 800 km au-dessus du golfe du Mexique.
Les mâles adultes voyagent en premier et sont suivis par les femelles et les jeunes. Contrairement à de nombreux oiseaux migrateurs qui se déplacent en bandes, souvent en voiliers, ces minuscules colibris font cavalier seul, se déplaçant près du sol, toujours à la recherche de sources de nourriture, et se reposant la nuit.
Mais ce n’est que la première étape. Les comptages effectués à l’observatoire peuvent à eux seuls produire des tendances pour des points précis de la migration, mais ils n’indiquent pas d’où viennent ces oiseaux ni où ils pourraient se retrouver à leur retour.
« Lorsqu’un oiseau frappe un filet à une station de baguage, vous n’avez aucune idée de sa provenance », explique Keith Hobson, professeur de biologie à l’université Western de London, Ontario, et chercheur principal de l’Advanced Facility for Avian Research de cette école.
Pour résoudre cette énigme, des scientifiques comme Hobson se tournent vers la chimie de base. Il s’avère que les schémas des isotopes stables de l’hydrogène dans les précipitations varient selon l’endroit. Lorsque cette eau entre dans le réseau alimentaire, ces signatures sont imprimées dans les plumes des oiseaux (et d’autres tissus animaux) qui s’y développent. « Comme la plupart des oiseaux d’Amérique du Nord muent sur les sites de reproduction avant de migrer, les plumes qu’ils y laissent donnent un indice sur leur lieu d’origine », explique Hobson.
Il y a plusieurs années, en travaillant avec des échantillons de plumes prélevés (de manière inoffensive) sur des oiseaux capturés dans les stations de baguage du réseau pendant la migration printanière, Hobson et d’autres ont pu déterminer approximativement d’où venaient ces
oiseaux. Au fil du temps, ils ont utilisé ces données pour créer des cartes montrant les « zones de captage » des différentes espèces d’oiseaux bagués dans chaque observatoire.
« Nous avons créé ces cartes sur les régions d’origine pour une quinzaine d’espèces jusqu’à maintenant, dit Hobson. Cela semble assez simple : d’où venez-vous? Mais le simple fait de savoir et de décrire cela [...] ouvre un grand nombre de possibilités. Je crois que la valeur scientifique de ces stations a vraiment augmenté grâce à cela. »
Ces informations sont-elles suffisamment précises pour qu’Environnement Canada puisse commencer à intégrer les données sur les tendances des populations du réseau lors de sa prochaine évaluation de l’état de conservation de ces espèces, soit individuellement, soit dans le prochain rapport sur l’État des oiseaux du Canada?
Cette porte semble ouverte – et une nouvelle étude pilote dans laquelle le ministère fédéral s’est associé au comité scientifique du réseau, axée sur la paruline rayée, pourrait sceller l’accord.
La paruline rayée est un oiseau chanteur migrateur qui se reproduit au printemps et en été dans la région boréale et en hiver en Amérique du Sud – et son parcours vers le sud-est particulièrement épique. La paruline, qui pèse moins qu’une pièce d’un dollar (7 g), commence son voyage en volant vers l’est, au-dessus de l’océan Atlantique, puis voyage sans escale pendant plusieurs jours avant d’atterrir soit dans les Antilles, soit sur la côte nord-est de l’Amérique du Sud. Ce voyage de 2 000 à
2 500 kilomètres est le plus long vol au-dessus de l’eau jamais enregistré par un oiseau chanteur.
Les mesures pertinentes de cette étude concernent toutefois leurs niveaux de population dans la région boréale. D’après les données du RNAON, leur situation est désastreuse, leur population ayant chuté de 83,8 % entre 1970 et 2016. Pourtant, les données recueillies par les observatoires du réseau depuis les années 1990 indiquent des populations de parulines rayées relativement saines et stables dans l’ouest et le centre du Canada, avec un déclin uniquement dans l’est.
L’objectif de l’étude conjointe est de « comprendre l’écart », explique Bruno Drolet, d’Environnement Canada, qui est également membre du comité directeur du réseau et qui a dirigé l’observatoire de Tadoussac pendant trois ans au début des années 2000.
Sur la base des rapports du RNAON, M. Drolet indique que la paruline rayée est candidate à l’évaluation et à l’inscription possible sur la liste du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. « L’un des pièges que nous voulons éviter à tout prix est de déclarer un oiseau comme une espèce en danger, alors qu’en fait il ne l’est pas du tout, en raison de mauvaises données », explique-t-il.
Pour être clair, son ministère n’examine pas les données du réseau de plus près uniquement pour combler les lacunes des données concernant les oiseaux boréaux. Sous les auspices d’une stratégie de surveillance de la forêt boréale du Service canadien de la faune, un plan long, détaillé et onéreux est en cours d’élaboration pour déployer sur le terrain une étude de surveillance de la forêt boréale afin de compter les oiseaux pendant la saison de reproduction. Dans un article publié l’année dernière dans la revue Plos One, le service a présenté ce qu’il estime être la méthode d’échantillonnage la plus rentable et la plus précise sur le plan statistique à suivre. Aujourd’hui, M. Drolet déclare que ses collègues d’autres régions et lui-même travaillent à sa mise en oeuvre.
« Le défi est titanesque. Et les ressources sont limitées. Il faudra donc peut-être 20 ans pour couvrir l’ensemble de la forêt boréale, » dit-il, et encore plus longtemps pour établir une série chronologique permettant d’évaluer les tendances.
Selon Erica Dunn, l’ampleur de cette tâche souligne la valeur potentielle que peut apporter le relevé de suivi des migrations de son réseau. Elle espère que les premiers progrès réalisés dans le cadre du projet pilote sur la paruline rayée permettront bientôt à Environnement Canada d’examiner de plus près les données que le RCSM a compilées jusqu’à présent pour une douzaine d’autres migrateurs nicheurs de la forêt boréale.
« C’est vraiment un développement passionnant pour le réseau, déclare Erica Dunn. C’est vraiment ce pour quoi nous travaillons, ce vers quoi nous travaillons, depuis 20 ans. Et nous sommes enfin en position d’y parvenir. »1