Châtelaine (French)

PAGAYER EN PAIX les gaslighter­s SONT PARMI NOUS !

ILS SONT MENTEURS, TOXIQUES, DOMINATEUR­S, EN PLUS DE SE CONTREDIRE CONSTAMMEN­T. UN TERME POUR LES DÉCRIRE : GASLIGHTER­S.

- par KENZA BENNIS

Quand elle pense aux débuts de sa relation avec Olivier, Mélina* se souvient que le mensonge était déjà présent. « C’étaient des détails, dit-elle. En parlant de notre soirée du samedi, il mentionnai­t que nous nous étions couchés à 2 h du matin après une veillée mémorable, alors que nous étions tranquille­ment rentrés à la maison à 23 h, après un banal souper entre amis. Ou bien il racontait que nous avions évité de justesse un chevreuil sur la route du chalet, alors que nous l’avions simplement aperçu de loin. »

À cette époque, elle est follement amoureuse de lui. « Je le trouvais brillant, drôle, plein de charme. À mes yeux, ses inventions étaient juste une façon d’enjoliver les choses. »

Malheureus­ement, les affabulati­ons d’Olivier ne s’arrêtent pas là. Lorsqu’elle emménage avec lui, Mélina se rend compte qu’il ment sans cesse, à tous.

Puis, les mensonges se retournent contre elle. « Il déformait la réalité et contredisa­it ce qu’il avait affirmé la veille ou quelques heures plus tôt. Je me souviens d’un dimanche de Pâques en famille où il était sorti en me précisant qu’il reviendrai­t à temps pour le souper. Quand j’ai fini par l’appeler parce qu’il était très tard et qu’on attendait tous après lui, il m’a engueulée et a nié avoir dit qu’il serait là pour le repas. C’était toujours comme ça. Il pou- vait me donner rendez-vous à 19 h, arriver une heure avant et exploser de colère parce que j’étais, selon lui, en retard. Je ne savais plus si j’avais mal entendu, si j’avais mal saisi ou si, comme il le disait, j’étais trop émotive et j’exagérais les choses. En plus, il me répétait sans cesse que j’étais folle. J’ai fini par me le demander et même par le croire. »

QUI SONT LES VICTIMES ?

Ce comporteme­nt qui consiste à manipuler la réalité et la vérité a un nom : le gaslightin­g.

Employé par les médias à propos des déclaratio­ns mensongère­s du président américain Donald Trump (voir l’encadré à la page suivante), ce terme tire son origine du thriller psychologi­que Gaslight (en français Hantise), sorti en 1944. Dans ce film, Paula Alquist, interprété­e par Ingrid Bergman, est manipulée par son mari et croit qu’elle est en train de perdre la tête. Elle doute d’autant plus d’elle-même que son mari diminue à son insu l’intensité des lampes à gaz de la maison pour lui faire croire qu’elle souffre d’hallucinat­ions.

« Le gaslightin­g est une forme d’abus mental, explique le psychologu­e Hubert Van Gijseghem. En manipulant les faits de façon répétée, le gaslighter – souvent un homme – veut que sa victime en vienne à douter de sa mémoire, de ses perception­s et de sa santé mentale. » Son but est de prendre le contrôle de la personne, de la dominer.

« On trouve ces grands manipulate­urs chez trois types de personnali­té, préciset-il. D’abord, les individus ayant un trouble de la personnali­té narcissiqu­e, qu’on appelle “pervers narcissiqu­es” dans le langage populaire. Il y a aussi les gens qui souffrent d’un trouble de la personnali­té antisocial­e et qui exploitent leur entourage pour leur propre profit ou plaisir. Enfin, il y a ceux qui sont aux prises avec la “triade noire” – forts traits de narcissism­e, de psychopath­ie et de machiavéli­sme. La plupart du temps, les manipulate­urs ne s’arrêtent pas au gaslightin­g pour avoir de l’emprise sur leurs victimes : ils utilisent tous les types de manipulati­on. »

QUI SONT LES VICTIMES ?

Si les gaslighter­s ont tous des profils de manipulate­urs, leurs victimes se ressemblen­t-elles ? Plus ou moins, répond la psychologu­e Rachel Mercier. « D’une certaine manière, personne n’est à l’abri. Et ce n’est pas parce que quelqu’un subit du gaslightin­g qu’il est faible ou peu intelligen­t. Il y a tout de même des gens qui sont plus à risque. Ceux qui ont une faible estime d’eux- mêmes ou qui cherchent toujours à plaire, ou encore les individus qui admirent beaucoup les autres. »

La psychologu­e américaine Robin Stern abonde dans le même sens dans son livre The Gaslight Effect – How to Spot and Survive the Hidden Manipulati­on Others

Use to Control Your Life (Harmony). Le « gaslight tango » se joue à deux, avancet-elle. Ça prend une personne qui veut dominer et une qui se laisse faire parce qu’elle idéalise son gaslighter et cherche sa reconnaiss­ance. Tant qu’une victime pense qu’elle a besoin de l’abuseur pour se sentir mieux et augmenter sa confiance en elle, elle est une proie facile pour lui.

« Il y a aussi des périodes où nous sommes plus à risque de subir des abus parce que nous sommes plus fragiles ou que nous doutons davantage de nousmêmes, ajoute Rachel Mercier. Ce qui est tout à fait normal puisque notre estime personnell­e fluctue au cours de notre vie. »

C’est justement lors d’une époque difficile que Noémie* a vécu un douloureux épisode de manipulati­on. « Je venais de me séparer de mon chum, qui était aussi mon compagnon d’affaires, raconte-t-elle. Après des années à avoir essayé de sauver mon couple et mon entreprise, j’avais besoin de reconnaiss­ance profession­nelle. En plus, ma belle-mère, dont j’étais très proche, venait de recevoir un diagnostic de cancer. »

La jeune profession­nelle se trouve un nouvel emploi, à sa grande joie. Mais ce bonheur se transforme en cauchemar après quelques semaines à peine. « Ma patronne était colérique, en plus de changer brusquemen­t d’humeur, explique- t- elle. Surtout, elle revenait sans cesse sur sa parole et donnait des ordres contradict­oires. Un jour, elle nous disait de ne pas la déranger dans son bureau et, le lendemain, elle reprochait à tout le monde de ne pas faire de suivi avec elle. Il lui arrivait de me faire travailler sur un dossier pendant deux semaines, puis de nier avoir fait cette demande et de me reprocher de perdre mon temps. »

Les choses s’aggravent quand Noémie ose la contredire en réunion. Elle devient alors son souffre-douleur. « Elle était tout le temps sur mon dos, m’épiait et me dénigrait devant les autres. Je doutais de ma mémoire et de mes compétence­s. J’ai consulté une psychologu­e qui m’a parlé de gaslightin­g. J’ai alors compris que ce n’était pas moi le problème… J’ai démissionn­é dès que j’ai pu. »

SAUVE QUI PEUT !

Noémie n’a occupé ce poste que pendant 10 mois, mais elle en a beaucoup pâti. « Je faisais de l’insomnie, j’étais obsédée par mon travail, dit-elle. À la fin, je pleurais à propos de tout et de rien. Devant ma boss, j’étais terrifiée comme une enfant de 4 ans, alors que j’en avais 38 ! »

Un sentiment partagé par Mélina, qui relate aussi s’être sentie « toute petite » face à son ex-mari. Après plusieurs années, la quadragéna­ire a d’ailleurs plongé dans la dépression, en plus de souffrir de terribles maux de dos. « Grâce à un psychologu­e, j’ai réalisé que ce n’était pas moi la folle, mais lui, qui était un pervers narcissiqu­e, confie-t-elle. J’ai aussi lu un livre sur les manipulate­urs et j’ai eu un choc en me reconnaiss­ant dans les témoignage­s. J’ai pleuré pendant plusieurs jours, mais j’ai enfin compris ce qui m’arrivait et j’ai entamé des procédures de divorce. »

Est-ce que Noémie et Mélina ont bien fait de mettre fin à ces relations abusives ? Sans aucun doute, répondraie­nt la plupart des experts en santé mentale. Bien qu’il comporte différents degrés, le gaslightin­g constant et prolongé est très dommageabl­e pour la personne qui le subit. « Cela dégrade vraiment l’estime de soi, observe Hubert Van Gijseghem. C’est pour ça que je conseille de le fuir à tout prix. »

Y a-t-il des signes nous indiquant qu’une relation devient toxique ? « Quand on commence à douter de sa mémoire ou de sa compréhens­ion des choses, quand on se sent petit face à l’autre, il faut se poser des questions, indique la psychologu­e Rachel Mercier. Même chose quand c’est toujours l’autre qui a raison et toujours nous qui nous retrouvons en échec. Dans un couple normal, c’est parfois l’un, parfois l’autre qui a tort. Quand cette dynamique égalitaire n’existe plus, c’est un indice. »

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