Châtelaine (French)

L’île aux GOURMANDIS­ES

L’Île-du-Prince-Édouard, la plus petite des provinces canadienne­s, regorge de délices qui vont bien au-delà de ses populaires moules et patates.

- CAROLINE FORTIN LOUISE SAVOIE par photos

Il est 18 h ou plutôt, comme on dit ici, c’est l’Oyster Hour. Le soleil plombe. Ses rayons font miroiter la rivière qui clapote au bout de l’immense terrain où jasent une soixantain­e de convives, dont certains venus de l’Ontario et du Vermont pour vivre l’expérience « Feast » – le banquet en français. Je suis au Inn at Bay Fortune, au sud de la pointe est de l’Île-du-PrinceÉdou­ard, dans un domaine construit en 1913, où s’étendent jardins, serres et enclos. Dans cet endroit pas comme les autres, l’apéro se prend dehors quand il fait beau, au gré de stations installées sur l’herbe où l’on prépare et sert de quoi nous mettre en appétit. Je débute par le bar à gin tonic (à base d’alcools locaux), où je fais la connaissan­ce d’un couple de Québécois en vacances. Alléchante odeur oblige, je me dirige ensuite vers le gril en plein air. Un cuisinier y fait rôtir des satays de boeuf de l’île à la sauce chimichurr­i qui fondent dans la bouche. Dans la cour arrière sont offertes des saucisses grillées à tremper dans une moutarde maison à la bière, puis dans une herbe ciselée de son choix – ce jour-là : shiso (une plante aromatique japonaise), menthe ou basilic, toutes cueillies à quelques pas de là. Simple, ingénieux… et délicieux !

C’est dans la salle à manger du bien nommé resto FireWorks que je découvre enfin la pièce maîtresse des lieux : un immense four en briques de huit mètres de large, où tout est cuit, fumé, grillé par la seule magie du feu – zéro électricit­é ou propane. Le saumon façon pastrami (c’est-à-dire épicé et fumé comme cette viande) qui en sort ? À créer une dépendance. Dans la cuisine, pendant que Cobey, l’affable chef cuisinier, découpe un énorme flétan frais pêché, j’entends des « oh ! » et des « wow ! » intrigants. J’en découvre vite la raison : le proprio du domaine, le chef-vedette Michael Smith – il a des émissions à Food Network – y écaille et y sert ses fameuses huîtres Colville garnies de granité au Bloody Mary… Inoubliabl­e.

UN FESTIN FAMILIAL

Michael Smith a quitté l’État de New York pour l’Île-du-Prince-Édouard en 1992, pour un contrat d’un an dans cette même auberge de la paisible Bay Fortune. Un an qui s’est étiré… En fait, il ne retournera jamais vivre au sud de la frontière. C’est ici que ce géant de la cuisine (il mesure six pieds sept pouces !) a lancé sa carrière d’animateur et d’auteur de livres de recettes à succès. Puis, en 2015, le destin cogne à sa porte : on lui propose d’acheter, avec sa femme Chastity, l’établissem­ent où il a débuté. Il concrétise alors un rêve.

« Recréer ici l’ambiance du week-end à la maison : la famille, les amis, les enfants, une grande table et de la bouffe cuite sur le feu dans ma cour, avec des produits de partout sur l’île », raconte-t-il, sourire aux lèvres. Bref, servir de délicieux repas, rustiques et conviviaux, dans un resto qui était jusque-là reconnu pour sa cuisine élégante. « Je lui ai dit : ‘‘Tu es fou, mais je te fais confiance !’’ » rigole son épouse, chanteuse, parolière et mère des deux plus jeunes enfants de la famille, qui agit comme tenancière de l’auberge campagnard­e de 17 chambres, la seule à détenir cinq étoiles sur l’île.

C’est d’ailleurs pour reconnecte­r ses invités à la matière première qu’il tient à faire son Oyster Hour à l’extérieur. « Nos employés les encouragen­t à se promener sur le terrain, à aller saluer les cochons, à visiter les jardins, la serre, lance-t-il. Nos cuisiniers mettent la main à la terre, récoltent les légumes et les fines herbes. À 51 ans, mon travail est maintenant de transmettr­e tout ce que j’ai appris sur l’île depuis 25 ans. Je veux partager ma passion pour la richesse de ce lieu magnifique et de ses producteur­s. »

Voici enfin l’heure du fameux souper. La place de chacun est joliment marquée sur les longues tables communes. Le but de cette configurat­ion : « Parler à ses voisins, casser la croûte et prendre du bon temps ensemble, résume Michael. Après tout, c’est ce qu’on fait dans les Maritimes : we chill out ! » Il faut dire que les plats nourrissen­t aisément la conversati­on – chowder surmonté de légumes marins, flétan poêlé sauce romesco, salade du jardin craquante, poulet braisé, légumes caramélisé­s, purée de pommes de terre à l’ail noir et, pour finir, tarte aux baies de l’île et… crème glacée au chou-fleur ! Les sceptiques, y compris ma très loquace petite voisine de six ans, sont confondus.

Le lendemain matin, après avoir dormi comme un bébé dans ma somptueuse chambre logée au sommet d’une tourelle, je ne peux pas croire que… j’ai encore faim. De toute façon, comment résister aux oeufs bénédictin­e, confitures, smoothie et granola maison qui me narguent dans l’assiette ? Je me souviendra­i longtemps de ce beurre noisette tartiné sur du pain maison et offert à tous les hôtes de l’auberge en cadeau à ramener chez soi.

« L’Île-du-Prince-Édouard est un véritable paradis pour les chefs : mer, terre, pâturages. Il y a 25 ans, on exportait toute la pêche et les patates ! Il

n’y avait pas grand monde qui s’intéressai­t à ce que ce territoire a à offrir sur le plan culinaire. Aujourd’hui, c’est une tout autre histoire… », dit Michael Smith, qui a pour son île un amour infini. On comprend pourquoi dès qu’on y pose les pieds.

LA FACTURE THE INN AT BAY FORTUNE EST OUVERT DE MAI À OCTOBRE. POUR LE « FEAST » , IL FAUT COMPTER 125 $, POURBOIRES INCLUS ( EXCLUANT L’ALCOOL), DE L’OYSTER HOUR AU DESSERT. INNATBAYFO­RTUNE.COM Notre journalist­e était l’invitée de Tourisme Île-du Prince-Édouard.

 ??  ?? Flétan poêlé avec sauce romesco surmonté de marinades à la moutarde et de légumes marins.
Flétan poêlé avec sauce romesco surmonté de marinades à la moutarde et de légumes marins.
 ??  ?? Le chef propose ici quelques- uns de ses produits préférés de l’île.
Le chef propose ici quelques- uns de ses produits préférés de l’île.
 ??  ?? Sur le quai de Victoria- by- the- Sea, petit village historique sur la côte sud de l’île.
Sur le quai de Victoria- by- the- Sea, petit village historique sur la côte sud de l’île.
 ??  ?? Le chef Michael Smith dans son resto, le FireWorks.
Le chef Michael Smith dans son resto, le FireWorks.
 ??  ?? Au FireWorks, le four sert aussi à fumer... le beurre d’arachides servi au petit- déjeuner.
Au FireWorks, le four sert aussi à fumer... le beurre d’arachides servi au petit- déjeuner.
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