Châtelaine (French)

Et la colère des femmes ?

- PAR ANDRÉANNE MOREAU

« Hystérique », « folle », « mal baisée ». La colère des femmes est souvent mal reçue. On dira d’un homme qui se fâche qu’il établit ses limites, s’affirme. D’une femme, on dira qu’elle n’arrive pas à contrôler ses émotions. Pour les instigatri­ces du livre Libérer la colère, il était temps de s’affranchir de ce tabou et de laisser sortir cette émotion. Inspirées par cette initiative, nous avons demandé à 12 personnali­tés québécoise­s quelle relation elles entretenai­ent avec la colère. DIANE DUFRESNE, CHANTEUSE

Je suis quelqu’un de toujours pas mal en crisse. Je trouve que c’est quelque chose de sain, tant que ça n’engendre pas la violence. Pour moi, c’est un instinct. Il y a tellement de choses qui me fâchent. La mer de plastique, les abus à l’égard des enfants, la disparitio­n d’espèces animales… Devant tout ça, je préfère la colère à la tristesse. Mais la colère doit toujours être justifiabl­e. Être en colère pour rien, c’est vraiment trop con.

AGNÈS MALTAIS, DÉPUTÉE

Quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale, il y a 20 ans, on qualifiait les femmes d’hystérique­s dès qu’elles montraient de la colère. Ça commence à s’améliorer, surtout dans les relations entre députés. Mais il y a un élément nouveau: la quantité phénoménal­e de commentate­urs et d’analystes qui interposen­t un filtre entre les politicien­s et le public. Plusieurs d’entre eux nous jugent plus durement que nos collègues masculins. Je crois qu’il faudra que ces métiers se féminisent pour que le deux poids deux mesures cesse vraiment. Pour l’instant, les tables rondes de nos médias sur la politique sont bien masculines.

MICHELINE LANCTÔT, ACTRICE, RÉALISATRI­CE ET PRODUCTRIC­E

Pour mon plus grand malheur, j’ai hérité du gène colérique de mon père. Et, comme lui, qui est allé jusqu’à entrer chez les jésuites pour combattre ça, j’ai lutté toute ma vie contre ma colère. J’ai déjà brisé une barre à serviettes avec mes dents, je me suis cassé un orteil en tapant contre un pneu. La colère, la vraie, celle qui met un voile rouge devant nos yeux, elle est terrible. On peut s’offusquer, s’indigner, se fâcher, je le fais beaucoup. Ça, c’est productif, ça permet de lâcher un peu de vapeur. Mais les accès de colère me paralysent et il me faut trois jours, après,

pour métabolise­r cette maudite hormone. Heureuseme­nt, j’ai appris à les éviter, à fuir les provocatio­ns, si bien que ça doit faire un bon 30 ans que je n’en ai pas eu.

ISABELLE MARÉCHAL, ANIMATRICE RADIO AU 98,5 FM

Une femme qui parle fort, qui exprime ses opinions et les assume, ça dérange toujours. À mes débuts dans ce métier, je m’inquiétais davantage de la réaction des auditeurs. Maintenant que je l’exerce depuis 10ans, je ne me pose plus la question. Mais cette colère-là, elle est saine. C’est une colère sociale qui sert à faire bouger les choses. Là où ça me pose problème, c’est quand les gens sont incapables de la gérer et la recrachent au visage des autres. Je trouve ça d’une violence, les colériques! C’est toxique. Des personnes comme ça, je n’en veux pas dans ma vie. J’en ai eu, et je n’en veux plus.

DJEMILA BENHABIB, ÉCRIVAINE ET MILITANTE POLITIQUE

Dans l’absolu, la colère est le moteur du changement. Il faut être indigné pour vouloir changer les choses. Sauf qu’on vit à une époque où on est contraint d’être constammen­t heureux, jovial, alors ce n’est pas facile d’assumer sa colère. En la refoulant, on perd de la complexité humaine, on occulte toute une dimension de notre nature.

GENEVIÈVE ST-GERMAIN, JOURNALIST­E ET AUTEURE

On vit dans un monde où il y a tellement d’injustices. Comment peut-on ne pas être en colère ? Ce n’est pas simple de l’exprimer, ceci dit, même pour moi. Je ne suis pas si différente des autres femmes à qui on a inculqué qu’on devait la retenir, la refouler. Souvent, on la retourne contre nous. Je l’ai fait. Maintenant, elle ne m’envahit plus parce que j’ai accepté qu’elle est là, qu’elle n’est qu’une facette de moi qui cohabite avec la joie et la tristesse.

CATHERINE PERRIN, ANIMATRICE À ICI RADIOCANAD­A PREMIÈRE

Je me considère comme très privilégié­e. Je suis blanche, canadienne, j’ai eu un père féministe qui nous encouragea­it à prendre notre place, alors je n’ai pas beaucoup de raisons personnell­es de ressentir de la colère. Je m’autorise ce sentiment seulement si je peux l’investir pour changer quelque chose, pour agir, pour aider les autres. La colère doit mener à l’action, sinon, dans mon cas, ce ne serait que du tapage.

LAURE WARIDEL, ÉCOSOCIOLO­GUE

Si la colère n’est pas facile à gérer, c’est en partie parce que, socialemen­t, on a tendance à la considérer comme une émotion négative. Mais elle peut aussi être positive. Quand je visitais les plantation­s de café, je ressentais beaucoup de colère et de tristesse devant les inégalités que j’y voyais. C’est ce qui m’a menée à m’engager dans le commerce équitable et à essayer de changer les choses. La colère peut nous donner l’énergie nécessaire pour transforme­r ce qui la cause.

NATALIE-ANN ROY, CODIRECTRI­CE DU COLLECTIF LIBÉRER LA COLÈRE

« Ne te fâche pas comme ça. » « Voyons, souris, ma belle. » Si on ne m’a pas enseigné à gérer ma colère ou même à y avoir droit, mon corps, lui, reconnaît sans hésitation cette émotion de base. Et ne sachant pourquoi il n’est pas permis de l’expulser, il l’imprime dans des endroits sombres. Les ténèbres n’attendent que le « pop », le couvert de la maladie, le débordemen­t, pour ressortir… (EXTRAIT DU LIVRE)

DENISE BOMBARDIER, CHRONIQUEU­SE

Il y a un prix à la colère. Il faut accepter qu’elle provoque des réactions. Je me suis fait traiter de tous les noms, de « pas baisable », mais je n’ai jamais accepté d’être une victime. J’étais perçue comme agressive parce que je prenais littéralem­ent la place des hommes. Mais si je m’étais mise à pleurer et à me fâcher, je n’aurais jamais accédé à la liberté dont j’ai pu jouir. On disait que les femmes devaient être modestes. J’ai décidé que ça s’arrêtait à moi. J’en ai pris plein la gueule, mais je n’ai fait que ce que j’aimais dans la vie.

DENISE BOUCHER, ÉCRIVAINE

La colère est une vertu. Pour moi, ç’a été le moteur de ma création, avec l’amour. Mais c’est la grande interdicti­on. On n’a pas le droit, comme femme, de se fâcher. Ils veulent qu’on soit docile et gentille, qu’on sourie, comme la Sainte Vierge. Avant, je souffrais. C’est quand je me suis mise en colère que j’ai arrêté de souffrir. Mais la colère ne peut pas être juste un cri dehors, contre les autres. Il faut qu’elle vienne avec une joie intérieure, il faut être contente de la faire pour ne pas qu’elle se retourne contre nous et qu’on en ait honte. Alors, que la colère vous soit douce et bonne.

JOHANNE FONTAINE, ACTRICE

Eh Seigneur ! J’ai tellement dû travailler là- dessus ! Contrairem­ent à bien des gens qui la gardent en travers de la gorge, mon problème à moi, c’était que je n’avais aucune difficulté à l’exprimer. Ça sortait tout croche, de façon impulsive et, on va se le dire, j’avais l’air d’une maudite folle. Maintenant, je l’observe, je l’accueille et je la transforme en indignatio­n. Parce qu’il faut être écologique par rapport à soi, la colère demande beaucoup d’énergie. Mais il faut aussi s’autoriser à exprimer ce qui ne va pas. Il y a tellement d’injustices. Aujourd’hui, j’arrive à dire ce que j’ai à dire sans me rouler par terre de rage.

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