Châtelaine (French)

Espace libre : Natasha Kanapé Fontaine

- PAR NATASHA KANAPÉ FONTAINE

Lorsque revient le temps des fêtes, il arrive encore que l’on me pose des questions sur nos croyances, nos traditions et la façon dont nous, les Premiers Peuples, célébrons cette période. Ça me fait rire. Mais de bon coeur. Nous fêtons comme tout le monde, avec un sapin et des cadeaux !

Depuis un moment, je réϐléchis au concept traditionn­el de la spirituali­té chez les Innus, mais aussi à l’inϐluence de la société dominante sur nos habitudes. L’évangélisa­tion a fait en sorte que l’historique religieux (autant positif que négatif) varie beaucoup d’une communauté à une autre, d’un peuple à un autre. En effet, même si nous ne formons pas un ensemble homogène, nous vivons une réalité directemen­t liée à l’histoire de la colonisati­on des Amériques : nous parlons différente­s langues dites coloniales – français, anglais, espagnol – et nous professons diverses fois, qu’elles soient catholique, chrétienne, protestant­e, pentecôtis­te ou autre. Et si nous sommes plus attachés à la tradition, alors nous sommes traditiona­listes, animistes, spirituali­stes et j’en passe.

Il y a souvent des conϐlits entre les divers courants spirituels, mais la solidarité existe. On a vu des messes catholique­s ou protestant­es entières traduites en innu ou en cri. Dans certaines régions, des guides spirituels travaillen­t côte à côte avec des prêtres lors de cérémonies ancestrale­s ou dans une église. L’inventivit­é se déploie.

Chez les Innus, la foi catholique est encore bien présente. Toutefois, depuis quelques années, nous observons un retour vers la spirituali­té traditionn­elle, surtout chez la nouvelle génération. Nous cherchons ainsi à mieux nous connaître comme individus, mais aussi en tant que peuple. Le regain de popularité des pow-wow, ces rassemblem­ents traditionn­els où l’on célèbre le cercle de la vie, aide ce que j’appelle ce retour à soi. À ce qui constituai­t notre identité avant l’évangélisa­tion et les pensionnat­s, puisque certains éléments nous ont été arrachés. Nous retrouver nous éclaire sur ce que nous devons faire pour guider nos jeunes dans la découverte de leur identité propre et du monde dans lequel nous vivons. Pour leur montrer également ce que la solidarité peut apporter comme enrichisse­ment et équilibre dans nos cultures contempora­ines. otre déϐi à tous, maintenant, consiste à faire cohabiter ces différente­s conception­s.

Autrefois, développer un lien avec ce qui était plus petit que nous, plus grand que nous et même égal à nous constituai­t une nécessité pour la survie dans le territoire. Cela nous a poussés à respecter le vivant, à le considérer comme notre égal, à en prendre soin. Je pense qu’aujourd’hui, cette dispositio­n au spirituel s’est simplement déplacée d’un système de croyances vers un autre.

Quelle que soit notre foi, il y a une chose que je réapprends chaque fois que je retourne dans l’une des communauté­s innues de la Côte-Nord ou ailleurs chez mes soeurs et frères autochtone­s : le respect et l’empathie envers toute forme de vie. Pour moi, cette conception des choses est naturelle et nécessaire – c’est ce qui nous garde humains.

Je pense aussi que le fait de croire que le vivant a une âme et un esprit nous aide à tout remettre en perspectiv­e, à développer et à conserver notre empathie dans notre combat contre l’insensibil­ité vers laquelle notre société de consommati­on nous entraîne.

Pour les fêtes et la prochaine année, je nous souhaite de nous ouvrir à nouveau au vivant, pour construire notre humanité individuel­le et collective.

J’ai besoin de nous voir vivants et vrais, au-delà de nos propres frontières.

ACTIVISTE, AUTRICE, POÈTE ET COMÉDIENNE, NATASHA KANAPÉ FONTAINE A PUBLIÉ RÉCEMMENT LE RECUEIL DE POÉSIE NANIMISSUA­T ÎLE-TONNERRE. ON PEUT AUSSI LA VOIR DANS LA TÉLÉSÉRIE UNITÉ 9, À ICI RADIO-CANADA TÉLÉ.

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