Châtelaine (French)

NOUS NE NOUS TAIRONS PLUS

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Un frisson me parcourt l’échine. Un mélange d’étonnement et d’exaltation me saisit alors que je suis assise parmi les participan­tes à la conférence internatio­nale de Women Deliver, consacrée à l’égalité entre les sexes. (Voir le reportage en page 54.)

Autour de moi, des femmes de partout lèvent la main dans un élan de ferveur. L’assistance réagit à une question lancée par la journalist­e indienne Barkha Dutt, qui anime une plénière sur la force des mouvements sociaux. « Les mouvements ne peuvent pas naître dans le silence. Qui se sent prête à briser le silence ? » demande la chroniqueu­se du Washington Post.

Que de chemin nous avons fait toutes ensemble ! #Agression Nondénoncé­e et #Moiaussi, comme d’autres initiative­s du genre, ont changé la donne. Nous nous levons pour dire haut et fort : « C’est assez ! » Plus question de porter la honte et de subir l’inacceptab­le.

Partout sont rejetées les vieilles façons de faire, ce fond de machisme qui gangrène les studios d’hollywood, les campus universita­ires ou les villages africains. Nous prenons notre place, conquérons le pouvoir.

« Mon nom est Aissata Camara. Je suis une survivante des mutilation­s génitales. » Bang. La phrase tombe comme une tonne de briques. Silence assourdiss­ant dans la salle. (On compte parmi ces mutilation­s l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins externes avec un couteau ou un rasoir.)

Il en faut du courage pour faire pareille révélation. Je le mesure avec précision : jeune journalist­e, j’ai parcouru

AOÛT/SEPTEMBRE 2019 • CHÂTELAINE l’afrique et j’ai recueilli de telles conϐidence­s au gré de mes rencontres. Mes interlocut­rices voulaient en parler, mais n’étaient pas prêtes à témoigner à visage découvert dans un reportage. Elles avaient peur – avec raison – d’être rejetées par leur communauté. Mais voilà, tout change là-bas aussi.

Le mouvement est porté par de jeunes femmes comme Aissata Camara, 31 ans, co-instigatri­ce de la fondation There Is No Limit (« Il n’y a pas de limites »). Née en Guinée, elle a émigré aux Étatsunis avec sa famille à 13 ans, après avoir subi l’excision. « Après, ma vie a changé. J’étais assez âgée quand cela s’est passé, alors j’ai vécu un choc. J’étais traumatisé­e. Depuis, je le sens dans mon corps… chaque jour. »

Aissata porte une grande blessure dans sa chair et cherche maintenant à en protéger d’autres ϐillettes – la pratique est présente sur tous les continents, sauf en Antarctiqu­e. « Pourquoi les mutilation­s sexuelles subsistent ? Les parents font ça pour éviter que leurs ϐilles aient une vie de débauche ! ditelle, exaspérée. Alors, il faut les éduquer. Aussi, on doit dire à chaque ϐillette : ton corps est sacré. »

There Is No Limit travaille à sensibilis­er les

ÉCRIVEZ-MOI À familles et les exciseuses au moyen de pièces de théâtre, de concerts, de causeries dans des pays africains. « Ce n’est pas facile de changer les traditions. Ça commence à bouger grâce aux jeunes, les femmes comme les hommes, qui sentent qu’ils ont une responsabi­lité sociale. Mais il y a encore une culture du silence autour des mutilation­s génitales. Voilà pourquoi on veut en faire un sujet de discussion », martèle-t-elle.

Encore ce silence à fracasser… pour mieux faire entendre nos voix et nos droits. Johanne Lauzon, rédactrice en chef johanne.lauzon@chatelaine.rogers.com

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