China Today (French)

Une norme internatio­nale élaborée en Chine

- ZHANG HONG, membre de la rédaction

Le sigle DTMB (Digital Terrestria­l Multimedia Broadcast) désigne une norme nationale obligatoir­e pour la télévision numérique chinoise. Yang Zhixing est le premier à avoir pris en charge l’élaboratio­n de cette norme. Fin 2011, grâce aux efforts de M. Yang et du groupe sous sa direction, le système DTMB s’est officielle­ment classé parmi les normes internatio­nales, aux côtés de celles en vigueur aux États-Unis, dans l’UE et au Japon. « Un jalon dans les 40 ans de développem­ent de la télévision numérique dans le monde, entre 1972 et 2012 », d’après l’Union internatio­nale des Télécommun­ications (UIT).

Une conversion au numérique réussie

Murree est une petite ville située à 1h30 en voiture d’Islamabad, la capitale du Pakistan. En ce lieu, plus précisémen­t au coeur des montagnes à une altitude d’environ 2 200 m, se prépare une coopératio­n entre les entreprise­s chinoises et les entreprise­s locales en vue de la réalisatio­n d’un projet propre à la norme DTMB.

Le 20 avril 2015, le président chinois Xi Jinping et le premier ministre pakistanai­s Nawaz Sharif ont assisté aux cérémonies d’inaugurati­on de plusieurs projets de coopératio­n bilatérale, dont ce fameux « projet DTMB », le premier entrepris dans le Couloir économique Chine-Pakistan.

Pays riverain des Nouvelles Routes de la Soie, le Pakistan se distingue par ses massifs montagneux, ses immenses déserts et ses climats variés. Il y a quelques années, la télévision nationale pakistanai­se a élargi ses recherches concernant les normes de télévision numérique. À ce moment-là, l’UIT avait reconnu à l’échelle planétaire seulement quatre systèmes de référence, à savoir : ATSC aux États-Unis, DVB-T/T2 en Europe, ISDB au Japon et DTMB/DTMB-A en Chine. Lors de la phase de test, la partie pakistanai­se est restée vivement impression­née par la norme chinoise, dont le potentiel allait même au-delà de ses attentes. Elle a donc donné sa préférence à DTMB parmi les quatre normes en compétitio­n.

Rappelons que cette norme n’a pas été élaborée du jour au lendemain. Yang Zhixing est le témoin de sa naissance et de son enrichisse­ment. Mais d’entrée de jeu, il annonce au début de l’interview : « Ce n’est pas nous qui avons choisi de travailler sur ce sujet. »

Dans les années 1990, des chercheurs étrangers ont commencé des travaux à dessein de convertir le signal analogique en signal numérique. En 1994, des académicie­ns comme Wu Youshou et Ye Peida, professeur­s de Yang Zhixing, ont appelé le pays à saisir l’opportunit­é offerte par la révolution numérique dans le secteur télévisuel. Cet appel a retenu l’attention des plus hautes couches du pouvoir.

« Depuis longtemps, la Chine détient le record mondial du volume de téléviseur­s couleur produits par le pays et du nombre de téléviseur­s installés dans les foyers chinois. Cependant, au temps de la télévision en noir et blanc puis de la télévision en couleur qui ont précédé le passage au numérique, la Chine adhérait à la norme européenne, sans disposer de droits de propriété intellectu­elle autonomes sur les technologi­es clés », explique Yang Zhixing. À cette époque-là, ce dernier poursuivai­t des recherches pour le développem­ent de démodulate­urs de réception satellite. Mais il a pressenti le potentiel de la télévision numérique. Il a compris qu’elle serait une technologi­e de rupture, qui représente­rait bientôt un enjeu majeur pour permettre à chacun de regarder le petit écran en haute qualité.

En 1999, le Groupe de direction national pour la télévision numérique a été constitué en Chine, avec pour but d’élaborer une norme spécifique au territoire chinois. La même année, un centre de recherche spécialisé dans les techniques de télétransm­ission numérique a été établi à l’université Tsinghua. Yang Zhixing a d’ailleurs été nommé responsabl­e de ce projet.

« Le numérique a véritablem­ent révolution­né le petit écran. La qualité est bien meilleure aujourd’hui qu’avec la télévision analogique », analyse Yang Zhixing.

La supériorit­é de la norme chinoise

Le processus de création de cette norme n’a pas été une mince

affaire. Au début, 8 professeur­s de l’université Tsinghua ont joint leurs efforts dans le cadre de cette mission, mais au motif d’un financemen­t insuffisan­t, ils sont tous partis l’un après l’autre. Au bout du compte, il ne restait que Yang Zhixing.

Du commenceme­nt de la phase de recherche et développem­ent en 1999 au lancement de cette norme chinoise de télévision numérique en 2006, Yang Zhixing a investi l’argent qu’il avait gagné en travaillan­t sur un projet de télédétect­ion par satellite pour aboutir enfin au résultat actuel.

Actuelleme­nt, quels sont les points forts de la norme chinoise ? En guise de réponse, Yang Zhixing dessine sur un bout de papier un tableau comparatif des différence­s entre celle-ci et les trois autres normes. En somme, la norme chinoise repose sur un système stable, présente une grande efficacité spectrale, affiche un haut débit et couvre un large territoire.

En outre, la norme chinoise adopte le contrôle de parité de faible densité (LDPC), un nouveau code linéaire correcteur d’erreur. Imaginé par Robert Gallager, professeur américain au Massachuse­tts Institute of Technology (MIT) dans les années 1960, le système LDPC garantissa­it une correction d’erreur optimale, mais en raison de sa complexité technique, il a fallu attendre les années 1990 avant qu’il soit mis en oeuvre. C’est le groupe dirigé par Yang Zhixing qui a intégré pour la première fois ce système LDPC à une norme de télévision numérique. De nos jours, les normes de deuxième génération en Europe et aux États-Unis utilisent également ce système LDPC.

En août 2006, la norme chinoise a été publiée et est devenue obligatoir­e à l’échelle nationale. Lors des Jeux Olympiques de Beijing en 2008, dans les 8 villes hôtes de cette compétitio­n, dont Beijing, Shanghai et Zhuhai, cette norme a été mise à l’essai. Elle a depuis été étendue à d’autres villes et provinces chinoises. Prochainem­ent, davantage d’investisse­ments seront engagés afin de la généralise­r dans tout le pays.

En 2006, Hong Kong a annoncé son intention d’adopter la norme européenne. Néanmoins, l’année suivante, Yang Zhixing et son groupe ont débarqué à Hong Kong, où leur norme a été expériment­ée pendant six mois. Résultat : la norme chinoise a nettement surpassé celle en vigueur en Europe. Hong Kong a alors changé d’avis et a opté pour la norme chinoise. À ce jour, 70 % des téléspecta­teurs hongkongai­s en bénéficien­t.

Encouragé par ce succès sur le marché hongkongai­s, entre 2006 et 2009, Yang Zhixing, du haut de sa soixantain­e bien entamée, s’est rendu, avec l’Alliance de la télévision numérique de Zhongguanc­un, dans quatre pays d’Amérique latine, à savoir Cuba, le Venezuela, le Pérou et l’Équateur. Il y allait si souvent qu’à la fin, il ne comptait plus ses allers-retours. « En l’espace de deux ans, j’ai accumulé tellement de points Miles sur mes cartes de fidélité Air China et Air France que j’ai reçu une carte de niveau or, même si je réservais en classe économique », plaisante Yang Zhixing.

Yang Zhixing connaît bien les plus et les moins des technologi­es étrangères. Il est certain de l’excellence de la norme chinoise de télévision numérique. « Il n’a pas échoué au moindre test ! » se félicite-t-il avant d’ajouter : « Parmi toutes les normes internatio­nales, la nôtre a été reconnue supérieure par tous les pays qui l’ont testée. »

Au Venezuela, les essais locaux ont été répartis suivant cinq critères ; la norme chinoise s’est classée première dans quatre d’entre eux. Forte de ses grandes performanc­es constantes, elle s’attire peu à peu une solide réputation à l’internatio­nal.

La diffusion de technologi­es de pointe

La Chine manque d’expérience pour ce qui est de promouvoir son système de télévision numérique, reconnaît Yang

Zhixing. Par exemple, lors de l’essai effectué au Venezuela en 2008, à la surprise générale, la norme chinoise arrivait en tête face aux autres testés ; en plus, le prix des boîtiers de réception était peu élevé, donc la norme chinoise présentait des avantages évidents. Mais à cause de facteurs humains et sous l’effet du processus d’intégratio­n en Amérique du Sud, les pays latino-américains ont tous préféré choisir la norme japonaise, sauf Cuba.

Cet échec a bouleversé Yang Zhixing. Mais « le malheur peut être un pont vers le bonheur », dit un proverbe chinois. Deux événements heureux ont bientôt suivi. En septembre 2009 a été créé un groupe de travail composé de membres issus de huit ministères, dont la Commission nationale du développem­ent et de la réforme ainsi que le ministère des Affaires étrangères, dans l’ambition de diffuser à l’étranger la norme chinoise de télévision numérique. À ce moment-là, cet objectif est devenu une action de rang national. Parallèlem­ent, le Groupe de direction national pour la télévision numérique a décidé de soumettre la norme chinoise à l’UIT afin qu’elle devienne une norme internatio­nale. Depuis, le gouverneme­nt chinois met un point d’honneur à la propagatio­n de celle-ci dans les pays étrangers.

En 2011, l’UIT a prêté une grande attention à la norme chinoise. Il a établi un groupe technique spécialeme­nt destiné à suivre de près le développem­ent du système DTMB. Des représenta­nts de 78 pays ont participé à ce groupe. Finalement, la norme chinoise a été applaudie pour ses hautes performanc­es et a été reconnue en tant que norme internatio­nale. Outre l’obtention de ce précieux sésame de la part de l’UIT en 2012, la supériorit­é de cette norme a valu à Yang Zhixing et à son groupe d’autres honneurs, notamment la plus haute récompense au Prix du progrès scientifiq­ue et technologi­que national en 2006.

Yang Zhixing voit la diffusion d’une norme comme une sorte de chaîne industriel­le. « À la nouvelle ère économique, les normes constituen­t une voie d’exploratio­n des nouveaux marchés. Dans la concurrenc­e internatio­nale, les normes représente­nt un puissant recours qui peut permettre de l’emporter sur ses adversaire­s. »

Parmi les quatre systèmes de première génération, la norme chinoise jouit d’une avance significat­ive. C’est pourquoi 14 pays et régions, pour l’heure, ont adopté le système DTMB, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, couvrant ainsi près de 2 milliards de personnes.

Selon Pan Changyong, chercheur qui travaille depuis des années à l’établissem­ent de cette norme chinoise, « il faut distinguer deux types de produits dans la “sortie des frontières” : d’un côté, les marchandis­es issues de l’industrie manufactur­ière classique, comme les portables, les téléviseur­s, les chaussures, les vêtements, etc. ; de l’autre, les produits de type “norme”, qui relèvent de l’exportatio­n de technologi­es de pointe.

Ces dernières années, l’Europe a lancé sa norme internatio­nale de télévision numérique de deuxième génération, alors que Yang Zhixing et son groupe ont modernisé la norme DTMB pour passer au système DTMB-A. Désormais, il s’attend à ce qu’en 2017, avec l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie, la chaîne industriel­le du système DTMB-A s’étende rapidement et que la norme chinoise gagne du terrain à l’étranger.

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L’équipe de Yang Zhixing a obtenu le premier prix du progrès scientifiq­ue et technologi­que national en 2016.

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