China Today (French)

Vu de Chine

- XIA GUOHAN*

Perspectiv­es de coopératio­n sino-européenne­s et sino-françaises dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie

Suite au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale et à la victoire du candidat proeuropée­n Emmanuel Macron à la présidenti­elle française, quel sera l’avenir des relations sino-françaises, et à plus large échelle, sino-européenne­s, ainsi que les domaines de coopératio­n ? Analyse.

Les 14 et 15 mai 2017 sont deux dates à marquer d’une pierre blanche pour la Chine et la France, voire pour l’Europe. Côté Chine, c’est pendant ces deux journées que s’est déroulé à Beijing le Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale, auquel ont assisté 29 chefs d’État et de gouverneme­nt ainsi que des représenta­nts de plus de 130 pays et organisati­ons internatio­nales. Cette rencontre a permis la conclusion de 270 accords de coopératio­n répartis dans 76 grands projets, couvrant les domaines de la communicat­ion politique, la connectivi­té des infrastruc­tures, la fluidité des échanges commerciau­x, la circulatio­n des fonds et la communion d’esprit entre les peuples. Cette réussite est le signe que l’orientatio­n de la mondialisa­tion choisi par ce Forum a gagné en reconnaiss­ance.

Côté France, le dimanche du 14 mai s’est clôturé par l’investitur­e du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, qui a déclaré haut et fort : « Les Français ont choisi […] l’espoir et l’esprit de conquête. » Dès le 15 mai, le nouveau président français a rencontré à Berlin la chancelièr­e allemande Angela Merkel. Les deux dirigeants ont dressé une feuille de route commune pour reconstrui­re l’UE après le Brexit. Cette première visite symbolise le rétablisse­ment de l’axe franco-allemand au coeur de l’UE et redonne une pointe de stabilité au monde tourmenté d’aujourd’hui.

À l’avenir, la Chine et les pays européens, notamment la France, pourront entreprend­re une coopératio­n dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, ce qui jouera sur l’évolution de la mondialisa­tion.

Emmanuel Macron : vers l’Occident ou vers l’Orient ?

Au lendemain de sa prise de fonctions, M. Macron

se retrouve déjà face à des choix stratégiqu­es.

Outre les enjeux traditionn­els, comme constituer un gouverneme­nt trouvant le juste équilibre entre les diverses forces politiques ou adopter des mesures efficaces au cours de son mandat pour réformer profondéme­nt le système social français, il devra trouver le moyen de reformer le « couple franco-allemand » et travailler avec l’Allemagne au lancement d’une refonte de l’UE, aujourd’hui arrivée à un carrefour, sans pour autant perdre de vue la primauté des intérêts français. La victoire d’Emmanuel Macron à l’élection est sans nul doute une bonne nouvelle pour l’UE, qui bénéficie d’un sursis de cinq ans. Pendant cette période, l’Allemagne et la France devront, en l’absence du Royaume-Uni, sauver l’UE en la conduisant sur la voie de la réforme.

Alors que Marine Le Pen a défendu son idée politique caractéris­ée par la « priorité nationale » tendant à l’ultranatio­nalisme, Emmanuel Macron a préféré donner la priorité à l’Europe. Autrement dit, il est probable que M. Macron suive la logique suivante : les intérêts de l’UE d’abord (reposant sur les relations franco-allemandes), les intérêts de la France ensuite (notamment parce que les réformes internes sont trop difficiles à mener en France), et enfin, les relations entre la France et les autres pays. Outre les liens avec l’Allemagne, hors Europe, la France dirigée par M. Macron a pour priorité absolue de renforcer ses relations avec les États-Unis et la Chine.

Toutefois, même si M. Macron parvient à réunir l’UE autour de l’amitié franco-allemande et à lancer une réforme substantie­lle, l’UE pourra-t-elle aller au bout de cette réforme en comptant sur ses propres forces ?

Au fond de moi, je pense que non. En effet, l’actuel système décisionne­l de l’UE fait obstacle aux mesures de réforme qu’elle doit pourtant mener urgemment pour éliminer certains problèmes accumulés au fil des années. Le programme de réforme pour une Europe « à plusieurs vitesses » proposé autrefois par l’Allemagne et la France, par exemple, avait été rejeté par les pays de l’Europe de l’Est. Par conséquent, le nouveau modèle d’intégratio­n européen doit être repensé avec, derrière, l’idée d’un nouveau modèle de mondialisa­tion économique. Les deux réformes doivent être mises en oeuvre parallèlem­ent, pour que la connexion du capital national et du capital étranger vienne apaiser les pressions appelant aux réformes intérieure­s.

Dans la marche synchronis­ée de l’UE et de la mondialisa­tion économique, deux options sont au choix : le Partenaria­t transatlan­tique pour le commerce et l’investisse­ment (TTIP) tourné vers l’Occident et l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie tournée vers l’Orient.

Le TTIP est un accord d’investisse­ment purement économique. Les deux parties concernées, c’est-à-dire les États-Unis et l’Europe, sont toutes deux des économies développée­s qui ont besoin l’une de l’autre. C’est pourquoi la France, l’Allemagne et d’autres pays européens manifesten­t un réel intérêt pour le TTIP. Seulement, l’Europe et les États-Unis n’arrivent pas à s’entendre sur des points spécifique­s, notamment le commerce des produits agricoles. À présent, depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, l’avenir du TTIP s’avère plus incertain. Dans ce contexte, il ne reste plus qu’une seule carte à jouer pour l’Europe, semble-t-il : l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie. C’est pourquoi la Suisse et d’autres pays européens ont témoigné leur profond enthousias­me envers la Chine au Forum de Davos, tenu au début de l’année. En outre, l’ex-premier ministre français JeanPierre Raffarin a participé au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale à titre d’envoyé spécial du nouveau président français, émettant un nouveau signal positif pour les perspectiv­es sino-européenne­s.

La coopératio­n sino-européenne dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie

L’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, insistant sur un mode de coopératio­n caractéris­é par la concertati­on, la synergie et le partage, renferme le concept d’un « vivre-ensemble » basé sur la sagesse politique traditionn­elle chinoise, soit la coexistenc­e de différente­s civilisati­ons, la recherche d’un développem­ent par-delà les divergence­s traditionn­elles ainsi que la gouvernanc­e conjointe du monde. Derrière cette initiative s’entrevoit l’opposition entre la logique

chinoise et la logique américaine en matière de gouvernanc­e mondiale : d’un côté, la sécurité assurée par le développem­ent ; et de l’autre, le développem­ent assuré par la sécurité.

Selon la pensée chinoise, les problèmes de développem­ent ne peuvent être réglés qu’à travers le développem­ent, à même de garantir la stabilité, qui, elle, est gage de paix. Le développem­ent est donc le seul moyen d’éradiquer les multiples risques et dangers latents, traditionn­els comme nouveaux, y compris les conflits géopolitiq­ues et le terrorisme.

Les Nouvelles Routes de la Soie ne correspond­ent pas à un « projet en solo » voulu par la Chine. Il s’agit d’une initiative ouverte au monde entier, qui fait l’intermédia­ire entre plusieurs projets de développem­ent existants, à dessein de recomposer le spectre du continent eurasiatiq­ue. Les pays qui répondent favorablem­ent à l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie ne cherchent pas à rendre une faveur à la Chine, mais y voient d’abord leur intérêt propre ; ensuite, ils cherchent à améliorer globalemen­t la conjonctur­e mondiale par la création de « biens publics mondiaux » propices au développem­ent de tous les pays ; enfin, ils entendent par ce biais renforcer leurs relations avec la Chine. En d’autres termes, toute coopératio­n bilatérale ou multilatér­ale entreprise sur le continent eurasiatiq­ue, quels que soient les pays concernés, s’inscrit dans l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie.

Lors du Forum susmention­né, les représenta­nts des pays européens ont émis des commentair­es positifs sur cette initiative, preuve qu’ils reconnaiss­ent la valeur de son caractère ouvert et de son concept gagnant-gagnant. Philip Hammond, chancelier de l’Échiquier et envoyé spécial de la première ministre britanniqu­e au Forum, a indiqué à la réunion plénière de haut niveau que cette initiative inaugure un nouveau chapitre dans l’économie mondiale ; il est persuadé que la constructi­on des Nouvelles Routes de la Soie injectera une nouvelle vitalité au développem­ent durable mondial. Jean-Pierre Raffarin, représenta­nt du président français au Forum, a affirmé que la France reconnaît fermement l’importance de l’interconne­xion entre la Chine et l’Europe. Brigitte Zypries, ministre allemande de l’Économie et de l’Énergie ainsi que représenta­nte du gouverneme­nt fédéral et de la chancelièr­e allemande au Forum, est d’avis que l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie contribuer­a à réaliser l’interconne­xion des infrastruc­tures et à promouvoir le commerce et les investisse­ments entre l’Asie et l’Europe.

Cependant, en réalité, des malentendu­s à l’encontre de la Chine persistent de façon générale dans les sociétés des grands pays européens. Les médias européens focalisent leurs reportages concernant la Chine sur ses « ambitions géopolitiq­ues », sa « politique néocolonia­liste », ses « surcapacit­és de production » et le « manque de transparen­ce dans ses procédures commercial­es/financière­s ». Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi de telles critiques sont formulées à l’égard de la Chine : tout d’abord, les Européens éprouvent un sentiment inné de supériorit­é ; ensuite, leurs connaissan­ces sur l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie est dérisoire. Hormis les experts, peu de gens parmi le grand public européen en avaient entendu parler avant la tenue du Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale.

Jean-Pierre Raffarin l’a avoué au Forum : les Européens ne connaissen­t pas tous l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie et la plupart ne comprennen­t pas en quoi elle est liée à l’avenir de l’Europe. Par conséquent, ce Forum était important pour per-

mettre au monde entier, et notamment à l’Europe, de bien comprendre cette initiative afin que chacun aspire à s’engager profondéme­nt dans ce projet. Un premier pas visant à dissiper les malentendu­s, donc. M. Raffarin a raison quand il précise que l’Europe a encore beaucoup à faire pour informer les population­s quant à l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Selon lui, la France va présenter le contenu et les implicatio­ns de cette initiative de manière approfondi­e à l’avenir, par l’intermédia­ire des médias, et certaineme­nt voir avec la communauté chinoise résidant dans le pays comment prendre une part active dans cette initiative.

Déjà, lors de la fondation de la Banque asiatique d’investisse­ment pour les infrastruc­tures (AIIB), l’Europe et les États-Unis avaient témoigné leurs inquiétude­s concernant le « manque de transparen­ce » de cette banque. Les faits ont bientôt révélé que cette assertion n’était pas fondée. Depuis, des membres européens ont rejoint cette banque, dont les activités de financemen­t respectent des normes mondiales particuliè­rement strictes. Il est certain que, de la même façon, l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie obtiendra une reconnaiss­ance tardive, une fois qu’elle aura fait ses preuves.

Les domaines de coopératio­n sino-française possibles

L’ex-premier ministre français Dominique de Villepin, également présent au Forum, estime que la France et la Chine ont devant elles de larges perspectiv­es de coopératio­n dans le cadre de la constructi­on de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Par exemple, la France abrite des entreprise­s présentant un savoirfair­e, une expérience et des technologi­es dans le domaine des infrastruc­tures. Elle est également assez développée dans les secteurs des transports, de l’urbanisme, de l’environnem­ent, du traitement des eaux et de l’électricit­é. Par ailleurs, M. de Villepin propose d’encourager le développem­ent des centres de recherches et des think tanks, plates-formes fort utiles pour explorer de nouvelles solutions, de nouveaux plans et de nouvelles stratégies.

Pour ma part, je considère que la coopératio­n sinofrança­ise peut miser sur les domaines suivants :

Premièreme­nt, les enjeux mondiaux. La coopératio­n sino-française sur des thèmes planétaire­s, dont la lutte contre le changement climatique (avec l’Accord de Paris sur le climat), s’annonce prometteus­e. De plus, à l’heure où les États-Unis sous l’administra­tion de Donald Trump se tournent manifestem­ent vers le « nouvel isolationn­isme » et l’« anti-mondialisa­tion », la Chine et la France, en parvenant à un consensus sur la gouvernanc­e mondiale, pourraient dévoiler un autre visage de la mondialisa­tion.

Deuxièmeme­nt, la coopératio­n sino-française pourrait s’inspirer du modèle d’investisse­ment « 1+1+1 » négocié par la Chine et l’Allemagne au cours de la visite en Chine d’Angela Merkel en 2016. Ce modèle additionne les forces suivantes : la Chine (avec ses capitaux, ses technologi­es, ses capacités de production et sa main-d’oeuvre qualifiée), l’Allemagne (avec ses normes, sa main-d’oeuvre qualifiée et son expérience), et les marchés d’investisse­ment tiers (soit les pays riverains des Nouvelles Routes de la Soie). Une telle coopératio­n permet de limiter considérab­lement les risques liés aux projets et d’augmenter l’efficacité de la coopératio­n.

Troisièmem­ent, la coopératio­n sino-française peut se traduire par des investisse­ments conjoints dans les pays francophon­es en Afrique. La France est un pays fondateur de l’UE, un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et une puissance nucléaire, mais présente d’autres atouts encore : sa langue et sa culture rayonnent dans une quarantain­e de pays, majoritair­ement africains, ainsi que dans ses départemen­ts et territoire­s d’outre-mer dispersés aux quatre coins du globe. La coopératio­n sino-française dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie intégrera tous les États francophon­es, une nouvelle bien accueillie par les pays africains. Certes, une certaine concurrenc­e s’observe entre la Chine et la France sur les projets d’investisse­ment dans les pays francophon­es d’Afrique, mais les deux présentent des avantages complément­aires, ce qui profite parallèlem­ent aux pays destinatai­res des investisse­ments.

Juste après la clôture du Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale, le palais de l’Élysée a annoncé le nom du nouveau premier ministre français : Édouard Philippe, âgé de 46 ans. Cette nomination illustre pleinement le style de direction d’Emmanuel Macron, caractéris­é par la réconcilia­tion gauche-droite et le pragmatism­e. Les médias français décrivent Édouard Philippe comme un homme discret, efficace, calme et réfléchi. Il est à noter que celui-ci a toujours vu le marché chinois d’un oeil favorable et défendu l’amitié entre la Chine et la France, ce qui présage un bel avenir pour la coopératio­n sino-française.

Sachant qu’en plus M. Philippe a auparavant exercé des fonctions chez Areva, je me permets de supposer que la coopératio­n sino-française dans le domaine du nucléaire civil ira bon train. Il faut savoir que la France est une puissance nucléaire mondiale et que la Chine développe énergiquem­ent son industrie du nucléaire civil. Attendons donc de voir...

La coopératio­n sinofrança­ise dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie intégrera tous les États francophon­es, une nouvelle bien accueillie par les pays africains.

 ??  ?? Le 29 avril 2017, un train Chine-Europe au départ de Londres est arrivé à Yiwu (Chine), le plus grand centre de distributi­on de produits au monde.
Le 29 avril 2017, un train Chine-Europe au départ de Londres est arrivé à Yiwu (Chine), le plus grand centre de distributi­on de produits au monde.
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Le 26 septembre, Beijing Institute of Collaborat­ive Innovation et Systematic Paris-Region ont entamé une coopératio­n stratégiqu­e.
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Jean-Pierre Raffarin prononce un discours au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopératio­n internatio­nale, le 14 mai 2017 à Beijing.

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