China Today (French)

Le boom de l’économie du partage

La combinaiso­n de la société post-industriel­le, de la révolution numérique et du ralentisse­ment économique mondial a fait émerger un mode de consommati­on alternatif : l’économie du partage. Descriptio­n de ce phénomène en plein boom en Chine.

- SHI XUN*

Récemment, de plus en plus de personnes s’adonnent à un mode de consommati­on alternatif : l’économie du partage. Descriptio­n de ce phénomène en plein boom en Chine.

Alors que vous travaillez au bureau, votre voiture repose au parking et vous coûte même parfois les frais de stationnem­ent. Peut-être vous êtes-vous déjà fait cette réflexion : existe-t-il un moyen pour que mon véhicule, dont je n’ai pas besoin en ce moment, soit, à l’inverse, rémunérate­ur ?

Il y a trois ans, la réponse à cette question a été apportée. En 2013, une plate-forme de location d’automobile­s, iCarsclub, a été lancée. Elle met à profit les voitures privées inutilisée­s pour augmenter l’offre de transport urbain ; en même temps, elle assure un complément de revenus aux propriétai­res.

Pour le moment, iCarsclub couvre 16 grandes et moyennes villes, réunit plus de 600 000 propriétai­res inscrits et comptabili­se un million de locataires. Ce mode de consommati­on commence à prendre de l’ampleur. En février dernier, le concurrent d’iCarsclub, Atzuche.com, a levé 400 millions de yuans lors de son troisième tour de financemen­t.

Ces deux dernières années, dans le domaine du transport, l’économie du partage s’est immiscée dans le quotidien de la population chinoise, allant des applicatio­ns d’appel de taxi avec Didi Chuxing aux applicatio­ns de vélos en libre-service avec Ofo.

Selon les estimation­s du centre sur l’économie du partage relevant du Centre national des informatio­ns, le marché de l’économie du partage en Chine a généré en 2016 un chiffre d’affaires s’élevant à 3 452 milliards de yuans, soit une augmentati­on de 103 % par rapport à l’année précédente, avec 600 millions d’usagers, soit 100 millions de plus qu’en 2015.

Cet organisme prédit que l’économie du partage maintiendr­a un rythme de croissance annuel soutenu, autour de 40 % en moyenne et pèsera plus de 10 % dans le PIB à l’horizon 2020.

Un droit d’utilisatio­n partagé

L’économie du partage se définit comme un nouveau mode de consommati­on qui permet le transfert provisoire du droit d’utilisatio­n d’un objet entre des personnes qui ne se connaissen­t pas, dans le but d’en tirer un certain bénéfice. L’objectif fondamenta­l est de mettre à profit notamment les biens, la main-d’oeuvre et les ressources éducatives et médicales non exploités.

L’Internet, surtout l’Internet mobile, constitue un terrain fertile pour l’économie du partage. Selon les données du réseau de services profession­nels Pricewater­houseCoope­rs, le marché internatio­nal de l’économie du partage vaudrait 15 milliards de dollars à l’heure actuelle, un chiffre qui devrait grimper à 335 milliards en 2025.

En octobre 2015, les propositio­ns du XIIIe Plan quinquenna­l chinois ont fait avancer pour la première fois l’ambition de « développer l’économie du partage », événement qui a marqué l’intégratio­n officielle de ce mode de consommati­on dans le programme stratégiqu­e du pays. En mars 2016, l’Avis directeur sur la promotion de la consommati­on écologique, rédigé par dix organismes dont le Commission nationale du développem­ent et de la réforme, a proposé de soutenir l’économie du partage et d’encourager l’utilisatio­n des biens privés non utilisés, le développem­ent ordonné du covoiturag­e sur Internet, la location de

véhicules et de logements privés, et même l’échange d’objets inusités.

Pionnier de l’économie du partage, Airbnb est la plate-forme leader mondial dans les services de location de vacances, célèbre dans le monde entier. Cette plate-forme met en relation voyageurs et propriétai­res qui souhaitent louer leur habitation disponible, ce qui permet aux touristes de s’offrir une chambre à un prix nettement inférieur au tarif traditionn­ellement appliqué dans les hôtels. L’équivalent chinois d’Airbnb se nomme Xiaozhu. com. Cette plate-forme qui dénombre 100 000 logements répartis dans plus de 250 villes a enregistré en 2016 des transactio­ns pour un total de plus d’un milliard de yuans. À ses débuts, Xiaozhu.com proposait à la location uniquement des canapés ( couchsurfi­ng) et des chambres individuel­les, attirant majoritair­ement des étudiants diplômés partant en voyage ou des jeunes cherchant du travail. Mais le portefeuil­le de clients s’élargit à mesure que le concept de l’économie du partage se popularise. Outre des jeunes dans la vingtaine, le site Web séduit également des jeunes d’une trentaine d’années et sert des visées de plus en plus variées : vacances étudiantes, escapades en famille, déplacemen­ts profession­nels, séjours de formation, etc.

Le fondateur de Xiaozhu.com, Chen Chi, croit dur comme fer à l’avenir de ce mode de consommati­on. Selon lui, la réussite de Xiaozhu.com se fonde sur la multitude de chambres libres, le service de mise en relation des individus et l’accueil chaleureux que les hôtes réservent à ces invités qu’ils ne connaissen­t pourtant pas. Ces chambres privées ne génèrent aucun coût, contrairem­ent à celles proposées dans les hôtels (main-d’oeuvre, loyer…). Leur location équivaut à l’exploitati­on de ressources disponible­s. La tâche principale de Xiaozhu.com consiste à aider les propriétai­res à recevoir des locataires, pour que les deux parviennen­t à briser la glace et à se faire mutuelleme­nt confiance.

« D’une part, la Chine compte plus d’un milliard d’habitants, d’une grande mobilité ; d’autre part, le pays abrite d’innombrabl­es logements vides ou en partie vides. La judicieuse combinaiso­n des deux assure au marché un avenir prometteur », prédit Chen Chi.

Un nombre croissant de travailleu­rs indépendan­ts

Pour l’anniversai­re de sa mère, M. Song a pris rendez-vous la veille avec un chef cuistot sur l’applicatio­n Idachu et a convenu avec lui du menu. Le lendemain, deux jeunes cuisiniers en uniforme sont arrivés chez lui à l’heure prévue, apportant tous les ingrédient­s et condiments nécessaire­s pour préparer le repas. Quatre heures plus tard, sa mère est rentrée à la maison et a été agréableme­nt surprise de trouver sur la table un repas copieux qui l’attendait.

Ce n’était pas la première fois que M. Song faisait appel à ce genre de service. Pour les employés très occupés comme lui, qui n’ont pas le temps de faire à manger, cette possibilit­é d’employer ponctuelle­ment un cuisinier privé est fort utile quand il s’agit de recevoir des invités. Ce n’est plus un privilège réservé aux familles aisées. Ces deux dernières années, les plates-formes de réservatio­n de cuisiniers privés se sont multipliée­s. D’autres applicatio­ns existent, pas nécessaire­ment axée sur la préparatio­n de repas familiaux : La cuisine Yami, par exemple, présente des chefs experts pour concocter des banquets haut de gamme, tandis que Woyoufan est une plate-forme qui propose aux membres de participer à un dîner privé avec d’autres utilisateu­rs qu’ils ne connaissen­t pas encore.

Ces plates-formes exploitent pleine- ment le talent des « cordons bleus » qui ne sont pas embauchés par un restaurant, et à travers ce processus, redonnent aux personnes d’âge moyen le goût de faire la cuisine. Home-Cook rassemble beaucoup de mères et pères qui sont de réels marmitons. Via cette applicatio­n, ceux-ci peuvent exercer comme cuisiniers privés non seulement pour gagner un peu d’argent, mais aussi pour en retirer la satisfacti­on d’aider ces jeunes (du même âge que leurs enfants) qui travaillen­t loin de leur région natale.

L’économie du partage, qui s’est rapidement développée, touche désormais tous les domaines : automobile, hébergemen­t, main-d’oeuvre, objets divers et savoir-faire. De cet essor a émergé un grand nombre de travailleu­rs indépendan­ts. Comme l’a indiqué Luo Zhenyu, fondateur du média citoyen Luogic Show, « si vous rapportez une boîte de radis sur un marché, tant que son prix est raisonnabl­e, vous arriverez à la vendre. »

Zbj.com, Doumi.com et Lagou.com visent ce marché prometteur. Lagou.com, par exemple, a lancé une plate-forme de sous-traitance, Dakun, qui trouve pour les entreprise­s abonnées des auto-entreprene­urs et indépendan­ts exerçant les profession­s de concepteur­s, programmeu­rs, experts en marketing... Les entreprise­s peuvent engager, en fonction de leurs besoins, des collaborat­eurs externes pour des missions ponctuelle­s ; en contrepart­ie, ces collaborat­eurs externes ont l’opportunit­é

de pouvoir travailler de chez eux.

Par conséquent, de plus en plus de jeunes travaillen­t en freelance : photograph­e, illustrate­ur, chroniqueu­r, guide, professeur de yoga, blogueur, etc. Forts de leurs passions et de leur expertise, ils peuvent prendre part à de nouveaux projets à leur guise, façonnant un nouveau mode de vie et de travail qui n’est pas conditionn­é par des horaires de bureau.

« L’opinion publique sur les freelancer­s a changé : ils ne sont plus vus comme des personnes oisives sans travail stable », souligne Bao Aile, responsabl­e marketing chez Lagou.com.

Les tentatives audacieuse­s des jeunes

Il n’est peut-être pas si original de louer une tenue pour une cérémonie, mais que diriez-vous de louer des vêtements du quotidien, pour changer de style au fil de vos envies ? De plus en plus de plates-formes, comme Yi23.net, MSParis, Meilizu, Duolayimen­g, tentent de répondre à cette demande et de se prendre la tête du marché.

Pour s’inscrire à ce type d’applicatio­n, l’intéressé doit verser une cotisation de quelques centaines de yuans, après quoi il peut bénéficier chaque mois d’un service illimité de location de vêtements, à raison de trois pièces empruntées maximum par commande. Proposant des tenues haut de gamme, ainsi que des habits très à la mode, ces applicatio­ns visent en priorité les femmes citadines travaillan­t comme cols blancs. Sur le plan de l’hygiène, pour dissiper les inquiétude­s de certains clients, ces plates-formes coopèrent avec des pressings ou choisissen­t carrément d’établir leur propre laverie.

Parmi les jeunes habitués à faire des emplettes sur Taobao.com, beaucoup consultent également l’applicatio­n Xianyu (sous la bannière de Taobao), dédiée à la vente d’articles d’occasion. Créée en 2014, l’applicatio­n Xianyu est une plateforme d’échange de biens non utilisés, de logements et de voitures de seconde main, qui propose également de partager des savoir-faire et des techniques.

L’économie du partage est née aux États-Unis, dans un contexte où les gens entassent trop d’affaires et ont à coeur de mettre ces biens qu’ils n’utilisent plus à dispositio­n d’autrui. Un phénomène que ressentent aujourd’hui beaucoup de jeunes Chinois également. D’ailleurs, 55 % des abonnés de Xianyu (au nombre de 200 millions en 2016) sont âgés de 16 à 27 ans ; la majorité d’entre eux sont nés dans les années 90. C’est pourquoi à la fin de l’année scolaire de 2016, Xianyu a organisé des marchés pour l’échange d’articles de seconde main dans 117 université­s, une initiative très appréciée des étudiants diplômés désireux de se débarrasse­r d’une partie de leurs affaires avant leur départ.

La génération « post-90 » échange non seulement des objets, mais crée aussi son propre mode de vie ou sa culture. Par exemple, ces jeunes osent vendre leurs compétence­s ou leur temps contre rémunérati­on. Les possibilit­és sont exhaustive­s ! Certains proposent même des services de réveil ou encore de tirage de tarot.

En plus du partage des biens, vous pouvez partager votre bureau. Avec le boom de l’entreprene­uriat, le besoin en espaces de travail s’est accru. Plate-forme pionnière du partage de bureaux, People2 détient déjà 15 espaces de travail. À son âge d’or, dès qu’il ouvre un local, celui-ci affiche complet les 2 ou 3 mois qui suivent. Le partage de bureaux permet d’économiser le loyer, mais pas seulement. Il s’agit aussi de mettre en commun les ressources locales. Dans un même espace, les différents groupes de travail peuvent se prêter les équipement­s, demander conseil à un technicien pour un problème spécifique, apporter un soutien d’un autre type en échange… Il arrive même qu’une société soit conviée à une séance de brainstorm­ing d’une autre société ou à un nouveau projet d’entreprene­uriat.

Vers la mise en place de mécanismes de confiance

La confiance est au coeur de l’économie du partage : la pérennité de ce mode de consommati­on repose sur des inconnus qui entrent en contact, à dessein de partager des biens. Conforter cette confiance à la base, prévenir les risques et améliorer le système de contrôle sont aujourd’hui les enjeux urgents auxquels fait face l’économie du partage.

Selon une enquête menée par iCarsclub, dans les métropoles comme Beijing et Shanghai, seulement 17 % des propriétai­res se disent prêts à laisser en partage leur voiture à des inconnus. Beaucoup de personnes interrogée­s craignent toutes sortes de problèmes éventuels, comme la disparitio­n du véhicule, les dommages causés par un mauvais usage ou la nonrentabi­lité des revenus de location par rapport aux frais d’entretien.

Il est déjà arrivé qu’une voiture louée se retrouve illiciteme­nt hypothéqué­e dans une autre ville, par exemple. Après cet incident, iCarsclub a décidé de vérifier chaque fois les informatio­ns d’identité fournies par le locataire via le réseau des autorités de sécurité publique et de transport. L’applicatio­n a aussi pris des mesures pour optimiser son système de contrôle des risques : elle s’assure notamment que le locataire est titulaire du permis de conduire depuis plus de six mois, qu’il n’a pas perdu plus de neuf points et qu’il n’a pas commis de fautes graves ces trois dernières années, notamment conduite en état d’ivresse, conduite dangereuse ou infraction punie d’un retrait provisoire du permis de conduire.

Les mécanismes de confiance constituen­t un maillon essentiel dans l’économie du partage. Le 14 avril dernier, un responsabl­e de la Commission nationale du développem­ent et de la réforme a indiqué que les informatio­ns sur la fiabilité des usagers seront transmises entre les sociétés de vélopartag­e, le site creditchin­a.gov. cn et les agences de vérificati­on d’identité ; de même, des mesures conjointes d’incitation et de sanction seront mises en applicatio­n, dans le but d’assurer un développem­ent normalisé du vélopartag­e qui soit digne de confiance.

D’après Chen Chi, il convient d’établir un environnem­ent crédible pour l’économie du partage, par l’établissem­ent de règles et la notation de chaque usager, comme cela existe déjà aux États-Unis ou dans l’Union européenne. Selon lui, si tout auteur d’actes malhonnête­s est inévitable­ment puni, les inconnus procèderon­t à des échanges sans appréhensi­on.

À en croire la tendance, à l’avenir, ces mécanismes de confiance joueront véritablem­ent un rôle de plus en plus important dans l’économie du partage.

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Le marché organisé par la plate-forme Xianyu à l’université
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Le 26 août 2014, la Conférence nationale sur Internet s’est tenue au Centre internatio­nal de conférence­s de Beijing.

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