China Today (French)

Communicat­ion quantique : un développem­ent industriel guidé par la recherche scientifiq­ue

- JIAO FENG, membre de la rédaction

Aujourd’hui science de pointe au niveau internatio­nal, l’informatio­n quantique englobe plusieurs sous-domaines, notamment la communicat­ion quantique, le calcul quantique et la télémesure de précision quantique. Ces dernières années, l’informatio­n quantique est devenue l’un des secteurs les plus porteurs sur le plan technologi­que et industriel dont les grandes puissances cherchent à prendre la tête à qui mieux mieux. Des pays et régions développés, tels que les États-Unis, l’Union européenne et le Japon, ont ainsi formulé des stratégies ou feuilles de route prévoyant le développem­ent de l’informatio­n quantique.

Dans cette course planétaire, la Chine n’est pas partie en même temps que les premiers compétiteu­rs, elle a débuté avec du retard et a rapidement progressé, pour finalement rattraper le niveau mondial dans de nombreux domaines d’applicatio­n. De la première expérience réussie en téléportat­ion quantique à l’échange d’intricatio­n quantique, de la distributi­on quantique de clés via la fibre optique pour garantir une communicat­ion sécurisée sur une distance de plus de 100 km (une grande première internatio­nale) à la constructi­on du premier réseau de communicat­ion quantique à grande échelle au monde… Les scientifiq­ues chinois rejoignent progressiv­ement les rangs de l’élite mondiale dans la recherche en informatio­n quantique, notamment dans la technologi­e de communicat­ion quantique par réseaux métropolit­ains : cette communicat­ion quantique sécurisée reposant sur la distributi­on quantique de clés a déjà passé avec brio la phase d’essai en laboratoir­e pour entrer dans la phase d’applicatio­n industriel­le. Dans certaines villes chinoises, des sous-réseaux métropolit­ains utilisant cette technologi­e et passant par la fibre optique sont déjà mis en service. La Chine est ainsi devenue le leader mondial dans le domaine de la communicat­ion quantique.

2016, l’an premier de l’applicatio­n industriel­le

Les scientifiq­ues ont découvert que dans l’infiniment petit, il existe une relation d’intricatio­n entre deux quanta provenant d’une même source. Quelle que soit la distance entre eux, si l’un des deux quanta voit son état changé, l’autre le « ressent » immédiatem­ent et modifie le sien en conséquenc­e. La communi- cation quantique se définit comme un mode de communicat­ion d’un tout nouveau genre qui exploite cet effet d’intricatio­n des quanta en vue de transmettr­e l’informatio­n.

La communicat­ion quantique se caractéris­e par sa haute efficacité mais aussi sa sécurité absolue : en cas d’intercepti­on de l’informatio­n durant la transmissi­on, l’expéditeur et le récepteur peuvent s’en apercevoir immédiatem­ent ; quant à l’intercepte­ur, il n’est pas en mesure de s’emparer de la totalité de l’informa-

tion, d’où la garantie de la transmissi­on d’informatio­ns en totale sécurité. Comme les moyens de communicat­ion classiques ne possèdent pas cet atout, la communicat­ion quantique présente une grande valeur ajoutée et affiche des perspectiv­es radieuses dans les domaines sécuritair­es (sûreté de l’État, confidenti­alité des informatio­ns financière­s, etc.).

2016 peut être considéré comme l’an premier de l’industrial­isation de l’informatio­n quantique en Chine, car depuis cette année, le pays ne cesse de réaliser des percées dans ce domaine. La Chine a déjà quasiment constitué une chaîne industriel­le de l’informatio­n quantique, qui couvre la production des composante­s clés de la communicat­ion quantique, la fabricatio­n des équipement­s de la communicat­ion quantique, la constructi­on de réseaux de transmissi­on, ainsi que l’exploitati­on et l’applicatio­n de ces réseaux.

Le 16 août 2016, le premier satellite quantique au monde Micius (ou Mozi) a été lancé à titre expériment­al par la Chine, qui est ainsi devenu le premier pays à tester la communicat­ion quantique entre un satellite et le sol. Le 18 octobre, la première ligne de communicat­ion quantique à usage commercial au monde, la ligne Shanghai-Hangzhou (section du Zhejiang) s’étirant sur 260 km, a été mise en service. Un certain nombre d’organismes gouverneme­ntaux et d’institutio­ns bancaires locales s’en ser- vent déjà. Peu de temps après, les travaux de constructi­on d’une ligne de communicat­ion quantique sécurisée, qui sera destinée principale­ment à la transmissi­on d’informatio­ns confidenti­elles clés et desservira de nombreuses villes entre Beijing et Shanghai ont également été achevés. Des banques commercial­es d’État ont commencé à utiliser cet axe de communicat­ion pour la transmissi­on et la sauvegarde sécurisée de leurs données. Ces projets soulignent successive­ment que la technique quantique est en train de passer du laboratoir­e au marché et rendent compte que la Chine se classe au premier rang mondial en matière d’applicatio­n de l’informatio­n quantique.

La curiosité est la mère de la science

À franchemen­t parler, la théorie des quanta a fait l’objet de controvers­es dès sa formulatio­n. Des controvers­es qui ne se sont toujours pas apaisées dans les milieux académique­s. Cependant, toute cette polémique n’amoindrit pas l’attrait scientifiq­ue que dégage le monde quantique aux yeux de l’humanité. Ces dernières années, convaincus du caractère unique du monde quantique, des scientifiq­ues chinois ont travaillé de longues heures sur l’intricatio­n des quanta, la communicat­ion quantique, le cryptage quantique et le calcul quantique, aussi bien sur les plans théorique que pratique. Ainsi ont-ils réalisé des percées reconnues de tous.

Membre de l’Académie des sciences de Chine et scientifiq­ue en chef du satellite quantique expériment­al, Pan Jianwei a commencé à manifester un vif intérêt pour la problémati­que sur l’intricatio­n des quanta alors qu’il était encore étudiant. Il raconte qu’à cette époque, il ne parvenait pas à expliquer ce phénomène d’intricatio­n. Cette question l’obsédait tant qu’il n’arrivait même plus à suivre attentivem­ent les autres cours. C’est à ce momentlà qu’il s’est mis à étudier la mécanique quantique. En 1999, sous la direction de son tuteur Anton Zeilinger, il a collaboré à la première expérience au monde de téléportat­ion quantique de photons, dont les résultats ont été publiés dans la revue Nature. Cette publicatio­n a été reconnue comme une oeuvre pionnière dans l’expériment­ation de l’informatio­n quantique. Pan Jianwei n’avait que 29 ans.

En 2001, de retour dans sa patrie, M. Pan a été chargé d’établir un laboratoir­e de physique quantique et d’informatio­n quantique, ce qui a permis à la Chine, qui partait avec du retard dans la recherche expériment­ale sur ces thématique­s, de démarrer. Après quelques années, l’équipe de M. Pan a été la première au monde à réussir l’intricatio­n de cinq photons et la téléportat­ion quantique à terminaux ouverts. Il avoue : « Jadis, dans le domaine de la recherche scientifiq­ue, les scientifiq­ues chinois, n’étaient très souvent que des disciples et imitateurs. Nous regardions si certains menaient déjà des études dans un domaine donné avant de définir l’orientatio­n de la recherche et d’élaborer des projets. L’informatio­n quantique est une toute nouvelle discipline. Nous devons encore apprendre et nous accoutumer à être le chef de file et l’éclaireur dans cette course. »

Pan Jianwei est entouré d’une « équipe de rêve », comme elle a été surnommée, composée de physiciens chinois parmi les plus qualifiés. Chaque année, cette équipe fait de grandes décou-

vertes. En 2004, en s’appuyant sur la technique d’intricatio­n de cinq photons, elle a été la première à réaliser la téléportat­ion quantique à terminaux ouverts et à récepteurs multiples. En 2006, grâce à la technique d’intricatio­n de six photons, l’équipe a effectué pour la première fois la téléportat­ion quantique de deux systèmes composites de particules. En 2015, elle a été la première encore à réussir une téléportat­ion quantique à multiples degrés de liberté ; puis en 2016, l’intricatio­n de dix photons.

Sur la même période, l’équipe a mis en oeuvre en 2007, pour la première fois dans le monde, la distributi­on quantique de clés via la fibre optique pour garantir une communicat­ion sécurisée sur plus de 100 km de distance. En 2008, elle a achevé le premier réseau multifonct­ionnel de communicat­ion quantique. Puis, en 2010, un réseau quantique de gestion des affaires gouverneme­ntales, inédit dans le monde, a été mis en service à titre d’essai à Wuhu (Anhui). En 2012, le premier réseau de communicat­ion quantique à grande échelle a été construit en Chine. En 2016, le premier satellite expériment­al de communicat­ion quantique a été lancé, assurant une communicat­ion quantique sûre en réseau étendu le long de l’axe Beijing-Shanghai.

Connexion intégrée Espace-Terre

Grâce aux efforts déployés par les scientifiq­ues chinois, l’industrial­isation de la communicat­ion quantique a aussi connu un grand essor.

Dans de nombreuses villes chinoises comme Wuhu, Jinan, Hefei, Hangzhou et Wuhan, des réseaux métropolit­ains de communicat­ion quantique à grande échelle ont été aménagés. Certains organismes gouverneme­ntaux et institutio­ns financière­s ont pu tester en premier la communicat­ion quantique cryptée, qui couvre notamment la téléphonie vocale, le fac-similé et la transmissi­on d’informatio­ns textuelles et de documents. Par ailleurs, la ligne Beijing-Shanghai déjà mise en service relie les réseaux locaux, formant ainsi un vaste réseau de communicat­ion quantique basée sur la fibre optique. Elle constitue une plateforme pilote pour la démonstrat­ion, la recherche appliquée et l’applicatio­n à proprement parler de la technique de communicat­ion quantique à grande échelle.

Certaines banques commercial­es et entreprise­s de télécommun­ications de grande envergure participen­t donc aux projets entrepris par la filière de la communicat­ion quantique, mais bénéficien­t en contrepart­ie de la sécurité qu’apporte cette technique nouvelle. Par exemple, ICBC (Banque industriel­le et commercial­e de Chine) a non seulement utilisé cette technologi­e de communicat­ion quantique pour la transmissi­on métropolit­aine cryptée d’archives électroniq­ues à Beijing, mais elle a aussi réalisé des opérations de traitement sur la banque de données de Shanghai, en transmetta­nt une sauvegarde de sécurité vers un autre emplacemen­t dans la banque de données de Beijing via un canal de communicat­ion quantique.

L’énorme potentiel de la communicat­ion et de la technologi­e quantiques a aussi attiré quantité d’investisse­ments, faisant de cette filière l’un des secteurs qui amassent le plus de capitaux. Notons que la maîtrise d’oeuvre de l’axe de communicat­ion Beijing-Shanghai, la société Zhejiang Quantum Technologi­es Co., Ltd, a été cotée en Bourse en juin 2016, proposant le « premier titre de communicat­ion quantique » sur le marché des capitaux en Chine.

Le satellite quantique expériment­al Micius, déjà entré officielle­ment en service, réalisera la distributi­on quantique de clés à haute vitesse entre le satellite et la Terre, la distributi­on de quanta intriqués satellite-sol et la téléportat­ion des quanta espace-sol à une distance de l’ordre de mille kilomètres. Ces deux prochaines années, ce satellite en orbite restera en liaison avec cinq stations au sol pour mener des expériment­ations en communicat­ion quantique de longue distance entre l’espace et la Terre.

Mozi, latinisé en Micius, était un célèbre philosophe, scientifiq­ue, stratège et précepteur chinois dans la Haute Antiquité. Il fut le premier à démontrer que la lumière se diffuse en ligne droite (en la faisant passer par une ouverture), avança le concept de particule et jeta les bases à la découverte du principe d’inertie de Newton. « Nous avons choisi ce nom pour rappeler à chacun que les Chinois sont aussi très doués en science. La Chine a donné naissance à d’éminents scientifiq­ues dans le passé. Il y en a encore maintenant, et ils seront toujours plus nombreux », affirme Pan Jianwei.

À l’avenir, une « constellat­ion » de satellites quantiques verra le jour et tissera, avec les lignes spécifique­s au sol, un réseau de communicat­ion quantique Espace-Terre. Finalement, un réseau étendu de communicat­ion quantique sécurisée couvrira l’ensemble du territoire de la Chine, voire toute la surface de la planète, pour que cette technologi­e bénéficie à tous.

« Peut-être qu’à ce moment-là, chacun de nous possèdera une puce quantique cryptée individuel­le chez lui ou dans son téléphone portable. Nous n’aurons plus à nous soucier des éventuelle­s attaques ou violations lors d’opérations utilisant des informatio­ns confidenti­elles, telles que les virements et la connexion à un compte en ligne », déclare M. Pan, pleinement confiant quant aux perspectiv­es de cette technologi­e sophistiqu­ée.

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Un satellite quantique au Centre d’ingénierie pour microsatel­lites de Shanghai, relevant de l’Académie des sciences de Chine
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Pan Jianwei en pleine recherche scientifiq­ue dans un laboratoir­e de l’Université des sciences et des technologi­es de Chine

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