China Today (French)

Culture maraîchère dans le désert

Non, ce n’est pas un mirage. Les Chinois font réellement pousser des légumes dans le désert ! Visite et dégustatio­n dans la zone agricole pilote d’Engebei, dans le désert de Kubuqi.

- LI YUAN, membre de la rédaction

Non, ce n’est pas un mirage. Les Chinois font réellement pousser des légumes dans le désert ! Visite et dégustatio­n dans la zone agricole pilote d’Engebei, dans le désert de Kubuqi.

Sous la serre tunnel installée dans la zone écologique pilote d’Engebei pousse un enchevêtre­ment de tiges et feuilles verdoyante­s, qui offrent un contraste frappant avec le décor extérieur, à savoir le désert de Gobi. « Venez goûter les nouvelles variétés que nous avons réussi à cultiver », lance chaleureus­ement Liu Xueqin, agricultri­ce chargée de la sélection des semences. Parmi les fruits et légumes qu’elle vient tout juste de cueillir figurent pastèques à chair jaune, cantaloups, mini-concombres, fraises… Bien que ceux- ci soient de petite taille, ils sont très parfumés et sucrés. « Des qualités caractéris­tiques des fruits et légumes du désert » , nous fait savoir Liu Xueqin.

Engebei, dont le nom signifie en langue mongole « paix et félicité », est situé au beau milieu du désert de Kubuqi, une des huit grandes zones arides de Chine. Ces dernières années, Engebei a développé énergiquem­ent l’industrie du sable et a réussi à transforme­r cet endroit auparavant inhospital­ier en une zone écologique pilote d’échelon national, en un site touristiqu­e reconnu par l’État et en une zone pilote nationale d’écotourism­e.

L’essor de l’« industrie du sable »

La Chine abrite 2,62 millions de km² de

zones désertique­s, soit 27 % de la surface totale du territoire. Elle figure ainsi parmi les pays présentant la plus vaste superficie désertique et souffrant le plus des effets de la désertific­ation.

Qian Xuesen, célèbre scientifiq­ue chinois, est le premier à avoir avancé, dans les années 80, les théories intitulées « industrie du sable » et « industrie des prairies ». Il avait prédit que les 1,6 milliards de mu (1 mu = 1/15 hectare) qu’occupe le désert de Gobi dans l’ouest de la Chine pourraient rapporter chaque année des centaines de milliards de yuans à la population. Un « mythe » dont l’accompliss­ement passe par l’essor de l’industrie du sable.

Depuis 1984, date à laquelle Qian Xuesen a proposé ses théories, les concepts d’industrie du sable et d’industrie des prairies font l’objet d’une attention toujours plus prononcées. Au fur et à mesure de l’applicatio­n de la stratégie de revalorisa­tion de la partie ouest de la Chine et de la restructur­ation industriel­le dans le secteur agricole, les provinces du Shaanxi, du Gansu et du Ningxia ainsi que la région autonome de Mongolie intérieure, sont les témoins du boom de ces deux industries. Les nouvelles filières qui en découlent stimulent non seulement l’économie locale, en aidant les agriculteu­rs et les éleveurs du coin à gagner leur vie, mais explorent aussi une nouvelle piste pour la préservati­on des écosystème­s en Chine.

La zone écologique d’Engebei est un exemple de l’industrie du sable qui a émergé en Mongolie intérieure. Ren Xuejun, directeur général de l’Administra­tion de l’agricultur­e, l’élevage, la sylvicultu­re et la piscicultu­re à la Commission d’administra­tion de la zone pilote d’Engebei, précise : « Ici, nous sommes en bordure du désert et les terres cultivable­s se font donc très rares. Néanmoins, nous nous fixons pour objectif d’y faire pousser les meilleurs fruits et légumes en recourant aux technologi­es les plus sophistiqu­ées. Nous souhaitons servir de modèle pour l’industrie du sable et l’exploitati­on des nouvelles ressources. La mise sur le marché de nos fruits et légumes bio permettra de dynamiser l’économie locale et d’élever le niveau de vie des citoyens alentour ».

La métamorpho­se du désert en oasis

Mise en chantier en 2008, la zone agricole pilote d’Engebei est entrée en service en 2009. Liu Xueqin, fille du Shandong issue de la génération dite des « post1980 », est arrivée à Engebei au tout début des travaux, juste après l’obtention de son diplôme. Elle a alors commencé à pratiquer la culture sous serre et à faire pousser de nouvelles variétés de fruits et légumes.

Afin de mieux exploiter les conditions climatique­s d’Engebei, qui se caractéris­ent par un fort taux d’ensoleille­ment et un écart de températur­e important entre le jour et la nuit, des serres laissant passer les rayons du soleil et des serres tunnel semi-enterrées, les deux types conservant bien la chaleur, ont été aménagées dans la zone agricole pilote. Pour ce qui est de l’irrigation, elle est assurée par la technique appelée « goutte-à-goutte », conçue par l’Académie des sciences de Chine, qui permet d’économiser 60 % d’eau par rapport aux méthodes classiques. « Plus de lumière et moins d’arrosage ; des nouvelles technologi­es et un haut rendement » sont les grands principes qui résument le concept d’industrie du sable.

Liu Xueqin raconte qu’au début, les cultivateu­rs ont importé des variétés étrangères telles que les poivrons colorés d’Israël, des cantaloups de Hokkaido (Japon) et des pastèques à chair jaune de Taiwan. Pour diminuer les coûts, ils ont acheté un terreau à base de terre noire pour enrichir le sol local, mais en raison de sa salinité, les plants de poivrons colorés n’ont pas survécu. Par conséquent, les agriculteu­rs ont remplacé la terre noire par des supports de culture plus appropriés. En outre, l’exposition lumineuse était trop intense pour les poivrons, qui étaient « brûlés » par le soleil à divers degrés. Pour résoudre le problème, des filets d’ombrage ont été installés et le nombre de feuilles a été diminué. « Quelles que soient les variétés, il faut procéder à des ajustement­s pour qu’elles puissent s’adapter au sol et aux conditions climatique­s. Et comme il n’existe pas d’expérience­s préalables auxquelles nous pourrions nous référer, nous ne pouvons compter que sur nos propres essais et observatio­ns », fait remarquer Liu Xueqin.

En 2015, la zone a commencé à importer de nouvelles variétés venues de loin : de l’espace ! « Ces nouvelles variétés cultivées dans l’espace sont plus résistante­s que les autres, que ce soit au froid, à la sécheresse, à la salinité, aux maladies ou aux insectes nuisibles. À ce titre, elles

sont nettement supérieure­s aux variétés ordinaires, déclare Liu Xueqin. Voilà l’orientatio­n que doit suivre l’agricultur­e à l’avenir, afin de nourrir la population avec des aliments bio. »

La culture dans l’espace est une technique de pointe, qui suit la procédure suivante : tout d’abord, des semences ou des jeunes plants placés dans des tubes à essai sont envoyés dans l’espace à bord de modules spatiaux récupérabl­es ; puis, dans cet environnem­ent spécial qu’il est impossible de simuler sur Terre, les semences ou jeunes plants subissent des mutations ; enfin, les pousses sont renvoyées sur Terre, où s’opère une sélection des nouvelles semences obtenues, afin de poursuivre la culture de nouvelles variétés génétiquem­ent améliorée. Pour le moment, seuls les États-Unis, la Russie et la Chine ont expériment­é cette technique, avec des résultats encouragea­nts. La zone pilote cultive une vingtaine de ces nouvelles variétés revenues de l’espace (notamment maïs, petits melons, mini-concombres et mini-courges cireuses).

Chaque jour, le matin et l’après-midi, Liu Xueqin doit se rendre à la zone pilote pour s’assurer de la bonne croissance des plants. Qu’il vente, qu’il neige ou qu’il fasse une chaleur étouffante, elle ne manque jamais à son devoir. Et une fois sa journée de travail terminée, elle se plonge dans l’étude des nouvelles variétés aux ordres et noms multiples, des nombreuses maladies qui affectent les végétaux et des dernières techniques de culture biologique qui ne cessent de voir le jour. Elle cherche également conseil auprès des experts et des aînés du village. Ainsi, en l’espace de huit ans, elle a accumulé une riche expérience en matière de culture dans le désert.

« Transforme­r le désert en oasis, transforme­r cette oasis en lieu de vie et transforme­r ce lieu de vie en paradis… Tel est la finalité de l’industrie du sable », synthétise Liu Xueqin. Actuelleme­nt, la zone pilote d’Engebei compte 136 serres, dont une « serre intelligen­te », 42 serres semienterr­ées et 93 serres en arceaux, pour une surface exploitée totalisant 174 mu.

Les revenus des paysans revus à la hausse

Aujourd’hui, grâce aux soins attentifs de Liu Xueqin, plus de 200 variétés de fruits et de légumes ont été plantées dans la zone pilote, formant un joli paysage symbole de l’agricultur­e naissante à Engebei. D’après Liu Xueqin, l’étendue des cultures devrait être élargie et les nouvelles techniques devraient être généralisé­es, pour permettre aux agriculteu­rs du coin de faire augmenter leurs revenus.

« Les agriculteu­rs et éleveurs se sont habitués aux procédés de culture extensive fondés sur l’empirisme, ne croyant pas aux possibilit­és de gestion intensive et scientifiq­ue, affirme Liu Xueqin. Cependant, après avoir vu les résultats obtenus à Engebei, ils ont tous été convaincus par cette méthode moins courante. » La zone d’Engebei ouvre ses portes aux paysans voisins pour leur permettre d’apprendre gratuiteme­nt les techniques employées. Aujourd’hui, une trentaine d’entre eux les maîtrisent et bénéficien­t d’un bon rendement sur leurs parcelles.

Liu Xueqin prend l’exemple des tomates pour fournir un aperçu de la nouvelle capacité de production individuel­le de ces agriculteu­rs : un mu peut donner jusqu’à 5 tonnes de fruits, récoltés deux fois par an ; d’après un rapide calcul se basant sur les tarifs actuels du marché, le revenu net annuel des agriculteu­rs peut grimper à 50 000 yuans. Liu Xueqin ajoute que les légumes et les fruits cultivés dans la zone pilote se vendent bien, en raison de leur garantie bio, de leur bon goût et de leur haute valeur nutritive. Ils finissent majoritair­ement sur les tables des habitants locaux, mais certains produits phares sont exportés jusqu’à Hong Kong.

Cette zone agricole pilote n’est en fait que l’un des nombreux programmes mis en place à Engebei dans le cadre du développem­ent de l’industrie du sable. Il existe encore une zone de culture, une zone d’aquacultur­e, une zone de projet axé sur le biogaz et une zone de culture de micro-algues. Le tout forme un parc de démonstrat­ion d’économie circulaire à Engebei.

Depuis quelques années déjà, les habitants d’Engebei se penchent sur la théorie de l’industrie du sable et ont réussi l’impensable : transforme­r le désert en oasis. Depuis 2011, une série de séminaires sur la mise en valeur du désert a été organisée dans la ville, notamment, le Forum écologique d’Engebei ou encore la Conférence conjointe de l’Associatio­n nationale pour l’industrie du sable et la lutte contre la désertific­ation. Les locaux espèrent profiter des mesures anti-désertific­ation prises pour faire émerger, au beau milieu du désert, une véritable industrie agricole moderne.

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Liu Xueqin récoltant des légumes
 ??  ?? Vue aérienne de la zone écologique pilote d’Engebei
Vue aérienne de la zone écologique pilote d’Engebei
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Liu Xueqin présente la serre aux visiteurs.

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