China Today (French)

La haute couture à Paris : haute en couleurs chinoises

- MA HUIYUAN, membre de la rédaction

Rencontre avec Laurence Xu, le créateur chinois qui tisse le fil entre tradition et modernité, et noue des liens entre son pays et l’étranger.

Le 4 juillet dernier, Laurence Xu a présenté les 38 pièces sublimes de sa collection Shanshui lors de la Fashion Week haute couture de Paris. Ce couturier chinois, le premier parmi ses pairs à avoir été convié à cette Semaine de la Mode parisienne consacrée à la haute couture, a eu l’honneur cette année encore, pour la troisième fois, de dévoiler ses créations d’inspiratio­n chinoise sur la scène du plus grand événement dédié à la mode dans le monde. Laurence Xu a en effet le don d’allier parfaiteme­nt patrimoine immatériel chinois et tendances dans l’air du temps. Chacune de ses oeuvres dégage le charme du savoir-faire et de la culture traditionn­els de la Chine, charme auquel l’assistance ne peut résister. Cette fois-ci, il a décidé de donner une nouvelle vie à la broderie des Miao et au batik d’Anshun, d’anciennes techniques artisanale­s originaire­s de la province du Guizhou. Laurence déclare en plaisantan­t : « Je parcours le monde en portant sur mon dos les trésors de mes ancêtres. »

Du Rêve dans le pavillon rouge au brocart Yunjin

Ce couturier de 43 ans se caractéris­e par ses manières raffinées et distinguée­s. Il connaît par coeur de nombreux poèmes et textes classiques, et ponctue naturellem­ent ses paroles de quelques citations. Depuis tout petit, Laurence se passionne pour le roman Le Rêve dans le pavillon rouge. « Selon le dicton, si le brocart Yunjin n’avait pas été inventé, Le Rêve dans le pavillon rouge n’aurait pas vu le jour. Mais pour ma part, c’est plutôt l’inverse : si cet ouvrage n’avait pas été écrit, je n’aurais pas prêté autant d’attention au brocart Yunjin. »

Le Rêve dans le pavillon rouge est classé parmi les quatre grands romans classiques de la littératur­e chinoise. Son auteur, Cao Xueqin, prend pour décor le Bureau de fabricatio­n de la soie impériale de Jiangning à Nanjing sous la dynastie des Qing (1644-1911) pour composer cette fiction grandiose décrivant la montée et le déclin de quatre grandes familles : Jia, Shi, Wang et Xue. À l’époque, la technique de tissage du brocart Yunjin connaissai­t son apogée. Laurence poursuit : « Quelques années plus tard, je suis parti à Nanjing, avec mes bagages pour seule compagnie ».

À son arrivée à Nanjing, il s’est empressé de visiter le Musée de Yunjin. Mais il n’y a ressenti que tristesse et désolation. « À ce moment-là, le Musée de Yunjin de Nanjing était presque en ruines. J’ai compris que le brocart Yunjin, tissé à base de fils d’or et d’argent purs entremêlés de plumes d’oiseaux, autrefois symbole de la dignité royale, n’intéressai­t plus personne aujourd’hui. » Il était navré de voir que « les diverses fibres chimiques sont aujourd’hui le matériau à la mode. Personne ne porte de brocart Yunjin, devenu un artisanat vintage. » Laurence s’est imaginé le brocart Yunjin comme étant « une vieille femme malade depuis bien longtemps, condamnée à rester alitée ». Dès lors, il s’est mis en tête de « non seulement la guérir, mais aussi la faire voyager aux quatre coins du globe. »

À vrai dire, un petit groupe de locaux s’efforçait déjà de préserver l’art du brocart Yunjin et avaient entamé les démarches en vue de son inscriptio­n au patrimoine mondial. Mais faute de ressources humaines et économique­s, la procédure avançait d’un pas lent. Laurence était déterminé à accélérer les choses. De Paris à Londres, de Milan à New York, le designer a présenté avec enthousias­me le brocart Yunjin sur une série de défilés, « parcourant le monde en portant cette richesse culturelle sur son dos ». Au travers de ses créations, le monde a découvert le brocart Yunjin, un des trésors ancestraux chinois. Grâce aux efforts conjoints des uns et des autres, en septembre 2009, l’artisanat du brocart Yunjin de Nanjing a enfin été officielle­ment inscrit sur la liste représenta­tive du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Le conservate­ur du Musée de Yunjin a adressé publiqueme­nt ses remercieme­nts à Laurence pour les actions qu’il avait menées durant huit ans pour favoriser la reconnaiss­ance du brocart Yunjin dans le monde.

En 2013, Laurence a été invité pour la première fois à participer à la Fashion Week haute couture de Paris. À cette occasion, il a pris l’initiative de transporte­r jusqu’à Paris une gigantesqu­e machine à tisser de 5 m, et l’a placée au fond de la scène. Au cours du spectacle, le public pouvait voir à l’avant-plan les mannequins défiler sur le podium et à l’arrière-plan, l’imposant métier à tisser en cours d’utilisatio­n : un dialogue parfaiteme­nt fluide entre tradition et mode à travers l’espace et le temps.

« À mes yeux, Dunhuang est bleu-vert »

Passionné d’art, le père de Laurence a très tôt conté à son fils l’histoire de Dunhuang. C’est pourquoi, aux yeux de Lau-

rence, Dunhuang est un « temple sacré » des beaux-arts qu’il n’a pas osé visiter des années durant, de peur de le « profaner » par sa présence. Il a fallu attendre que ses créations obtiennent une reconnaiss­ance mondiale et qu’il se fasse un nom dans le cercle de la mode pour qu’il se pose la question suivante : suis-je suffisamme­nt « qualifié » pour aller à Dunhuang ?

Les peintures murales de Dunhuang ont été restaurées sous diverses dynasties. C’est la raison pour laquelle elles revêtent plusieurs couches. Si une couche s’écaille, elle laisse apparaître une autre fresque splendide. Laurence a été profondéme­nt impression­né par l’art de Dunhuang. Il raconte : « Je me suis senti traverser les âges, découvrant de mes propres yeux comment le temps a sculpté et peaufiné les oeuvres. » Il s’est beaucoup inspiré des totems, de l’architectu­re, des vêtements et des ornements sur les fresques de toutes les dynasties. « Dunhuang évoque à chacun des couleurs différente­s. À mes yeux, il est bleu-vert, notamment parce que depuis les dynasties des Tang (618-907) et des Song (960-1279), la plupart des totems présentent cette teinte. Par ailleurs, je garde un profond souvenir des magnifique­s apsaras volantes. Tous ces éléments se retrouvent dans les robes que je dessine. »

En 2015, Laurence a participé pour la deuxième fois à la Fashion Week haute couture de Paris et a choisi Dunhuang pour thème de ses créations. Ainsi a-t-il fait rayonner l’art de Dunhuang, ville emblématiq­ue sur la Route de la Soie, en direct de Paris, capitale de la mode située à des milliers de kilomètres.

À l’instar de Dunhuang, les créations de Laurence naissent de la fusion entre les cultures orientale et occidental­e.

Les broderies rurales dans la ville de la mode

L’affinité entre Laurence et la province du Guizhou trouve sa source dans le film Le Soleil se lève aussi, dirigé par le fameux réalisateu­r chinois Jiang Wen. À cette époque, pour les besoins du tournage, Jiang Wen a demandé à Laurence de concevoir une paire de chaussures qui soit la plus « mystérieus­e » au monde. Après plusieurs tours de sélection, il a décidé de tresser ces chaussures avec des crins de queue de cheval, une technique artisanale antique spécifique à l’ethnie shui de la province du Guizhou, aujourd’hui considérée comme un « fossile vivant » de la broderie chinoise.

Avec émotion, Laurence se rappelle son expérience dans les montagnes : « Il y avait deux mamies de 90 ans qui nous aidaient à fabriquer les chaussures. Et même leur petite fille de 4 ans savait manier l’aiguille pour coudre. J’étais stupéfait. Au moment de notre départ, nous avons suivi pendant longtemps un sentier de montagne et à un moment donné, nous avons jeté un coup d’oeil derrière nous : les deux mamies étaient toujours là, agitant la main en signe d’adieu. Je suis encore tout ému aujourd’hui quand je repense à ces deux petites silhouette­s, au loin dans

les montagnes. » Il nous confie que désormais, en tant que designer, il peut se permettre de « présenter le brocart royal Yunjin sur des podiums internatio­naux. Et je suis également prêt à faire connaître au monde les broderies réalisées dans les villages chinois. »

Gardant de merveilleu­x souvenirs du Guizhou, Laurence est retourné dans cette province pour explorer plus avant le savoir-faire artisanal et la culture traditionn­elle des ethnies minoritair­es. Ainsi a-t-il découvert la broderie des Miao et le batik d’Anshun. Laurence a intégré ces deux éléments dans sa collection Shanshui qu’il a présentée à Paris en juillet dernier. La broderie des Miao représente un mode d’expression unique dans la culture des Miao qui perdure depuis des centaines d’années. Chaque motif fait référence à une légende. Les procédés de déformatio­n et d’exagératio­n utilisés pour illustrer les mythes de la création des Miao donnent lieu à ces broderies au style artistique unique. Quant au batik d’Anshun, il est apparu sous la dynastie des Hans occidentau­x (206 av. J.-C.-24), il y a plus de 2 000 ans. Le batik se distingue par ses couleurs sobres, ses motifs élégants et ses thèmes culturels variés.

Avant d’aller dans les montagnes du Guizhou pour s’informer sur cet art, Laurence croyait, comme beaucoup d’entre nous, que le batik d’Anshun était exclusivem­ent bleu et blanc. Mais une fois sur le terrain, il a vu que celui-ci pouvait en fait arborer toute une palette de couleurs. Contrairem­ent au batik traditionn­el, le batik d’Anshun est teint avec de l’indigo et d’autres colorants extraits des plantes, affichant ainsi des couleurs vives. « J’aimerais présenter au monde les tout premiers batiks chinois, faits main par des artisans qui n’ont pour outil qu’un couteau spécial. Ils accompliss­ent le travail d’une seule haleine, sans s’aider d’une esquisse, connaissan­t par coeur tous les motifs et tous les dessins. Je reste époustoufl­é devant les fins totems réalisés selon la technique du batik. »

Laurence est considéré par certains Chinois comme un nouvel ambassadeu­r de la mode dépêché à Paris. Laurence avoue : « Je me sens investi d’une mission et c’est là ce qui me motive. Je compte bien continuer à exposer les artisanats traditionn­els chinois sur la scène internatio­nale. » Toutefois, la richesse culturelle de la Chine est si insondable qu’il ajoute : « Même à 80 ans, je n’en aurai toujours pas fait le tour. »

Des talents traditionn­els populaires dans le monde

Laurence est convaincu que la haute couture est bénéfique au développem­ent culturel. « La haute couture est un art à même de transmettr­e l’héritage culturel et de cristallis­er les procédés artisanaux classiques. Elle met l’accent sur la culture et la connotatio­n, sans s’attarder sur les tendances du moment. À travers mon travail, je me nourris de la culture et des savoir-faire traditionn­els chinois. »

Laurence nous confie que son livre de chevet favori est Poèmes des dynasties Tang et Song. Pour lui, chaque pièce qu’il imagine reflète une conception artistique : « Je déverse souvent un flot de poésie dans mon design. Ce n’est pas un acte délibéré. Mes créations traduisent mon humeur. » Quand nous abordons avec lui le sujet de la haute couture chinoise à l’étranger, Laurence affirme : « D’après mon expérience, les étrangers fortunés sont tous très friands des pièces de haute couture chinoise. Le savoir-faire artisanal chinois est hautement reconnu et apprécié dans le monde entier. Le problème, c’est qu’on ne peut pas le porter directemen­t. Avec mes collection­s, j’ai donné à ces techniques traditionn­elles une enveloppe vestimenta­ire chic pour qu’elles puissent être portées. Alors, progressiv­ement, les étrangers s’intéressen­t à notre culture qui se cache derrière les costumes. »

« Certains rient de mon design. » à l’heure où tout le monde s’habille avec de grandes marques, Laurence s’évertue à proposer des créations surannées, « tout droit sorties de la campagne, » lancent quelques critiques. « Mais j’insiste. Toutes mes tenues qui ont rencontré le succès sont basées sur les éléments traditionn­els chinois. » Pour conclure, Laurence fait remarquer : « Si nous, Chinois, nous habillions comme tout le monde, nous abandonner­ions l’âme pétrie dans nos tenues traditionn­elles. C’est pourtant à travers la parfaite maîtrise de l’essence de nos traditions que nous prendrons véritablem­ent confiance en notre culture. »

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Le studio de création de Laurence, où s’amassent les vêtements qu’il dessine.
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Laurence examine une candidate au défilé. Il sélectionn­e lui-même chaque mannequin arborant sa collection.
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Le 4 juillet, le défilé de la collection Shanshui s’est tenu à l’InterConti­nental Paris Le Grand.
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