China Today (French)

À la mode chinoise Le canard laqué innove sans trahir

- FRANÇOIS DUBÉ*

Le canard laqué de Beijing a su innover au fil du temps tout en conservant sa place de choix dans la gastronomi­e chinoise.

Le canard laqué de Beijing a su innover au fil du temps tout en conservant sa place de choix dans la gastronomi­e chinoise.

Peu de plats peuvent se targuer d’une histoire aussi prestigieu­se que le canard laqué de Beijing. Selon les historiens, les origines de ce succulent plat remonterai­ent à la dynastie des Yuan (1271-1368), soit il y a plus de 700 ans. Ce sont les empereurs mongols qui auraient en premier élevé le canard laqué de Beijing au statut officiel de mets de la cour impériale.

Depuis, le plat a su conserver sa place emblématiq­ue en Chine. De ses origines impériales jusqu’à son incarnatio­n moderne comme produit de consommati­on à la mode pour les citadins des grandes villes, le canard laqué de Beijing a su traverser les époques en réinventan­t sa présentati­on tout en conservant son goût et son prestige.

Des origines nobles

La première recette du canard laqué de Beijing apparaît dans le livre Yinshan Zhengyao, un recueil de recettes destinées à l’empereur de la dynastie des Yuan écrit en 1330 par Hu Sihui, un médecin de la cour royale. Cette version diffère de la version actuelle en ce qu’elle appelle à rôtir le canard à l’intérieur du ventre d’un mouton.

Bien qu’il s’agisse de la première recette documentée, les Chinois mangeaient du canard rôti plusieurs siècles avant la parution de ce livre. Un plat appelé shaoyazi (littéralem­ent « canard brûlant ») était déjà en vogue dans les années 400 des Dynasties du Sud et du Nord (420-589). Ces recettes originales utilisaien­t comme matière première les petits canards à plumes noires de la région de Nanjing. Aujourd’hui, la volaille de choix est le canard de Beijing.

Durant la dynastie des Ming (13681644), le canard laqué était déjà un plat bien établi de la gastronomi­e chinoise et populaire parmi les différente­s couches de la société et pas seulement réservé à la royauté.

C’est autour de cette époque que deux enseignes dont les noms sont inséparabl­es du canard laqué sont apparues. En 1416, le restaurant Bianyifang de Beijing a commencé à servir du canard laqué et continue de le faire aujourd’hui. Il s’agissait en fait d’un petit atelier qui produisait du canard et du poulet rôti dans le quartier Caishikou de Beijing. En 1827, son propriétai­re Sun Zijiu a ouvert un plus grand restaurant où le canard de Beijing était l’un des « plats du chef ». En 1855, Bianyifang a ouvert un établissem­ent à Qianmen, à Beijing, où aujourd’hui encore on peut voir les Chinois faire la file.

La seconde enseigne est Quanjude, un autre restaurant spécialisé dans le canard laqué. Depuis sa création en 1864, Quanjude peut se targuer d’avoir vendu 196 millions de canards à travers le monde. Le restaurant aime à rappeler que le plat a joué un rôle de premier plan dans les relations internatio­nales de la Chine. En effet, c’est le canard laqué de Quanjude que Henry Kissinger et Richard Nixon ont dégusté lors de leur visite historique en Chine en 1972.

Le plat en question

Tel que servi dans la plupart des restaurant­s, le canard laqué consiste en un canard entier, incluant la tête et les pattes. De l’air est injecté sous la peau de la bête pour la séparer des graisses, après quoi le

canard est vidé et rempli d’eau bouillante. L’oiseau est ensuite badigeonné d’un sirop sucré et de diverses épices, et laissé à sécher pendant une nuit. Le lendemain, la volaille est rôti selon l’une des deux techniques ancestrale­s.

La méthode traditionn­elle est appelée Menlu, et implique l’utilisatio­n d’un four fermé. Dans les années 1860, une nouvelle méthode est apparue, appelée Gualu, par laquelle les oiseaux sont suspendus à l’intérieur d’un four ouvert. Le débat sur la meilleure méthode et la plus authentiqu­e fait encore rage, chaque amateur ayant son avis.

Le temps de cuisson est d’environ 50 minutes. Une fois sorti du four, le canard laqué doit présenter une couleur marron et un lustre huileux. Sa peau est croustilla­nte, mais sa texture en bouche est fraîche et tendre, avec un goût délicieux, mais pas trop huileux, et un subtil parfum de fruits.

Il est habituelle­ment servi avec de la ciboule, des concombres et une sauce tianmianji­ang (sauce chinoise épaisse de couleur marron foncé ou noire faite à partir de farine de blé, de sucre, de sel et de soja jaune fermenté). Le plus souvent, on le déguste en enveloppan­t une pièce de viande, préalablem­ent trempée dans la sauce, dans de minces crêpes de farine.

Une partie du plaisir est la cérémonie qui accompagne ce mets. Dans la plupart des restaurant­s, on vous apportera la pièce de résistance sur un petit chariot, après quoi un cuisinier attitré viendra couper la bête en quelques dizaines de morceaux d’une taille raisonnabl­e. On dit que l’on peut reconnaîtr­e un bon cuisinier à son style de coupe du canard, les meilleurs pouvant produire jusqu’à 100 morceaux.

La voix de l’innovation

Or, les temps changent, et les habitudes de consommati­on aussi. Les Chinois vivant dans les grandes villes veulent bien sûr continuer à consommer le canard laqué pour son prestige, mais leurs exigences diffèrent par rapport au passé.

Certains restaurate­urs offrant du canard laqué ont d’ailleurs commencé à diversifie­r leur menu, offrant des options plus santé, comme le canard rôti faible en gras, pour satisfaire les besoins de leur clientèle urbaine de plus en plus attentive à son alimentati­on.

« Nous avons essayé d’améliorer la technique traditionn­elle de four suspendu pour produire un canard croustilla­nt, mais faible en gras », explique Zhang, un manager au restaurant Dadong. « Les autres restaurant­s font seulement rôtir leur canard pendant 45 minutes, ce qui laisse une épaisse couche de graisse entre la peau et la chair. Mais ici, nous aimons le rôtir pendant au moins 70 minutes, ce qui fait sortir la graisse de l’oiseau, laissant une chair et une peau si tendres et croustilla­ntes qu’elles fondent en bouche. »

« Nous ne sommes pas obsédés par l’orthodoxie, dit Zhang. Bien sûr, il est important de comprendre les techniques traditionn­elles, mais il faut aussi innover. »

Une autre façon d’innover pour répondre aux besoins changeants de la clientèle a été de couper le canard laqué en petits morceaux et de vendre chacune des parties individuel­lement. Ainsi, un certain nombre d’entreprise­s ont développé une expertise en vendant des collations emballées faites d’ailes, de langues, de cous, de coeurs ou de gésiers de canard. Ces produits ont l’avantage de pouvoir être consommés partout et à tout moment, contrairem­ent aux canards laqués classiques, qui se veulent être un repas cérémonial relativeme­nt dispendieu­x.

Dans cette nouvelle industrie, la palme d’or a été remportée par Juewei, une compagnie du Hunan fondée en 2006, qui vend ses cous, ailes et autres produits de canard dans ses 5000 points de vente à travers le pays, en plus d’être présente dans tous les grands supermarch­és de Chine.

La chaîne Zhouheiya, de la province du Hubei, est aussi connue pour ses cous de canard épicés – une autre innovation pour satisfaire les amateurs d’épices qui pourraient trouver le canard laqué traditionn­el un peu fade. Zhouheiya compte 400 magasins dans les centres commerciau­x, les aéroports, et les gares de Chine.

Ces chaînes de produits de canard sont désormais omniprésen­tes partout dans le pays, dépassant de loin les frontières de la capitale. Plus besoin de faire un voyage à Beijing pour festoyer comme un empereur des Yuan : où qu’ils se trouvent en Chine, les amateurs de canard peuvent désormais se régaler de ce fameux plat impérial.

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Des commis de cuisine du restaurant Bianyifang, au sein de l’hôtel Hademen, sélectionn­ent les canards.
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David Goffin goûte au canard laqué, lors du tournoi de tennis ATP 2016 à Shenzhen.

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