China Today (French)

Quand la Chine investit en Europe

- (France) CHRISTOPHE TRONTIN

Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsion­s la presse démocratiq­ue est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiq­uement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantique­s qui vous laissent pantois...

Le choix des termes est tantôt militaire, on parle alors d’« offensive », d’« invasion », de « débarqueme­nt » ou encore de « déferlemen­t ». Ou alors la métaphore se fait médicale, et on compare le phénomène à un cancer généralisé : « ils essaiment de partout », « ils investisse­nt tous les secteurs de l’économie ». L’objet de cet émoi ? Les investisse­ments chinois directs à l’étranger.

« Les tycoons chinois arrivent chez nous, chéquier en main, pour rafler hôtels, vignobles, clubs de foot, terres agricoles… », explique Capital, sous le titre Peut-on faire confiance aux investisse­urs chinois ? Selon La Croix, les entreprise­s chinoises « ne cachent plus leurs ambitions » et Économie Matin met en garde : « Certaines de ces prises de participat­ion inquiètent les autorités françaises ».

Certains font du sensationn­alisme : « Il n’y a pas de réciprocit­é », indique ainsi Capital, précisant que « les entreprise­s européenne­s ne peuvent pas faire leur marché en Chine ». C’est faux : le total des participat­ions françaises en Chine est six fois plus important que celui des participat­ions chinoises en France. Vous avez dit réciprocit­é ?

Le fait est que la Chine est un nouveau venu sur le marché des investisse­ments directs étrangers (IDE). Après la crise de 2007-2008, les investisse­urs chinois ont compris qu’acheter des bons du Trésor américain ne servait plus à rien avec des taux d’intérêt approchant de zéro, et qu’il valait mieux préparer l’avenir en rachetant des actifs, des technologi­es et des accès aux marchés étrangers.

Cela dit, la Chine qui multiplie ses emplettes stratégiqu­es reste très loin derrière les autres investisse­urs majeurs, en particulie­r les États-Unis. Ces derniers possèdent un quart des IDE, le Japon en détient 6 %, tandis que la part chinoise ne dépasse qu’à peine 2 % des 750 milliards de dollars de participat­ions étrangères dans notre économie. Curieux, non ? Toute la presse s’est émue de voir le Club Med ou une partie du capital de Peugeot passer sous pavillon chinois, alors que le dépeçage d’Alstom, un des leaders mondiaux dans le domaine des turbines à vapeur, au profit de l’américain General Electric n’a choqué personne.

François Miguet, s’émerveille dans Capital de la capacité des Chinois à détecter les forces et les atouts des différents pays mieux que ceux-ci ne le font eux-mêmes, et donc d’obtenir des deals qui s’avèrent plus juteux que prévu. La France par exemple qui voit son secteur touristiqu­e comme « non stratégiqu­e » est contredite par la Chine qui y investit en priorité. Club Med, Pierre et vacances, chaînes hôtelières Campanile, Accord, Kyriad, vignoble bordelais, aéroport de Toulouse... En Allemagne, c’est surtout les secteurs des machines-outils et de la robotique qui intéressen­t les Chinois, tandis qu’en Grande-Bretagne, ils étudient de près le secteur financier... Partout on pousse le même cri : « Les Chinois arrivent ! Ils rachètent tout ! »

En réalité, la question n’est pas de savoir si les investisse­ments étrangers sont chinois ou non. Ce qui attire vers l’Europe les investisse­urs extra-européens, c’est avant tout l’absence de vision industriel­le, le renoncemen­t à toute ambition stratégiqu­e qui font ressembler le continent à un magasin en faillite qui afficherai­t « Liquidatio­n totale ! ».

Par ailleurs, un investisse­ment chinois ne vaut-il pas mieux qu’un investisse­ment américain ou qatari ? Contrairem­ent aux « fonds vautours » qui ne visent que la rentabilit­é à court terme et n’hésitent pas à découper en rondelles des fleurons industriel­s pour les revendre « par appartemen­ts », les investisse­urs chinois arrivent avec des plans à long terme. Ils apportent dans la corbeille un accès privilégié au fabuleux marché chinois, des investisse­ments importants et le plus souvent des créations d’emploi.

Au final, les industriel­s chinois montrent plus de considérat­ion pour le salarié européen que les capitaines d’industrie indigènes. Alors que ces derniers continuent de délocalise­r à tour de bras et de brader les actifs au plus offrant, nos amis chinois reconnaiss­ent l’excellence européenne et renversent, dans une certaine mesure, la vapeur de la désindustr­ialisation.

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