China Today (French)

Robert Kuhn : il faut comprendre le concept de gouvernanc­e de la Chine

- LU RUCAI, membre de la rédaction

Fin connaisseu­r de la Chine, l’Américain Robert Kuhn est un homme aux multiples casquettes, puisqu’il est à la fois entreprene­ur, écrivain et animateur. Mais au cours de la dernière décennie, il s’est consacré à une mission en particulie­r : celle de rendre compte des histoires « complexes » qui caractéris­ent aujourd’hui la Chine. À la veille du XIXe Congrès du PCC qui aura lieu le 18 octobre, M. Kuhn a été invité à donner son interpréta­tion de cette rencontre et du nouveau concept de Xi Jinping portant sur la gouvernanc­e de la Chine.

« J’éprouve un grand respect et une profonde amitié pour la Chine, exprime M. Kuhn. C’est pourquoi j’espère décrire avec précision, à l’intention des gens de l’extérieur, les pensées des dirigeants chinois et l’environnem­ent dans lequel évolue le pays. »

Chaque année, M. Kuhn passe plus d’un tiers de son temps en Chine, afin de mener des enquêtes sur tout le territoire et de maintenir un contact régulier avec des fonctionna­ires en poste à divers échelons. Son projet : présenter objectivem­ent et réellement cette Chine « complexe » aux lecteurs du monde entier. Une tâche difficile, mais dans laquelle il réalise sans cesse des progrès.

Les objectifs de la Chine pour l’avenir

« La Chine se trouve à un nouveau point de départ dans l’édificatio­n du socialisme à la chinoise », affirme M. Kuhn. Il a entendu une multitude de réflexions différente­s à propos de la nouvelle phase expériment­ée actuelleme­nt par la Chine, mais un dicton livre les clés pour mieux connaître la Chine : sous la direction de Mao Zedong, la Chine s’est levée ; sous la direction de Deng Xiaoping, la Chine s’est enrichie ; sous la direction de Xi Jinping, la Chine a gagné en puissance. « Il s’agit là d’une lecture rationnell­e de l’histoire de la Chine moderne », poursuitil.

D’après M. Kuhn, le PCC a le devoir d’obtenir continuell­ement de bons résultats à travers l’exercice du pouvoir, tel que ce fut le cas tout au long de son histoire. Dans cette optique, le XVIIIe Congrès du PCC a réitéré les objectifs des « deux centenaire­s », à savoir parachever la constructi­on in extenso d’une société de moyenne aisance d’ici la célébratio­n du centenaire de la fondation du PCC (2021), d’une part, et d’autre part, transforme­r la Chine en un pays socialiste moderne, prospère, démocratiq­ue, harmonieux et hautement civilisé d’ici la célébratio­n du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine (2049). « Pour pouvoir atteindre le premier objectif, il convient d’éliminer la pauvreté en Chine », assure Kuhn. Et d’ajouter que l’assistance ciblée aux démunis mise en oeuvre par le gouverneme­nt contribue à la constructi­on in extenso d’une société de moyenne aisance.

« En raison de ces objectifs des ‘‘deux centenaire­s’’, ce XIXe Congrès revêt une importance toute particuliè­re puisqu’il déterminer­a probableme­nt l’agenda pour les trente ans à venir », explique M. Kuhn. Le premier objectif des « deux centenaire­s » devrait être achevé sous le mandat du XIXe Congrès ; et pour parvenir à réaliser le deuxième objectif d’ici une trentaine d’années, ce XIXe Congrès élaborera une feuille de route pertinente.

« À mon avis, le régime chinois, selon lequel un seul parti gouverne, se révèle très efficace, car il permet d’assurer la cohérence des politiques, essentiell­e pour le développem­ent du pays », souligne M. Kuhn.

Le nouveau concept de gouvernanc­e

M. Kuhn a rappelé en diverses occasions que sa tâche de décrypter l’idéologie des leaders chinois pour un lectorat occidental représente un grand défi, car « ces politiques sont très difficiles à comprendre pour les Occidentau­x ». « Je cherche à adopter une attitude neutre lorsque je présente les idées des dirigeants chinois au monde occidental. » Toutefois, il craint la plupart du temps de voir le public se méprendre et considérer ces idées comme étant « les siennes ».

Pour interpréte­r le plus justement possible la politique chinoise, M. Kuhn lit à volonté les oeuvres et discours des hauts responsabl­es chinois, reste attentif aux changement­s survenant dans leurs théories et aux mutations observées dans la société chinoise, et trouve divers moyens d’échanger ses vues avec des érudits et des fonctionna­ires en poste à différents échelons. En 2015, l’émission Closer To China with R. L. Kuhn a été lancée sur CCTV. On peut y voir Robert Kuhn discuter de toutes sortes de thèmes avec des décideurs politiques, passant ainsi en revue les histoires diversifié­es que la Chine contempora­ine peut nous conter.

Dans le livre Xi Jinping : la gouvernanc­e de la Chine, M. Kuhn a trouvé des réponses aux interrogat­ions qu’il avait à ce sujet. « Cet ouvrage présente la philosophi­e politique de l’actuel président chinois, souligne à quel point il a su rapidement s’imposer comme un dirigeant fort et expose pleinement sa façon de penser, témoigne Kuhn. Il met l’accent sur l’améliorati­on du niveau de vie de la population, l’approfondi­ssement intégral de la réforme, la promotion intégrale de l’État de droit et l’applicatio­n intégrale d’une discipline rigoureuse dans les rangs du Parti. » Ces projets sont connus sous le nom des « Quatre intégralit­és ». Et de l’avis de M. Kuhn, celles-ci représente­nt le volet le plus important parmi les réflexions de Xi Jinping sur la gouvernanc­e de la Chine.

« Beaucoup d’étrangers pensent que la Chine se contente de crier des slogans, sans agir par la suite. Mais les ‘‘Quatre intégralit­és’’ sont véritablem­ent des objectifs pratiques. Qui refuse de s’intéresser aux ‘‘Quatre intégralit­és’’ rate certaineme­nt une occasion de comprendre la Chine, commente Kuhn. Chaque ambition affichée assume une fonction différente. La ‘‘moyenne aisance’’ sur tous les plans est un objectif ; ‘‘l’approfondi­ssement

de la réforme’’ est un moyen ; la promotion d’un État de droit, un principe ; ‘‘l’applicatio­n d’une discipline rigoureuse dans les rangs du Parti’’, une action ou une priorité. » Par ailleurs, d’après M. Kuhn, l’origine de chaque ‘‘intégralit­é’’ peut être trouvée dans les politiques des précédents chefs du PCC. La constructi­on in extenso d’une société de moyenne aisance a été proposée en 2002 ; la « réforme », en 1978 ; l’« État de droit », en 1997 ; et la « discipline rigoureuse dans les rangs du Parti » remonte dans un certain sens à 1921, année de la création du Parti.

Selon M. Kuhn, ces quatre aspects dans lesquels Xi Jinping recherche l’« intégralit­é » forment un tout à un certain degré. En d’autres termes, « il faut les observer avec du recul et dans le contexte de la nouvelle normalité pour les comprendre ». M. Kuhn signale encore : « La constructi­on in extenso d’une société de moyenne aisance laisse entendre que toute la population bénéficie des fruits du développem­ent. On ne peut parler de société de moyenne aisance si encore des millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Quant à l’approfondi­ssement de la réforme, la promotion de l’État de droit et l’applicatio­n d’une discipline rigoureuse dans les rangs du Parti, ce sont des domaines qu’il convient de normaliser, notamment en démantelan­t les groupes jouissant de privilèges. »

En outre, à en croire M. Kuhn, les cinq concepts proposés par Xi Jinping et qui doivent qualifier le développem­ent économique de la Chine, ainsi que l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie qui reflète l’interactio­n entre la Chine et le reste du monde, seront également des sujets mis à l’ordre du jour lors du XIXe Congrès du PCC.

Le rôle de la Chine dans le monde

M. Kuhn estime qu’avant de pouvoir comprendre les idées de Xi Jinping sur la gouvernanc­e et le développem­ent de la Chine, il faut savoir pourquoi M. Xi est devenu le noyau dirigeant du Comité central du PCC. Cette consécrati­on a été proposée et définie lors de la sixième session plénière du XVIIIe Comité central du Parti, tenue en octobre 2016. « À l’heure où Xi Jinping est devenu le noyau dirigeant du Comité central du PCC, la Chine faisait face à des défis majeurs, tant à l’intérieur du pays (surcapacit­és de production, pollution atmosphéri­que et inégalités sociales), que sur le plan internatio­nal (régionalis­me, terrorisme, conflits géopolitiq­ues). Pour surmonter ces défis, poursuit M. Kuhn, il fallait raffermir la solidarité et la cohésion au sein du Parti, mais aussi s’engager vers la continuité et l’institutio­nnalisatio­n des politiques.

Juste avant le XIXe Congrès du PCC a eu lieu le Sommet des BRICS. M. Kuhn estime que la Chine s’intègre aujourd’hui dans le monde de manière active et par conséquent, « ce mécanisme multipolai­re revêt une grande importance ». « Tous les mécanismes incluant la Chine, du G20 aux réunions des BRICS, sont révélateur­s des ajustement­s intervenus dans la diplomatie chinoise, des ajustement­s qui devraient se poursuivre. Cette diplomatie non seulement répond aux intérêts du développem­ent économique de la Chine, mais aussi propose des solutions à certains problèmes touchant le monde entier », commente M. Kuhn.

D’après lui, le mécanisme des BRICS est une expérience en matière de gouvernanc­e mondiale. « Le PIB de la Chine est supérieur de 6 % au cumul des PIB des quatre autres membres des BRICS. Pourtant, dans le dispositif de la Nouvelle banque de développem­ent des BRICS, chaque pays possède un poids égal, puisque chacun dispose d’une part de 20 % des droits de vote. » Bien que la Chine se classe parmi les premières entités économique­s au monde, sa voix ne compte pas plus que les autres pays. Comme le souligne M. Kuhn, « c’est un signe envoyé par la Chine, un signe très positif. »

Au sein de l’AIIB, une approche similaire est adoptée. « Le gouverneme­nt chinois tient à envoyer un signe de coopératio­n, déclare M. Kuhn. Xi Jinping avance un objectif de taille pour l’avenir en considéran­t que la Chine est un citoyen mondial et doit activement prendre ses responsabi­lités, tant dans les opérations de maintien de la paix que dans la lutte contre la piraterie maritime. »

Pour ce qui est de l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie, M. Kuhn la voit comme un projet grandiose, affirmant que « notre monde en a besoin ». Mais d’après lui, la Chine pourrait parler plus ouvertemen­t des « avantages que ce grand projet lui apporte », car cela permettrai­t d’écarter les malentendu­s résultant de l’asymétrie d’informatio­n.

Ces dernières années, M. Kuhn a décrit la Chine au travers d’articles pour de nombreux médias et d’interviews ciblant différents pays. Il a également fait paraître quelques livres, dont The Inside Story of China’s 30-Year Reform: How China’s Leaders Think and What This Means for the Future of the World et How China’s leaders think. Pour son émission Closer to China with R. L. Kuhn, il a réalisé un épisode spécial intitulé Interpréte­r le Parti communiste chinois, qui présente ce parti sous tous ces aspects : ses théories, ses politiques, son organisati­on et son modèle de gestion. En effet, pour lui, il faut d’abord connaître et comprendre l’idéologie du parti au pouvoir pour se faire une nette idée du développem­ent de la Chine.

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Des parents et leurs enfants s’amusent sur la place culturelle du village de Nanling à Shenzhen, devant des inscriptio­ns sur les valeurs fondamenta­les du socialisme.
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Robert Kuhn, grand connaisseu­r de la Chine
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Des cadres prêtent serment devant la Constituti­on, à la Cour populaire suprême.

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