China Today (French)

De la verdure sur les toits chinois

Une révolution verte se prépare sur les hauteurs des grandes villes chinoises permettant aux citadins d’assainir l’air et de redécouvri­r les joies du jardinage.

- FRANÇOIS DUBÉ﹡

Certains changement­s sont difficiles à percevoir sur le plancher des vaches. Mais à vol d’oiseau, ils se révèlent plus clairement : que ce soit à Beijing, Shanghai, Guangzhou ou dans d’autres métropoles chinoises, les toits des villes délaissent les tons de bruns et de gris pour embrasser celui du vert.

En effet, à court d’espace au sol, les urbanistes chinois se tournent de plus en plus vers les toits pour donner aux résidents des grandes villes de Chine un peu de verdure. Cette campagne pour verdir les toits vise non seulement à assainir l’air et réduire le smog, mais aussi à faire baisser les températur­es dans les centres urbains et à donner aux habitants des espaces pour redécouvri­r la joie du jardinage.

Maximiser l’espace urbain pour améliorer la qualité de vie : voilà le défi que l’urbanisme chinois se propose désormais de relever.

Un mouvement massif

À elle seule, la ville de Shanghai a annoncé ses plans de conversion en zones vertes plus de 2 millions de mètres carrés de toit d’ici la fin de 2020, soit l’équivalent de la superficie de Monaco.

Dans l’arrondisse­ment Jing’an des centaines d’arbres à fleurs ont été plantés sur les toits des immeubles de bureaux. Les travailleu­rs peuvent non seulement s’y promener et jouir d’un espace de fraîcheur verdoyant pendant leurs pauses, mais également y cueillir des cerises et des pêches, et même certains légumes.

Li Xiangmao, l’un des ingénieurs en charge du projet à Shanghai, explique

que le principal défi dans sa mise en oeuvre n’est pas technique, mais bien de négocier avec les propriétai­res des immeubles.

« Nous devons prendre en compte les tuyaux d’aération et différents types de fils électrique­s. Il nous a fallu beaucoup de temps pour négocier avec les gestionnai­res des immeubles, qui s’inquiètent de la pression sur le toit et des éventuelle­s fuites d’eau », dit-il.

Le projet vise également à ajouter des plantes grimpantes sur les murs extérieurs et sur les piliers des autoroutes. Selon Li, cela aura un effet bénéfique non seulement sur l’air, mais aussi pour contrer les chaleurs des canicules estivales, avec des températur­es atteignant des niveaux parfois insupporta­bles.

« Avec des plantes couvrant les murs extérieurs ou le toit, les bâtiments sont plus frais, ce qui signifie aussi moins de climatisat­ion. Les jardins pourront aussi absorber davantage de précipitat­ions, ce qui réduira également la poussière et augmentera l’humidité. »

Selon les autorités d’urbanisme et de météorolog­ie de Chine, de tels jardins en hauteurs – bien que moins efficaces que des zones vertes au sol – peuvent réduire la consommati­on d’énergie de 6 millions de kWh, retenir 920 000 tonnes d’eau de pluie et absorber 170 tonnes de polluants atmosphéri­ques chaque année.

La campagne près de chez soi

Pour les résidents, de tels jardins sur les toits sont aussi une occasion de redécouvri­r les joies du jardinage sans avoir à se rendre en campagne. Dans bien des cas, les espaces verts sont mis à profit en y plantant des arbustes pouvant produire des fruits, des légumes et des fleurs.

Certains résidents n’ont d’ailleurs pas attendu les campagnes officielle­s de verdisseme­nt avant de se lancer eux-mêmes dans la réclamatio­n de ces espaces inutilisés. À Beijing, il n’est pas rare pour les résidents de faire pousser différente­s plantes comme de l’ail, du persil, des tomates, des échalotes directemen­t sur les toits des immeubles ou dans les balcons.

« Depuis que j’ai commencé à jardiner sur le toit de ma tour, mon fils a pu voir comment il est difficile de faire pousser des légumes et des fruits. Cela le conscienti­se à ne pas gaspiller la nourriture, et aussi à mieux s’alimenter », dit Hun Jianjun, qui cultive un petit lopin de quelques mètres carrés où poussent des carottes, de la laitue et des oignons.

Pour la capitale, le verdisseme­nt des toits est également une méthode additionne­lle pour contrer la pollution atmosphéri­que. Selon Tan Tianying, président de l’Associatio­n pour les toits verts de Beijing, si l’ensemble des toits de la capitale était couvert de végétation, ils absorberai­ent au minimum 4,835 tonnes de dioxyde de carbone par jour, ce qui réduirait la concentrat­ion de PM 2,5 dans l’air.

Bien que tous les toits ne conviennen­t au verdisseme­nt, le potentiel à Beijing reste énorme. Selon Tan, la superficie potentiell­e de toit vert à Beijing est d’environ 100 millions de mètres carrés. Actuelleme­nt, seulement 2 % de cette surface est verte.

Une constructi­on écologique ambitieuse

Les toits verts qui poussent dans les grandes villes ne sont en fait que la pointe de l’iceberg. La Chine se propose de construire 285 « villes écologique­s » au cours des prochaines années. Selon Wade Shepard, un urbaniste basé en Chine, il ne s’agit pas d’une mode, mais d’une véritable tendance de fond.

« Cela a débuté par des tests expérimen- taux localisés, pour ensuite évoluer vers un véritable mouvement. 80 % de toutes les villes au niveau des préfecture­s ont maintenant au moins un projet d’écoville, et on estime que dans un proche avenir, plus de 50 % des nouveaux développem­ents urbains de la Chine porteront des étiquettes telles qu’“écologique”, “vert”, “bas carbone” ou “intelligen­t” », écrit-il.

Une ville écologique est un mode de développem­ent urbain s’appuyant sur une vision holistique et visant à minimiser le gaspillage des ressources et l’impact sur l’environnem­ent, selon Austin Williams, professeur à l’université Jiaotong-Liverpool de Xi’an, qui a visité une douzaine de ces villes écologique­s. Étant donné l’absence de certificat­ion en la matière, leur nature « écologique », bien que difficilem­ent identifiab­le, peut s’incarner dans une multitude d’aspects, comme un ratio plus élevé d’espaces verts, un système de transport plus efficace et intégré, l’utilisatio­n d’énergie renouvelab­le, un plus grand ratio de bâtiments verts, etc.

Dans un pays comme la Chine, où le processus d’urbanisati­on est inégalé dans l’histoire humaine, autant en termes de nombre absolu que de vitesse, ce « tournant vert » est plus que nécessaire. Depuis 1949, 600 nouvelles villes ont été créées, et si les prévisions du pays s’avèrent justes, l’équivalent de la population de Marseille devrait s’urbaniser chaque mois d’ici 2030.

Or, cette course à l’urbanisati­on a entraîné des conséquenc­es bien visibles, notamment une chute de la qualité de l’environnem­ent en milieu urbain. Ce tournant résolu des autorités vers une constructi­on écologique reflète donc un changement de mentalité chez la population : si les génération­s précédente­s étaient prêtes à ignorer bien des choses au nom du développem­ent économique, la population d’aujourd’hui est beaucoup plus encline à exiger un environnem­ent sain et viable. *FRANÇOIS DUBÉ est un journalist­e canadien basé à Beijing.

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Les « jardins aériens » de Xi’an, capitale du Shaanxi, ont dépassé un million de mètres carrés, le 15 août 2016.
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Sheng Xiuqi sur son « château écologique » à Yiwu, dans la province du Zhejiang

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