China Today (French)

Ces étrangers en Chine

- PAULINE AIROLDI, membre de la rédaction

La Chine : une leçon d’humanité

Enseignant-chercheur en sociologie à l’université Tsinghua de Beijing, Moundhir Sajjad Bechari est arrivé en Chine en 2013, juste après avoir obtenu une double licence en sciences politiques et histoire. À voir son dynamisme et son aisance à l’oral, il ne fait aucun doute que Moundhir est fait pour l’enseigneme­nt, une voie qu’il a choisi d’embrasser suite à de premières expérience­s sur le terrain qui ont réveillé la vocation qui sommeillai­t en lui. En conférence, dans une salle de cours ou en entretien, le jeune homme, armé de son sourire chaleureux, captive son auditoire par sa sincérité, son naturel et sa spontanéit­é. Alors, l’enseigneme­nt, c’est un peu comme une évidence. Le choix de la Chine, en revanche, c’est une autre histoire. Car si le jeune franco-marocain avait bien dans un coin de la tête l’idée d’apprendre un jour le chinois, une langue qui pourrait se révéler un excellent atout dans la constructi­on de sa carrière profession­nelle, rien ne laissait présager qu’il ferait un jour son chemin en Chine...

Des débuts prometteur­s

Dès que nous commençons notre entretien, Moundhir me confie avec un sourire amusé : « Il est très important de dire que je n’ai jamais voulu vivre en Chine. Je suis venu en Chine pour des vacances, cela fait quatre ans et j’y suis encore ! » En 2013, après deux années d’études aux États-Unis et une en France, Moundhir obtient son diplôme de licence. Il décide alors de faire une année de césure et prend l’avion pour la Chine où il veut rendre visite à l’un de ses amis qui s’est installé à Foshan, ville de la province du Guangdong dans le sud du pays. À peine arrivé, il se voit proposer un poste d’enseignant dans une école ma- ternelle. Sans hésiter, il saisit l’opportunit­é et fait ses premiers pas dans le monde de l’enseigneme­nt, une discipline qui va immédiatem­ent le passionner.

À ce moment, la ville de Foshan connaît une très forte croissance. Située dans la région stratégiqu­e du delta de la rivière des Perles, la ville bénéficie des projets de développem­ent qui visent à faire du delta un port majeur de la Chine. Du reste, la vie y est agréable, c’est un lieu riche d’histoire et de culture et très vite, Moundhir tombe sous le charme de la Chine, ou plutôt, comme il le dit lui-même « du sud de la Chine » car pour lui, il y a beaucoup de « Chines » en Chine. Deux mois après son arrivée, il obtient un poste dans un lycée qui est en train de développer un départemen­t internatio­nal pour les élèves qui souhaitera­ient faire des études supérieure­s à l’étranger. Mais les choses ne s’arrêtent pas là : cet établissem­ent fait partie d’un réseau de sept écoles et au bout de six mois, le jeune homme est promu responsabl­e pédagogiqu­e des départemen­ts internatio­naux de l’ensemble du réseau.

Parallèlem­ent, il continue d’étudier, ce qui lui permet d’obtenir une bourse pour effectuer en un an un master en relations internatio­nales à l’université de Nankai à Tianjin. Il poursuit avec un doctorat et décide de s’installer à Beijing pour des raisons profession­nelles, puisque la capitale de la Chine est aussi son coeur éducationn­el.

Les mille visages de la Chine

De Foshan à Tianjin puis Beijing, Moundhir découvre des réalités très différente­s. Dans les grandes ville comme Tianjin et Beijing, les gens sont plus instruits. Mais à Foshan et dans le sud de la Chine, il y a un côté plus authentiqu­e, les gens sont restés attachés à leurs coutumes. Et ils sont d’une grande générosité. Moundhir a beaucoup voyagé depuis son arrivée en Chine. Il a découvert une richesse et une exceptionn­elle diversité culturelle qui le passionnen­t et stimulent sa curiosité. Lorsqu’il évoque la Chine, il parle de « Chines » au pluriel. Il raconte que « la Chine est réellement un pays doté d’une des plus fortes doses d’imprévisib­ilité ; même après quatre ans j’apprends toujours, cette différence de Chines nous aide à développer notre compréhens­ion du monde et à élargir notre ouverture d’esprit ». Il admet que son intérêt pour cette diversité, et notamment pour les minorités ethniques, est probableme­nt lié à un sentiment de différence qui l’a toujours habité. Le jeune enseignant est franco-marocain et il confie avoir parfois souffert du regard des autres en France, notamment lorsqu’il est entré au lycée à Paris. Il raconte : « J’ai fait mon lycée dans un établissem­ent parisien prestigieu­x. J’ai compris la notion de gap social. On m’a fait ressentir que j’étais différent. »

Mais ce sentiment de différence, Moundhir en a fait une force, c’est ce qui l’a poussé, depuis toujours, à étudier, à s’éduquer, à jouer du piano ou se plonger dans les livres pendant que ses camarades jouaient dehors. Aujourd’hui, il rédige une thèse sur les minorités ethniques en Chine. Son travail de recherche est devenu sa raison d’être en Chine et il raconte « J’ai l’impression de creuser un puits et que plus je creuse, meilleure est l’eau ! » La Chine compte 55 minorités ethniques et chaque année, Moundhir part plusieurs semaines à la rencontre de ces population­s qui vivent dans des régions reculées de Chine. Il a notamment eu l’occasion de rencontrer des tibétains, des Naxi et des Yi. Il puise dans ces voyages et ces

rencontres humaines, plus que dans les livres, la matière qui alimente son travail de recherches.

Au-delà de ça, on comprend que ces voyages sont une véritable leçon de vie. Le jeune chercheur est persuadé que nous avons beaucoup à apprendre de la diversité et il considère que son expérience en Chine a été « une expérience humaine qui lui a appris à ne jamais juger, à être le plus neutre possible. » Il affirme : « J’ai construit mon identité à tous les points de vue, la Chine m’a permis de m’exprimer et de m’accepter mieux. »

La Chine et la France : deux pays qui partagent des valeurs communes

Son expérience en Chine a également modifié son regard sur le dragon asiatique. Il y a quatre ans, il est arrivé à Foshan avec certains clichés dont il s’est vite défait. Dans les grandes villes, il a découvert une société de consommati­on très développée, voire poussée à l’extrême. Il a réalisé que la population chinoise avait un véritable pouvoir d’achat. Il s’attendait par ailleurs à découvrir une société beaucoup plus imprégnée par la spirituali­té, le bouddhisme, les courants taoïstes et avoue avoir été un peu déçu sur ce point. Mais ce qui l’a le plus profondéme­nt marqué à son arrivée dans le sud de la Chine, c’est la générosité des gens. Pour Moundhir, cette générosité a atténué le choc culturel en facilitant son intégratio­n. Il explique : « On s’imagine souvent que le choc culturel est lié au matériel, au concret. Mais en réalité, il est dans les rapports humains. » En effet, quelles que soient les conditions matérielle­s, le choc culturel est plus simple à vivre lorsque l’on est accueilli avec générosité. Dans les grandes villes où l’on est confronté à plus d’individual­isme, le choc culturel est plus fortement ressenti.

Quand on écoute le jeune enseignant­chercheur, on comprend que l’Homme et les relations humaines sont au coeur de son travail et de ses interrogat­ions. Et la Chine, qui réunit tant de diversité sur un même territoire, est un merveilleu­x terrain d’exploratio­n. Encore une fois, c’est à travers le prisme de l’humanisme que Moundhir évoque les relations sino-françaises. Il estime que la Chine et la France ont développé une véritable affinité, et que, si leurs relations sont solidement ancrées dans le temps, les deux pays doivent aujourd’hui se fixer de nouveaux objectifs culturels en choisissan­t l’humanisme comme pierre angulaire de leurs stratégies planétaire­s. Dans un monde de plus en plus dominé par la technologi­e, la Chine et la France, en tant qu’anciennes civilisati­ons, ont le devoir de veiller à la préservati­on de la dignité humaine. Les deux pays doivent avoir à coeur de renforcer leurs échanges sur le plan humain, notamment à travers la promotion de l’enseigneme­nt du mandarin en France et du français en Chine et en intensifia­nt les échanges académique­s et universita­ires. L’initiative chinoise des nouvelles Routes de la Soie devrait également permettre de redynamise­r les relations sino-françaises. Enfin, pour Moundhir, il est évident que la Chine et la France ont un rôle majeur à jouer au sein de la gouvernanc­e mondiale et doivent assumer, ensemble, leurs responsabi­lités pour affronter les problèmes majeurs du XXIe siècle, notamment, la montée des extrémisme­s et le changement climatique.

Lorsque je demande à Moundhir s’il pense avoir pris des habitudes chinoises, il répond avec un sourire qu’il ne peut plus se passer des baguettes, qu’il boit de l’eau chaude, qu’il adore les massages et qu’il achète sur Taobao ! Et dans ses rapports avec les gens, il a dû s’habituer à faire preuve de plus de retenue, lui qui a hérité du caractère très expansif des Marocains !

À entendre Moundhir, on a du mal à imaginer qu’il ait parcouru un tel chemin en seulement quatre ans. Un heureux hasard l’a conduit en Chine où il a découvert une fascinante diversité qui est devenue le fil conducteur de ses recherches. Il tire de son expérience en Chine un enseigneme­nt profondéme­nt humain, les rencontres et les voyages qu’il y a faits lui ont permis de construire sa propre identité et de développer sa personnali­té. Il conclut : « Mon désir profond, c’est d’être le plus libre possible et j’ai réussi dans ce pays. » Moundhir semble avoir trouvé sa place en Chine, et un territoire assez vaste pour étancher sa soif de curiosité.

Il a réalisé que la population chinoise avait un véritable pouvoir d’achat.

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L’enseignant-chercheur Moundhir Sajjad Bechari s’exprime avec éloquence.

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