Un grand saut à Pyeongchang
Pour la quatrième fois consécutive, les skieurs chinois de saut acrobatique, hommes et femmes, entendent bien rentrer médaillés des JO d’hiver.
Àpeine 20 secondes s’écoulent entre le moment où le skieur reçoit de son entraîneur les dernières instructions et celui où il atterrit, avec le plus de fermeté et de stabilité possible, sur une piste de 30 mètres de long recouverte de neige. Un intervalle infime au cours duquel le skieur annonce qu’il est prêt, se met en mouvement, s’élance déterminé vers l’horizon glacial avant d’achever sa performance sous les applaudissements du public, submergé par un sentiment d’euphorie, ou bien assailli de reproches, sous les regards apitoyés des quelques spectateurs présents.
Les quatre années de préparation qui mènent à l’objectif ultime, les Jeux Olympiques d’hiver, suivent une trajectoire implacable qui implique de la part des skieurs d’innombrables sacrifices. Et lorsque débute la compétition quadriennale, c’est une nouvelle page qui s’écrit. Rien ne garantit la victoire, pas même les médailles d’or remportées aux Mondiaux ou aux Coupes du monde, ni la première place au classement général, ni le statut de champion virtuel décerné par les critiques sportifs à leurs grands favoris.
L’épreuve olympique de saut acrobatique, avec sa marge d’erreur infinitésimale, a quelque chose de cruel. La discipline, également connue sous son nom anglais aerial, fait partie des cinq disciplines du ski acrobatique avec les bosses, (depuis les JO de 1992), le ski cross (depuis 2010), le half-pipe et le slopestyle (depuis 2014) qui figurent toutes au programme du grand rendez-vous hivernal multisports.
L’ascension de la Chine en saut acrobatique
À l’occasion des Jeux de Calgary en 1988, le ski de bosses, présenté en tant que sport de démonstration, est approuvé par les organisateurs des jeux d’hiver. La discipline figue donc au menu officiel de la compétition d’Albertville quatre années plus tard. Le saut acrobatique, quant à lui, reçoit le vote de confiance du CIO à Lillehammer en 1994.
Les deux skieuses chinoises qualifiées pour concourir en Norvège réalisent des performances modestes : Yin Hong se classe dix-septième et Ji Xiao’ou dixhuitième. Mais elles laissent entrevoir un talent que
beaucoup d’experts, au vu de la domination des athlètes chinois dans les sports acrobatiques, que ce soit la gymnastique acrobatique (discipline qui a révélé de nombreux skieurs), les plongeons en natation (tremplin et haut-vol) ou le trampoline, considèrent comme inné chez leurs compatriotes.
Une hypothèse qui commence à se confirmer à Nagano en 1998 lorsque Xu Nannan devient la première chinoise à arborer le drapeau rouge à cinq étoiles jaunes lorsqu’elle monte sur le podium pour recevoir sa médaille d’argent. Puis, après une mauvaise passe à Salt Lake City en 2002 où la très jeune Li Nina, qui réalise la meilleure performance de l’équipe chinoise (5.ª), ne fait qu’effleurer le podium, l’équipe chinoise entame une série victorieuse qui pourrait se prolonger à Pyeongchang.
Les stars chinoises du saut acrobatique espèrent bien rentrer de Corée du Sud avec, pour la quatrième fois consécutive, des médailles chez les femmes et chez les hommes. Une prouesse qu’aucune nation n’a réalisée jusqu’à présent. Pour ce qui est du palmarès masculin, seule la Biélorussie (2-1-2) surpasse la Chine avec cinq podiums consécutifs. Quant au palmarès féminin, c’est l’Australie (2-0-2) qui détient le record, devançant la Chine avec quatre médailles successives.
La série de victoires chinoises a commencé en 2006, aux Jeux de Turin. Li Nina, qui, depuis les Jeux précédents, a confirmé son statut de grande athlète (avec notamment une victoire aux Mondiaux de 2005), empoche la médaille d’argent tandis que son compatriote, Han Xiaopeng, remporte l’or et entre dans l’histoire en devenant le premier athlète chinois masculin à obtenir un titre de champion à des JO d’hiver.
À Vancouver en 2010, trois nouvelles médailles viennent s’ajouter au butin collectif. Pourtant, les résultats de l’équipe chinoise dans la ville canadienne ne sont pas à la hauteur de ses attentes puisque Han rentre les mains vides et que Li, sous les feux des projecteurs en raison de sa condition de triple championne du monde (2005, 2007 et 2009), échoue sur la deuxième marche du podium. Outre cette seconde médaille d’argent, le palmarès de la Chine s’enrichit de deux médailles de bronze, l’une remportée par la skieuse Guo Xinxin, et l’autre par le skieur Liu Zhongqing.
Viennent ensuite les Jeux de Sotchi marqués par un froid particulièrement glacial. Une fois encore, les paris sont en faveur d’une championne chinoise qui suivrait ainsi le sillage de Han Xiaopeng. D’un côté,
Li Nina se présente à ses quatrièmes Jeux Olympiques avec une soif de victoire plus grande que jamais, et de l’autre, Xu Mengtao, couronnée « reine de l’aerial » lors des Mondiaux de Voss en 2013 (vice-championne en 2009 et en 2011), est considérée par les experts comme une athlète imbattable.
Pourtant, une chute désastreuse lors du troisième et dernier tour de la compétition, qui se joue entre les quatre meilleures skieuses, réduit à néant tous les espoirs de médaille de Li. Quant à Xu, elle ne parvient pas non plus à son objectif en raison d’un atterrissage maladroit qui la relègue à la deuxième place, alors que la biélorusse Alla Tsuper accède contre toutes attentes à la première marche du podium. Du côté des hommes, Jia Zongyang, qui fait partie du quartette finaliste en lice pour la victoire, se voit décerner une médaille de bronze alors que Qi Guangpu, à l’instar de sa compatriote Li Nina, échoue au pied du podium.
Une revanche pour Xu Mengtao et Qi Guangpu ?
Xu Mengtao fait partie de ces athlètes qui savent que se remettre d’une situation difficile implique de grands sacrifices. En janvier 2016, une grave lésion des ligaments croisés du genou gauche provoquée par une chute à la réception de son dernier saut aux Jeux Nationaux d’hiver l’oblige à remiser ses skis au placard pour dix mois.
Mais la persévérance de Xu Mengtao, suite à son opération et à une longue période de rééducation, finit par porter ses fruits lorsqu’elle remporte en décembre de la même année la première rencontre internationale à laquelle elle participe après sa chute, la Coupe du Monde à Beidahu. Pour Xu, Pyeongchang représente une chance de revanche personnelle. Mais pour atteindre la plus haute marche du podium, l’athlète, qui fait partie du club exclusif des skieuses capables d’exécuter lors de compétitions de routines des triples sauts périlleux, devra s’armer de toute la détermination dont elle a su faire preuve par le passé.
Xu est capable d’exécuter des figures de très haut niveau et ses scores exceptionnels à plusieurs Championnats du monde lui ont permis d’accéder au rang des multi-médaillées de Mondiaux (1-2-2). Et si sa confiance a sans aucun doute été ébranlée par les graves conséquences de sa chute, les résultats de la sportive en 2017 semblent indiquer qu’elle est désormais parfaitement restaurée. Avec un peu de chance dans l’équation, Xu devrait donc être en mesure de récolter l’or. Cette même chance qui lui a fait défaut à Sotchi en 2014 lorsque l’expérience a révélé qu’elle n’avait de plus grande rivale qu’elle-même.
À 27 ans, Xu se trouve devant un ultimatum : celui du « maintenant ou jamais » auquel tout athlète doit un jour faire face. Ces Jeux doivent être ceux de sa consécration définitive. Car les exemples d’athlètes comme Alla Tsuper, qui remportent des Jeux Olympiques à l’âge de 34 ans, restent exceptionnels.
On peut en dire autant de Jia Zongyang (26 ans) et de Qi Guangpu (27 ans). Sixième à Vancouver, médaillé de bronze à Sotchi et vainqueur pour la première fois d’une Coupe du monde en décembre dernier dans le Hebei, Jia fait désormais partie du groupe très sélect de candidats qui partiront pour Sotchi avec des chances de titre. Son compatriote Qi Guangpu, vainqueur des Mondiaux de 2013 et de 2015 (vice-champion en 2011 et 2017), multi-champion de Coupes du Monde, toujours à la poursuite d’une médaille olympique après déjà deux participations infructueuses (Vancouver, 7e et Sotchi, 4e) peut également largement prétendre à la médaille d’or.
Personne n’est insensible au passage implacable du temps. Rien ne garantit à Xu, Jia ou Qi de beaux lendemains olympiques, d’autant plus que le vivier de skieurs acrobatiques chinois ne cesse de s’enrichir de nouvelles étoiles toujours plus précoces. Pour n’importe quel athlète chinois, conclure sa carrière sur la rampe enneigée de Zhangjiakou lors des Jeux de Beijing 2022, triomphant sous les applaudissements de milliers de supporters, serait une fin rêvée. De quoi nourrir des fantasmes pendant encore quelques années. Car aujourd’hui, la priorité pour ces athlètes sera de réaliser à Pyeongchang une performance mémorable qui soit à la hauteur de leur talent et de leur potentiel actuel. *Jorge Ramírez Calzadilla est un journaliste cubain qui collabore depuis plus de dix ans avec différents revues et médias audiovisuels de son pays et de l’étranger. Il vit à Beijing depuis 2007.