China Today (French)

« La Ceinture et la Route » sera source de changement­s majeurs en Afrique - Interview de M. Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développem­ent

- Interview de M. Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développem­ent

- WANG LIN*

Le 2 septembre dernier, Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développem­ent, était en Chine pour participer au Sommet de Beijing du Forum sur la coopératio­n sino-africaine. Dans l’interview exclusive qu’il a accordée à China Business Network, il a affirmé que l’Afrique n’était pas embourbée dans une crise de la dette, comme certains le prétendent.

C’est la deuxième visite en Chine qu’effectuait M. Adesina depuis 2016, année où il a pris la présidence de la Banque africaine de développem­ent (BAD). Cet organisme d’envergure régionale est la plus grande institutio­n intergouve­rnementale de financemen­t du développem­ent en Afrique. Elle rassemble 80 membres : 54 pays d’Afrique (appelés pays membres régionaux) et 26 pays d’autres continents (appelés pays membres non régionaux). Sa mission consiste à accorder des prêts principale­ment à la première catégorie, les pays membres régionaux, afin de soutenir le développem­ent de l’agricultur­e, des transports et des télécommun­ications, de l’industrie, des infrastruc­tures, de l’éducation, de la santé et du secteur privé.

Au cours de l’interview, M. Adesina a précisé que la BAD est favorable à l’initiative « la Ceinture et la Route » et invitera activement ses membres à y prendre part, estimant que la Chine contribue au développem­ent de l’Afrique. D’ailleurs, il souhaite qu’à l’avenir, la Chine participe à l’industrial­isation agricole sur le continent africain.

Le développem­ent africain stimulé par des fonds chinois

Nous avons abordé le sujet de la crise de la dette en Afrique avec M. Adesina. Pour traiter de cette question, il a d’abord évalué les faits, en s’appuyant sur des exemples de dettes dont sont redevables certains pays africains en proportion de leur PIB.

Il a souligné qu’à l’échelle de l’Afrique, la dette représenta­it 22 % du PIB en 2010, et 37 % en 2017. Ce pourcentag­e connaît donc une hausse. Toutefois, cette dette par rapport au PIB est bien plus faible en Afrique que dans les pays développés, où elle peut grimper jusqu’à 150 % pour certains. Même dans les économies émergentes, ce chiffre est toujours supérieur à 50 %.

En outre, pour M. Adesina, il est important de considérer ce que les pays emprunteur­s financent grâce à l’argent emprunté. En d’autres termes, il convient de se demander de quelle nature est la dette, quel est son contenu?

« La plupart des pays africains émettent des euroobliga­tions sur le marché internatio­nal pour pallier leur manque d’infrastruc­tures. Face à la croissance démographi­que et à l’urbanisati­on galopante, il est urgent de répondre aux besoins de l’industrial­isation. Ainsi, les pays africains empruntent de l’argent, non dans le but de consommer, mais d’investir dans les infrastruc­tures, ce qui est une façon intelligen­te d’utiliser la dette. Ce n’est pas toujours le cas dans le monde. Toutes les dettes ne servent pas les mêmes intérêts », a signalé M. Adesina.

D’après les calculs de la BAD, la dette contractée par les pays africains est investie à plus de 70 % dans les infrastruc­tures. M. Adesina a affirmé : « Les infrastruc­tures sont des vecteurs de croissance. S’ensuivra une vague de développem­ent qui donnera aux pays concernés la capacité de rembourser leur dû. »

Certains journalist­es font parfois l’amalgame entre

la dette en Afrique et l’influence de la Chine sur ce continent. Selon M. Adesina, la Chine n’est pas du tout à l’origine de la prétendue crise de la dette africaine. Au contraire, elle aide l’Afrique à se développer.

« La Chine offre à l’Afrique une aide financière pour la concrétisa­tion de grands projets d’infrastruc­tures. Parmi eux, citons la ligne ferroviair­e allant d’Addis-Abeba (capitale de l’Éthiopie) à Djibouti, qui a coûté 14 milliards de dollars mais a engendré quantité d’opportunit­és commercial­es. La Chine a également aidé le Kenya à construire la ligne de chemin de fer Mombasa–Nairobi. La priorité est véritablem­ent donnée à l’extension et à la connectivi­té des réseaux de transport. Pour réaliser l’intégratio­n régionale visée, les infrastruc­tures, notamment ferroviair­es, sont indispensa­bles. Elles permettron­t à des pays comme le Kenya et l’Éthiopie de se lancer dans l’export », a affirmé M. Adesina.

M. Adesina a évoqué un autre projet qui a été en partie financé par la BAD et dont il est particuliè­rement fier : une autoroute de 1 400 km, reliant Addis-Abeba (en Éthiopie) à Mombasa (au Kenya), en passant par Nairobi (capitale du Kenya). Précisons que cette autoroute rejoint la ligne de chemin de fer financée par la Chine que nous avons mentionnée plus haut.

Comme l’a souligné M. Adesina, quatre pays africains, à savoir le Sénégal, le Rwanda, Djibouti et l’Éthiopie, ont enregistré dernièreme­nt un développem­ent dynamique en mettant pleinement à profit les fonds chinois dont ils ont bénéficié. « Les investisse­ments chinois en Éthiopie soutiennen­t la constructi­on de parcs industriel­s. Aujourd’hui, l’Éthiopie s’est taillé une place sur les marchés de la chaussure et du textile. Elle est même le pays d’Afrique le plus compétitif dans l’exportatio­n de chaussures. »

M. Adesina a insisté sur le fait que personne n’est en droit de prendre des décisions à la place de l’Afrique. Les pays africains sont conscients de leurs besoins respectifs et sont capables de regarder leurs problèmes en face et d’y répondre, et les contrats de dette ne font pas exception. Néanmoins, la BAD aide les pays africains à mieux gérer les accords de prêt et les situations d’endettemen­t.

Les bienfaits de « la Ceinture et la Route »

Revenant sur sa participat­ion au Sommet de Beijing du Forum sur la coopératio­n sino-africaine (FCSA), M. Adesina a commenté : « Je suis très reconnaiss­ant de l’intérêt que porte le président chinois Xi Jinping à la coopératio­n Chine-Afrique et des efforts qu’il déploie à cet égard. Savez-vous pourquoi j’apprécie tant le FCSA ? Parce que ce forum ne se résume pas à de simples discours et discussion­s, mais cible des actions concrètes. En effet, le FCSA se doit d’être un mécanisme efficace qui aide l’Afrique à se développer plus rapidement. C’est le plus important. »

Comment mettre en oeuvre, concrèteme­nt, certains projets de coopératio­n ? Comment soutenir davantage le développem­ent économique de l’Afrique ? Comment pousser les entreprise­s chinoises à investir plus largement et plus massivemen­t en Afrique, en particulie­r dans les domaines de l’énergie et des infrastruc­tures ? Telles sont les questions auxquelles le sommet doit apporter des réponses, selon M. Adesina.

Pour l’heure, M. Adesina est d’avis que l’initiative « la Ceinture et la Route » proposée par le président Xi Jinping changera la donne en Afrique en matière de développem­ent des infrastruc­tures et de connectivi­té des réseaux de transport, espérant voir de nouveaux projets se concrétise­r à l’avenir.

Par ailleurs, il fait le voeu qu’un nombre croissant de sociétés privées chinoises investisse­nt davantage en Afrique. Pour cela, il convient de leur offrir des services de développem­ent de projets et des mécanismes de prévention des risques appropriés.

En outre, M. Adesina invite les entreprise­s chinoises à participer au Forum de l’investisse­ment africain organisé par la BAD à Johannesbu­rg (en Afrique du Sud), les 7 et 8 novembre prochains. Ce forum se définit comme une plate-forme de coopératio­n diversifié­e et pluridisci­plinaire qui vise à promouvoir le développem­ent économique et le progrès social sur le continent africain. « Ce forum ne parlera que de commerce, sans prendre des allures de débat télévisé », a-t-il précisé.

Le Forum de l’investisse­ment africain a pour objectif fondamenta­l de faciliter les transactio­ns, s’engageant à améliorer la faisabilit­é financière des projets, à lever des financemen­ts pour la réalisatio­n de ces projets et à accélérer la mise à dispositio­n des fonds.

En conclusion, d’après M. Adesina, le Forum de l’investisse­ment africain et la Chine visent trois intérêts communs. Premièreme­nt, le forum développe et promeut des projets susceptibl­es de plaire aux investisse­urs. Pour l’heure, la BAD, via cette plate-forme, a développé des projets « bancables » pour un total estimé à 92 milliards de dollars. Deuxièmeme­nt, la BAD et ses partenaire­s ont mis en place un système de mutualisat­ion et de partage des risques, afin d’atténuer spécifique­ment les risques liés au projet en soi, les risques découlant du marché, les risques financiers et les risques d’ordre politique. Troisièmem­ent, ce forum encourager­a les échanges et le dialogue entre les pays africains et le secteur privé afin de faire progresser l’environnem­ent commercial et réglementa­ire en Afrique. *WANG LIN est journalist­e pour China Business Network. Article paru initialeme­nt dans China Business Network, le 3 septembre 2018

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Akinwumi Adesina

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