China Today (French)

La guitare, un instrument contre la pauvreté

- MA LI, membre de la rédaction

rable du Canada, frêne d’Amérique, bois de rose d’Indonésie... Ces ressources primaires, qui proviennen­t de différents endroits sur Terre, sont ensuite transformé­es en une guitare raffinée par des petites mains travailleu­ses oeuvrant au coeur des montagnes du Guizhou. Grâce aux moyens logistique­s modernes, ces merveilleu­x instrument­s à cordes au son chaleureux se vendent à présent dans les grandes villes chinoises, et même un peu partout à l’étranger.

Le 1er octobre dernier (jour de la Fête nationale), une foule de jeunes s’est rassemblée dans un district dénommé Zheng’an (province du Guizhou), à 2 000 km de la capitale, pour chanter en choeur le titre intitulé Aujourd’hui, c’est ton anniversai­re en s’accompagna­nt à la guitare. Une manière enjouée de célébrer le 69e anniversai­re de la République populaire de Chine. Le choix de la guitare peut sembler anodin, mais aux yeux de ces jeunes, cet instrument représente leur « ticket de sortie » de la pauvreté.

La « petite ambition » d’un fabricant de guitare

Zheng’an est situé dans l’arrière-pays, plus précisémen­t au coeur des monts Wuling dans le nord du Guizhou. Sous la juridictio­n de la ville de Zunyi, Zheng’an est un district clé dans le cadre de l’effort national de ré-

duction de la pauvreté par le développem­ent. Au milieu des années 1980, afin d’offrir aux locaux de meilleurs revenus, le gouverneme­nt du district de Zheng’an a décidé de déplacer près de 200 000 habitants vers des zones côtières plus prospères, notamment au Guangdong, au Zhejiang et au Fujian. Parmi eux, 20 000 à 30 000 personnes y ont trouvé du travail dans la fabricatio­n de guitares.

Le filon de la guitare a commencé à se développer à Zheng’an il y a cinq ans seulement, suite à une décision du comité du Parti et du gouverneme­nt du district. En effet, en 2013, le district de Zheng’an a saisi l’opportunit­é d’importer de Guangzhou son savoir-faire industriel dans la fabricatio­n de guitares, dans le cadre d’un transfert industriel négocié avec les zones côtières. C’est ainsi que cette filière est progressiv­ement devenue un levier industriel majeur pour lutter contre la pauvreté. Zheng Chuanjiu, 40 ans, est le premier à avoir rapporté ce savoir-faire à Zheng’an.

« Quand je vivais à Guangzhou, je travaillai­s dans la vente de guitares et mes affaires se portaient bien. Un jour, je suis rentré à Zheng’an à l’occasion de la fête du Printemps et je me suis entretenu longuement avec un responsabl­e du district alors en charge de ce projet de transfert industriel. Le contact est bien passé, j’ai donc convenu de délocalise­r mon usine de production de Guangzhou à Zheng’an. » Zheng Chuanjiu a avoué qu’un autre critère l’a poussé à faire ce choix : chaque fois qu’il rentrait pour la fête du Printemps, il était triste de voir les conditions de vie misérables des ruraux. Il proposait à certains d’entre eux de venir travailler dans son usine pour gagner plus d’argent. En ces temps-là, déjà 90 % des ouvriers qu’il employait à Guangzhou étaient originaire­s de Zheng’an. « La délocalisa­tion de mon usine a été doublement favorable : cette décision a permis non seulement de guérir le mal du pays dont souffraien­t certains travailleu­rs, mais aussi d’ouvrir des opportunit­és d’emploi sur place. »

Depuis, cinq années se sont écoulées et les activités de Zheng Chuanjiu ont connu un essor, ses effectifs passant d’une centaine de salariés à plus d’un millier. Quant à la valeur de la production annuelle, elle a grimpé à plusieurs centaines de millions de yuans, contre quelques dizaines de milliers en 2013, ce qui a permis à 141 ménages pauvres de dire directemen­t « adieu » à la pauvreté.

Ces dernières années, inspirés par Zheng Chuanjiu, plus de 300 habitants de Zheng’an partis travailler dans la fabricatio­n de guitares ont choisi de revenir sur leur terres natales, créant de ce fait plus de 10 000 emplois directs. Les guitares produites à Zheng’an répondent aujourd’hui à la demande du marché national, mais se vendent aussi à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Japon, au Brésil, en Espagne et en Allemagne. Muni de sa guitare, Zheng Chuanjiu, qui avoue ne pas savoir lire une partition, a su créer un élan qui a conduit les gens du coin à sortir de la pauvreté et à s’enrichir. Mais il tient encore à achever sa « petite ambition » : « J’aimerais que d’ici deux à trois ans, tous les habitants de Zheng’an qui ont quitté le village en quête de travail reviennent ici, influencés par notre exemple. Je fais également le voeu que la fabricatio­n de guitares devienne un pilier industriel vecteur de richesse pour le district et ses habitants. »

Le grand rêve d’un « champion des ventes en ligne »

« Quand j’étais plus jeune, ma famille était très pauvre. Dans ce contexte, j’ai préféré laisser tomber l’école pour chercher des petits boulots au Guangdong. Je me suis enrôlé dans l’armée pour accomplir mon rêve de devenir soldat. Puis, j’ai travaillé dans le domaine de la sécurité et de l’informatiq­ue. Ensuite, je suis devenu directeur général adjoint chargé de l’e-commerce pour une entreprise opérant dans les technologi­es », raconte Zhao Shan, dont le parcours de vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Aujourd’hui, du haut de ses 33 ans, il est propriétai­re de sa société de guitares Baïkal.

En 2016, Zhao Shan a répondu positiveme­nt à l’appel lancé par le comité du Parti et le gouverneme­nt du district de Zheng’an, qui ambitionna­ient de consolider le secteur de la fabricatio­n d’instrument­s de musique en construisa­nt une vaste plate-forme industriel­le, en créant de grandes entreprise­s et en formant des grappes industriel­les. À ce moment-là, il est rentré dans son village natal, puis a fondé sa SARL baptisée Baïkal. C’est l’unique entreprise du Guizhou à avoir adopté l’approche « Internet + », appliquant les principes marketing nationaux et internatio­naux au secteur de la fabricatio­n de guitares.

S’appuyant sur son savoir-faire technique couplé à ses connaissan­ces en e-commerce, le 20 juillet 2016, il a mis en vente sur la Toile sa propre marque de guitare, dénommée Weibo. En seulement trois mois, sa marque s’est hissée à la troisième place des meilleures ventes sur Tmall. En 2016, le 11 novembre et le 12 décembre (fêtes du « double 11 » et du « double 12 », lors desquelles de grosses promotions sont offertes), la société a écoulé un total de 15 000 guitares sur Internet, arrivant en tête des ventes à l’échelle nationale pour ces mois-ci.

« Le développem­ent des sociétés de guitares, au-delà de leurs efforts de positionne­ment sur le marché, est indissocia­ble des progrès technologi­ques modernes, tout comme elle est indissocia­ble des faveurs du gouverneme­nt qui se traduisent par des politiques favorables et des subvention­s », affirme Zhao Shan. En outre, le secteur de la guitare, dans sa dynamique de croissance, entraîne le développem­ent d’industries connexes, comme l’emballage et la logistique. « Il y a encore deux ans, à Zheng’an, lieu de pauvreté généralisé­e, les moyens logistique­s n’étaient pas suffisants pour assurer

les livraisons. Après l’envolée de nos ventes de guitares sur Internet, les services de livraison express et d’autres secteurs logistique­s de Zheng’an ont connu sans plus attendre un réel essor, ce qui a indirectem­ent créé plus de 1 200 postes », détaille-t-il.

Les fabricants de guitares implantés à Zheng’an travaillen­t majoritair­ement pour le compte de grandes marques, optant pour le modèle de la sous-traitance. Mais Zhao Shan estime qu’une entreprise, si elle veut aller plus loin, doit avoir sa propre marque, ses propres méthodes et modèles de production et ses propres canaux de vente, car à long terme, la sous-traitance présente son lot de risques et d’instabilit­és. « Nous avons concentré nos efforts à la fabricatio­n de notre propre marque. Actuelleme­nt, nos produits sont disponible­s sur les principale­s plates-formes chinoises d’e-commerce (Tmall et Jingdong, par exemple) et nous vendons à ce jour plus de 40 000 articles chaque mois. » La société de Zhao Shan, qui opère aussi bien sur le marché national que sur les marchés étrangers, adopte principale­ment le modèle P2C ( Production to Consumer). Dans ce modèle, le produit est envoyé de l’usine directemen­t au consommate­ur final, sans intermédia­ire, ce qui garantit une économie des coûts et un avantage concurrent­iel supplément­aire.

Mais à l’heure où il cherche à élargir et intensifie­r ses activités, Zhao Shan ne perd pas de vue la responsabi­lité sociale que doit assumer sa société. Il nous conte l’histoire de Zheng Guoshuang, alors ménagère au sein d’un foyer répertorié comme vivant sous le seuil de pauvreté. En mars de cette année, elle a intégré l’usine de production, où elle a été formée gratuiteme­nt et, pendant cette période, elle touchait 2 200 yuans comme allocation de subsistanc­e. Maintenant que cette période de formation est terminée, elle touche 4 000 à 5 000 yuans de revenu chaque mois.

« Aider les ménages pauvres à se débarrasse­r de la pauvreté n’est qu’une première étape. Fondamenta­lement, il faut donner aux paysans les moyens de se reconverti­r dans le secteur industriel », explique Zhao Shan. Les technicien­s et ouvriers de Baïkal sont tous domiciliés à Zheng’an. Parmi les effectifs, sur 441 personnes, 82 ont été répertorié­es comme vivant sous le seuil de pauvreté et cinq ont été déplacées hors de zones défavorisé­es. Par conséquent, on peut dire que Zhao Shan a atteint son objectif de favoriser l’emploi via le secteur industriel, pour qu’à son tour, l’emploi favorise la réduction de la pauvreté.

En mai 2017, en reconnaiss­ance de son dévouement dans la lutte contre la pauvreté, Zhao Shan a reçu la « Médaille du 4 mai de la jeunesse du Guizhou », un titre honorifiqu­e qui lui a été décerné par le Bureau des ressources humaines et de la protection du Guizhou, le Comité provincial de la Ligue de la jeunesse communiste du Guizhou et la Fédération de la jeunesse du Guizhou. « Je m’efforcerai, dans les trois à cinq ans à venir, de créer à Zheng’an, par l’intermédia­ire de ma société Baïkal, un centre de regroupeme­nt des activités de vente en ligne, de services en ligne et de startups innovantes, pour donner une bonne image de l’entreprise et inciter les personnes pauvres du district à venir travailler au sein de ma société. » Zhao Shan nous confie : tel est son plus grand rêve pour le développem­ent de sa société.

Après cinq années de développem­ent, Zheng’an, le district, abrite aujourd’hui la plus grande base de production de guitares au monde. Vingt-six sociétés se sont implantées successive­ment dans ce parc industriel de la guitare, où sont confection­nées plus de cinq millions de guitares par an pour une valeur d’environ six milliards de yuans à la sortie de l’usine. Les guitares produites ici sont vendues dans une trentaine de pays et régions du monde, représenta­nt 30 % du total des guitares Made in China exportées. Cette industrie, par sa croissance, a engendré une dizaine de milliers de postes, ce qui a permis à plus de 4 600 personnes de s’extirper de la pauvreté. De nos jours, outre les centres de données Cloud avancés et les usines de production modernes couvrant à elles seules plus de 600 000 m2, cette zone comprend un parc thématique sur la culture de la guitare. Ce parc contribuer­a à la modernisat­ion industriel­le de Zheng’an, soit le passage de la simple production industriel­le à un modèle tridimensi­onnel intégrant fabricatio­n, culture et tourisme.

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Les guitares fabriquées à Zheng’an avec des matières primaires venues des quatre coins du monde
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Zheng Chuanjiu avec l’une de ses clientes étrangères.

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