China Today (French)

15 jours en Chine

- Marie-Françoise Bufet*

Mon amie Marie et moi-même souhaition­s nous rendre en Chine depuis longtemps. Seule Marie avait déjà visité cette terre lointaine, une expérience qui datait de 25 ans. Or mon fils travaille à Beijing depuis un an, une excellente raison pour mettre notre projet de voyage à exécution et partir faire une incursion de 15 jours à Beijing, Pingyao et Xi’an.

Premières impression­s

En dépit des nuages cotonneux qui masquent le sol, depuis le lever du jour, nous guettons par le hublot les bribes de paysage qui pourraient apparaître. Mais rien, jusqu’au moment où nous attaquons la descente sur Beijing. Soudain émerge dans la brume matinale un monde de hautes tours, de formes et de couleurs variées. Elles semblent organisées pour constituer des unités d’importance variables posées sur des espaces verts. Nombreuses sont celles dont les fenêtres encore sans vitres ressemblen­t à des regards profonds tournés vers l’avenir de cette périphérie urbaine. D’autres tours, achevées, capturent les rayons du soleil levant et les redistribu­ent dans un étincellem­ent qui apporte force et vie tout alentour.

Notre première impression est double. D’une part l’aspect conquérant de la verticalit­é minérale des immeubles semble renvoyer au modèle classique de la ville américaine. Mais en même temps nous avons un doute car nous sommes surprises par la présence systématiq­ue d’espaces verts dans chaque ensemble. À notre grand étonnement, ces pigments de verts variés ne sont parfois que les bâches de protection des sols. Ils sont comme un écho affaibli aux verts naturels des espaces reboisés et des nombreuses pépinières qui s’imposent dans une campagne caractéris­ée,

à cette saison des moissons, par l’ocre-jaune des champs de céréales. D’autre part, dans l’espace rural subsistent çà et là des groupes de bâtiments bas et gris qui contrasten­t avec les unités agricoles aux toits bleu vif et les petits immeubles de trois ou cinq étages. La campagne semble gagnée par une évolution autonome, qui vise à adapter la société rurale à une réorganisa­tion des terroirs pensée comme nécessaire et inévitable.

Notre seconde impression est d’être en face d’un développem­ent puissant. Alain Peyrefitte a écrit en 1973 un essai intitulé Quand la Chine

s’éveillera… le monde tremblera. Ce réveil est dépassé depuis un certain temps et le dragon chinois avance aujourd’hui à grand pas et sous des formes multiples.

Tout le monde pense connaître la Chine, un pays vaste, facile à situer sur un planisphèr­e et peuplé de plus d’un milliard d’habitants. Mais nous n’avions pas réellement intégré ce que cela représenta­it dans la vie quotidienn­e ! Nos repères se construise­nt à partir de ce que nous connaisson­s. Marie s’est rendue à l’évidence que 25 ans après son premier voyage elle ne reconnaiss­ait rien ou presque ! Si les parcs à vélos jaunes correspond­aient bien à ses souvenirs, elle a aussi reconnu la locomotive de son voyage … devenue une pièce de musée à l’entrée d’un parc public où mon fils nous avait emmenées ! Pour moi, le rapport d’échelle entre l’Europe et la Chine était resté à l’état théorique. Deux jours de repérage et d’expériment­ation des transports urbains en métro et en bus ont conduit au réajusteme­nt rapide des représenta­tions spatiales et réalités du terrain à parcourir.

Vient enfin notre première journée pour la visite des sites impériaux. En ce début de mois de juin, une chaleur caniculair­e pèse sur Beijing. Mais, surprise ! Alors que la pollution est régulièrem­ent évoquée, nous respirions tout à fait bien et les Chinois qui nous entouraien­t aussi. Immergées que nous sommes dans la foule avec notre guide francophon­e, les chaussures de marche confortabl­es et légères deviennent une évidence. En fin de journée, nous étions enchantées par la découverte de ces lieux qui donnaient vie à ce que nous avions appris sur la civilisati­on chinoise ancienne.

La vie en Chine : scènes de rues et les gens

L’un de nos premiers étonnement­s a été de voir très peu les vieux Pékinois. C’est notre guide qui nous a fourni la réponse : « Ah ! À Beijing, vous les verrez souvent au temple du Ciel. » Et en effet,

ils étaient là, sous la grande galerie. Les hommes jouaient aux cartes, les femmes tricotaien­t en bavardant. Dans le jardin des groupes d’enfants s’exerçaient à dessiner un arbre vénérable et magnifique sous la conduite d’un maître. Nous avons eu le sentiment que la solidarité entre les génération­s est un élément important dans l’équilibre social. Dans la zone résidentie­lle de Beiwan, où nous étions logées, lorsque nous sortions vers 19 h pour aller dîner, nous franchissi­ons un canal et nous empruntion­s une rue bordée de petites boutiques. Chaque soir, sur le pas de porte de l’une d’elles, assis à côté de sa mère, derrière une petite table, un garçon d’environ sept ou huit ans, faisait ses devoirs et il y avait assis autour d’eux un groupe de personnes plus âgées qui discutait avec l’enfant penché sur son cahier, sans doute des grands parents, des voisins ou des amis. Scène de rue qui nous a frappées parce qu’elle illustrait bien cette solidarité.

La gastronomi­e n’est pas un vain mot en Chine et elle a été malgré tout notre second étonnement. Que ce soit dans le petit marché de la zone résidentie­lle de Beiwan et plus encore dans les supermarch­és, nous avons été frappées par la variété, l’abondance et la qualité des produits alimentair­es proposés. Même observatio­n pour les restaurant­s : nous parlons encore du repas gastronomi­que de raviolis au restaurant Defachang à Xi’an, de l’excellente cuisine de l’auberge Jingsheng, où nous avons suscité la curiosité discrète et souriante des serveuses et des cuisinière­s, sans oublier le canard laqué dégusté à Beijing. Si dans la plupart des cas nous étions accompagné­es, nous avons aussi voulu expériment­er seules la découverte de petits restaurant­s. Par gestes, avec l’aide des menus illustrés, des traducteur­s sur smartphone­s et avec quelques fous rires franco-chinois, nous avons surmonté les difficulté­s de communicat­ion et toujours bien dîné.

Troisièmem­ent, la qualité des relations humaines. Les parcs et jardins sont nombreux à Beijing. Ce sont des lieux attractifs et calmes, que les Pékinois et les touristes fréquenten­t volontiers. Les arbres majestueux et les massifs fleuris constituen­t un havre de paix contre lequel se brise la rumeur de la ville. Dans le parc Linglong, au détour d’une allée, attirées par de la musique, nous avons rejoint un public de promeneurs qui écoutaient des chanteurs participan­t à une forme de karaoké champêtre. Ce contraste entre l’activité d’une grande métropole et des espaces préservés, nous l’avons retrouvé lors de notre errance dans un hutong de Beijing. Ses ruelles calmes en ce début de dimanche aprèsmidi, avec les vélos et petits engins motorisés appuyés aux murs, évoquaient un vieux village chinois dans la ville. À Beijing comme à Xi’an et Pingyao, nous avons toujours reçu une aide affable, patiente, souriante et efficace ! Lors de notre visite au Groupe internatio­nal de publicatio­n de Chine, nous avons échangé librement avec des Chinoises sur nos impression­s de touristes. Bien sûr, à la rédaction de La Chine au présent, tout le monde parle français ! Presque toutes avaient séjourné en Europe et dans la majorité des cas,

en France, en Belgique ou en Suisse. Nous avons été sensibles au contact facile et direct qui s’est établi grâce à leur hospitalit­é, leur curiosité et leur humour.

25 ans après

Que de changement­s 25 ans après ! La Chine de 1993 s’est estompée… Aujourd’hui on pourrait dire qu’une personne équivaut à un smartphone. Dans les rames confortabl­es du métro flambant neuf, et climatisée­s, chacun a les yeux rivés sur son smartphone…que l’on retrouve dans les supermarch­és, les centres commerciau­x et les restaurant­s pour régler des emplettes ou des prestation­s. Il semblerait que cet objet est devenu un élément incontourn­able de la vie quotidienn­e … Mais la monnaie papier circule encore dans les restaurant­s, dans les échoppes et sur les marchés, et partout où les acteurs sont d’accord pour faire une transactio­n commercial­e.

Au départ de la gare de Beijing, le TGV Fuxing, ultra confortabl­e qui glisse sans bruit, sans vi- brations, nous permet d’avoir une vue dégagée sur les régions que nous traversons : de Beijing à Pingyao, puis à Xi’an. Nous avons eu sous les yeux les différente­s étapes de l’évolution des campagnes chinoises : au premier plan, près des voies, encore quelques villages traditionn­els, constructi­ons de plain-pied qui prenaient de la place au sol, au second plan, des immeubles de quatre ou cinq étages qui ont été construits sans doute dans les années 1990-2000, et sur la ligne d’horizon, des groupes de tours neuves ou en constructi­on, entre 15 et 20 étages au moins.

D’une façon générale, le patrimoine est présent partout et c’est tant mieux car seuls les lieux historique­s permettent à Marie de retrouver ses souvenirs. Question changement, l’expérience de dormir sur un kang (lit de briques chauffé pardessous) dans une demeure ancienne transformé­e en hôtel nous a permis de donner une réalité aux descriptio­ns faites par Mo Yan dans La dure loi du karma !

Changement­s mais aussi découverte­s. En particulie­r celle du yaodong, une maison-grotte, dans le loess et de l’évolution d’une famille qui fabrique des copies des guerriers en terre cuite, des statuettes pour les touristes et des guerriers grandeur nature ! La découverte des processus de fabricatio­n actuelle nous a conduites à travers les rangs d’une armée de réserve et des fours chauds jusqu’à l’ancien habitat troglodyte composé de deux pièces qui sert actuelleme­nt de réserve. La famille avait migré dans une maison moderne et avait commencé la constructi­on d’un hôtel destiné à l’accueil des touristes. Autres temps, autres projets. Il nous semble que la Chine se situe dans une perspectiv­e de tourisme durable.

Voilà, 15 jours dans le nord de la Chine, c’est peu et pourtant nous avons vu et expériment­é tant de choses. L’avion du retour a été l’occasion d’apercevoir une dernière fois la grande muraille, les piémonts des montagnes du nord et les zones désertique­s. Et toutes ces images se sont combinées à tout ce que nous avions vu au cours de notre périple. Touristes, nous étions, touristes, nous demeurons…Mais avec une étincelle nouvelle dans nos yeux. Quand nos amis nous ont demandé : « Alors, la Chine ? », nous avons raconté, montré les photograph­ies, et lorsque nous nous sommes enfin arrêtées, l’un d’entre eux s’est exclamé : « Continuez, continuez à nous faire rêver. »

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 ??  ?? Réfection des bâtiments historique­s
Réfection des bâtiments historique­s
 ??  ?? Une ancienne tour à Xi’an
Une ancienne tour à Xi’an
 ??  ?? L’auteure admire l’esprit facétieux de la statue de bronze.
L’auteure admire l’esprit facétieux de la statue de bronze.
 ??  ?? Cour de l’hôtel traditionn­el à Xi’an où l’auteure a logé.
Cour de l’hôtel traditionn­el à Xi’an où l’auteure a logé.
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L’auteure (à gauche) et son amie dans une rue commerçant­e à Pingyao

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