China Today (French)

Fuchsia Dunlop : ce que la cuisine chinoise m’inspire

- WANG KUAN*

Dans les années 1990, Fuchsia Dunlop s’occupait de compiler des documents sur l’Asie de l’Est dans une université à Londres. Après avoir lu des articles sur la Chine pendant quelques mois, elle a décidé de se rendre dans ce pays pour le découvrir. Un mois de voyage en sac à dos lui a permis de découvrir divers plats chinois. « Même dans les restaurant­s les moins chers et les plus modestes, les plats et les soupes que j’ai mangés sont meilleurs que ceux du ROYAUMEUNI », remarque Fuchsia Dunlop.

Sa dernière étape en Chine est Chengdu (capitale du Sichuan). Elle a entendu dire que la cuisine du Sichuan est considérée comme l’une des meilleures cuisines en Chine. Lorsque le goût du poivre du Sichuan « explose » sur la pointe de la langue, elle prend conscience que quelque chose change définitive­ment dans son corps.

Dès son retour à Londres, Fuchsia Dunlop s’est décidée à demander une bourse pour étudier en Chine. Elle a choisi l’université du Sichuan. Comme motif sur le formulaire de demande, elle écrit juste : « pour étudier les politiques envers les ethnies minoritair­es de la Chine », elle pensait en réalité à la cuisine du Sichuan.

Cette expérience a poussé Fuchsia Dunlop à devenir finalement « la Britanniqu­e qui comprend le mieux la cuisine chinoise ». Elle a écrit plusieurs livres en la matière, y compris Shark’s Fin and Sichuan Pepper ( L’aileron de requin et le poivre du

Sichuan), qui a été traduit en chinois simplifié en 2018. Le metteur en scène du documentai­re A Bite of

China ( La Chine au bout des baguettes) Chen Xiaoqing a montré que parmi les oeuvres des étrangers sur la cuisine chinoise, les mots de Fuchsia Dunlop sont les plus vivants, les plus intéressan­ts et les plus précis. Par la descriptio­n de l’apparence et de la saveur des plats, elle a réussi à faire connaître la Chine à ses lecteurs, un pays doté d’une tradition très ancrée et en pleine mutation.

Déguster la gastronomi­e mondiale

Depuis l’enfance, Fuchsia Dunlop avait l’occasion de goûter les nour- ritures venant des quatre coins du monde que les étudiants de sa mère, enseignant­e d’anglais à l’université d’Oxford, apportaien­t chez elle.

Fuchsia Dunlop aime toujours faire la cuisine, en rêvant de devenir cuisinière. À Chengdu, elle peut enfin profiter bien de la gastronomi­e et de la cuisine.

Depuis la dynastie des Tang (618907), Chengdu est réputée pour la lenteur de son rythme de vie et sa gastronomi­e. Elle rappelle à Fuchsia Dunlop les villes méditerran­éennes, dans lesquelles on mène une vie très confortabl­e sans travailler dur, grâce au climat agréable et au sol fertile. À Chengdu, les habitants peuvent passer toute la journée dans un salon de thé sans se sentir coupables.

La gastronomi­e chinoise est généraleme­nt divisée en quatre grandes cuisines régionales : la cuisine du Shandong qui est luxueuse, la cuisine de Huaiyang qui est légère et délicate, la cuisine du Guangdong qui fait attention aux saveurs naturelles et la cuisine du Sichuan qui est la plus populaire. L’atout de la cuisine du Sichuan consiste à créer des goûts miraculeux avec des ingrédient­s ordinaires. Par exemple, il n’y a pas de poisson dans le plat yuxiangqie­zi (l’aubergine piquante et poivrée au goût de poisson) que Fuchsia Dunlop aime beaucoup ; les ingrédient­s de base comprennen­t simplement l’aubergine et un peu de porc.

Presque tout le monde à Chengdu est un fin gourmet. Dans cette ville chaleureus­e, Fuchsia Dunlop est tom-

bée amoureuse du poivre du Sichuan, une épice essentiell­e pour les plats locaux.

Après les cours à l’université, Fuchsia Dunlop aime prendre son vélo et visiter les allées de Chengdu. Elle connaît bientôt parfaiteme­nt le nom de tous les plats classiques : le poulet froid à la sauce épicée, le poisson mijoté à la sauce de soja, les rognons de porc sauté, les nouilles dandan, les raviolis à l’huile pimentée… Après avoir découvert son restaurant de nouilles

dandan préféré, elle le fréquente tous les jours. Elle s’adonne à la gastronomi­e locale, ignorant le climat humide, la chaleur étouffante, l’air pollué et les inconvénie­nts de vivre sur une terre étrangère. Mais très vite, elle voudrait en apprendre plus. Elle a alors décidé d’entrer dans une école de cuisine pour recevoir une formation de trois mois sur la cuisine du Sichuan.

Expérience d’apprenti

Son grand enthousias­me pour la cuisine du Sichuan a probableme­nt touché le responsabl­e de l’école, car Fuchsia Dunlop a été autorisée de payer les mêmes frais de scolarité, très bas, que ses camarades chinois. Le matériel d’admission qu’elle a reçu comprend un costume blanc sur lequel est imprimé le nom de l’école, deux manuels scolaires en chinois (l’un sur la théorie de la cuisine et l’autre sur les recettes des plats du Sichuan) et un couteau de cuisine.

Elle est la première et également l’unique étrangère de l’école. Britanniqu­e, étudiante étrangère, femme, cuisinière, ces étiquettes réunies mettent en relief sa singularit­é à cette époque-là. On compte à peu près 50 apprentis dans la classe, dont beaucoup viennent de régions rurales. Amicaux mais très timides, ils rougissent facilement quand ils rencontren­t Fuchsia Dunlop.

Le couteau de cuisine reflète une sagesse orientale : un même outil, d’innombrabl­es façons de l’utiliser. La cuisine occidental­e s’assortit d’un grand nombre d’équipement­s, tandis que la cuisine chinoise s’attache à l’habileté de couper les aliments. Qu’il s’agisse d’un jeune homme musclé ou d’une frêle vielle dame, les cuisiniers chinois maîtrisent bien le couteau de cuisine ; autant pour couper un gros morceau de viande que pour peler un gingembre, un couteau de cuisine est suffisant. Il s’agit d’un outil magique, qui est capable de presque toutes les tâches en cuisine : le dos peut servir à battre la viande ; le manche en bois peut être utilisé comme un maillet pour moudre le poivre en poudre ; les deux faces du couteau peuvent écraser le gingembre sur la planche à hacher. « Le plus magnifique, c’est que la face du couteau peut être utilisée comme une pelle, pour ramasser toutes les choses sur la planche à hacher puis les jeter dans le wok », raconte Fuchsia Dunlop.

Au cours de ces trois mois à apprendre la cuisine du Sichuan, Fuchsia Dunlop se lève tôt tous les jours. Elle traverse la ville en vélo, prenant un bol de bouillie ou un bol de raviolis à l’huile rouge comme petit-déjeuner sur la route. Après le cours, elle recherche avec énergie les restaurant­s qu’elle n’a pas essayés, et quelques fois elle supplie le patron de la laisser entrer dans la cuisine pour apprendre. Voilà pourquoi des patrons de restaurant­s ou des vendeurs de rue la connaissen­t bien et la saluent dans la rue : certains disent « Bonjour, cuisinière ! », et certains la laissent entrer dans leur cuisine pour montrer ses compétence­s.

Fuchsia Dunlop trouve que c’est l’art d’assaisonne­r qui rend la cuisine du Sichuan unique. Les saveurs composées de la cuisine du Sichuan sont vraiment très variées. Les chefs locaux sont doués pour harmoniser des saveurs de base et titiller les papilles gustatives. L’huile rouge, le poivre, le piment frit... Le plat épicé au goût aigre-doux et la soupe composée de produits nourrissan­ts, tout cela est une expérience passionnan­te ! Elle a d’ailleurs emprunté une expression de l’écrivain britanniqu­e Samuel Johnson : « Si vous êtes fatigué de la cuisine du Sichuan, vous êtes fatigué de la vie. » (Les mots originaux : Si vous êtes fatigué de Londres, vous

êtes fatigué de la vie.)

Changement des points de vue

Après être retournée à Londres, Fuchsia Dunlop a commencé à suivre ses études dans un master de recherche sur la Chine. Lorsqu’elle rédigeait son mémoire sur la cuisine du Sichuan, elle s’est aperçue qu’il n’y avait pas de restaurant authentiqu­e du Sichuan à Londres, une ville pourtant très cosmopolit­e, ni de livre de recettes sur la cuisine du Sichuan.

En effet, la cuisine chinoise aux yeux des Occidentau­x était très compliquée : délicieuse mais mauvaise pour la santé. Les plats chinois étaient considérés comme étant la cuisine d’une nourriture à bas prix faite par des immigrants pauvres et fréquemmen­t destinée à la consommati­on à emporter. Fuchsia Dunlop comprend que beaucoup d’Occidentau­x ignoraient tout simplement que la Chine possède l’une des meilleures traditions alimentair­es du monde.

« Je pense que le moyen le plus efficace pour changer les points de vue des Occidentau­x sur la cuisine chinoise consiste à la publicatio­n de livres. Je voudrais leur raconter que la culture alimentair­e chinoise est la meilleure au monde, et qu’aucun pays ne peut se comparer avec la Chine dans le domaine de l’utilisatio­n des ingrédient­s et de la variété des plats », dit Fuchsia Dunlop. Pourtant, son projet lié aux recettes de la cuisine du Sichuan a été rejeté successive­ment par six maisons d’édition, jusqu’en 2001 où son livre intitulé Sichuan Cookery a été publié au Royaume-Uni et aux États-Unis. Plus tard, cette oeuvre a remporté un grand prix décerné par le célèbre magazine gastronomi­que britanniqu­e Observer Food Monthly, et a gagné la réputation d’être « l’un des 10 meilleurs livres sur la cuisine dans l’histoire ». Fuchsia Dunlop est ainsi surnommée « la Britanniqu­e qui connaît le mieux la cuisine du Sichuan ».

Depuis, Fuchsia Dunlop constate que les points de vue des Occidentau­x sur la cuisine chinoise changent rapidement. « Ce changement a commencé il y a dix ans. Nous avons maintenant de très bons restaurant­s du Guangdong, du Sichuan, du Hunan et restaurant­s du Nord-Est de la Chine. On a commencé à comprendre que la cuisine chinoise n’était pas aussi simple qu’on se l’imagine. Au fur et à mesure de l’augmentati­on du statut de la Chine, les gens connaissen­t mieux ce pays qui est important et devient de plus en plus riche, élevant le statut de la cuisine chinoise. »

Aux yeux de Fuchsia Dunlop, les Chinois âgés sont de véritables maîtres de l’équilibre alimentair­e. Ils savent réajuster leur structure alimentair­e en fonction de la saison, de l’âge et de l’état du corps. Elle dit notamment : « Presque tout le monde sait comment bien manger de manière saine. »

« La nourriture moderne occidental­e est riche en laitages et protéines animales, tandis que la nourriture traditionn­elle chinoise prête attention à la fois à l’équilibre nutritionn­el et à l’appétit. Après avoir fait beaucoup de recherches sur la gastronomi­e et la cuisine, elle reste dans mon coeur le meilleur mode de vie », montre-t-elle.

Plus elle apprend la cuisine chinoise, plus Fuchsia Dunlop s’aperçoit qu’elle commence à réfléchir et à vivre comme une Chinoise : les jours pluvieux, les aliments doivent être plus tièdes que d’habitude, il faut ainsi ajouter plus d’huile rouge dans la soupe aux raviolis au petit déjeuner ; les jours chauds et étouffants commandent de manger quelque chose d’acidulé pour se rafraîchir.

« Littéralem­ent en chinois, la jalousie en amour se dit “manger du vinaigre”, et les douleurs et les épreuves vécues sont dites “manger des choses amères”. Les vérités de la vie se reflètent en fait dans les mots de la cuisine chinoise », remarque Fuchsia Dunlop. En tant qu’auteur de plusieurs livres liés à la cuisine chinoise, elle dit essayer de noter ses observatio­ns avec franchise et précision, pour promouvoir la compréhens­ion entre les différente­s cultures.

« Si vous baignez dans une culture différente pendant de nombreuses années, elle peut vous changer, et le plus grand changement consiste au fait que vous ne regardez plus le monde d’une seule façon : vous vous rendez compte que toutes les choses sont relatives. C’est pourquoi je crois que les échanges intercultu­rels sont très bons, car ils peuvent améliorer votre empathie et votre compréhens­ion. Cela signifie que vous ne pensez plus que vous avez toujours raison, que vous pouvez traiter le problème sous un autre angle et que vous pouvez respecter les gens ayant un autre point de vue, en cherchant le consensus », conclut Fuchsia Dunlop.

Les Chinois âgés savent réajuster leur structure alimentair­e en fonction de la saison, de l’âge et de l’état du corps.

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Fuchsia Dunlop, considérée comme la plus grande experte britanniqu­e en cuisine chinoise.
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Des Occidental­es s’aventurent à goûter des plats épicés du Sichuan.
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Le cahier de Fuchsia Dunlop, dans lequel elle compile ses vastes connaissan­ces sur la cuisine sichuanais­e.

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